
Si proches et pourtant si différentes qu’il est parfois difficile, même pour les plus avertis, de différencier ces deux pathologies. Selon plusieurs études, 10 à 40 % des patients diagnostiqués pour une dépression souffriraient en réalité de troubles bipolaires. Résultat : errance médicale, hospitalisations fréquentes, ruptures sociales et familiales, et risque suicidaire accru. "Le traitement entre ces deux pathologies est différent, d'où l'importance du bon diagnostic dès le départ", alerte sur Medisite le Pr Raoul Belzeaux, psychiatre au CHU de Montpellier, à l’occasion de la Journée mondiale des troubles bipolaires, ce 30 mars.
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Dépression : symptômes, causes, traitementsL’analyse de cette maladie repose à ce jour uniquement sur une évaluation clinique, qui prend du temps. "En tant qu’expert, il me faut une bonne heure avec le patient, au cours de laquelle nous échangeons sur son parcours et ses antécédents familiaux, avant d’évoquer un possible trouble bipolaire", précise le psychiatre. Un temps dont le premier maillon de la chaîne, le médecin généraliste, ne dispose pas.
Différence entre trouble bipolaire et trouble dépressif
Cette errance médicale, Lilie s'en souvient encore. "Mes premiers signes sont apparus dès la puberté. Mon médecin traitant m'a prescrit des antidépresseurs, pensant que c'était une dépression", se souvient l'infirmière de 32 ans. Ce n’est qu’à 24 ans que le diagnostic de bipolarité est posé par un psychiatre. "Le problème est que la prise d’un antidépresseur dans ce cas de figure accentue l’instabilité de la maladie, aggrave le pronostic et expose le patient à un risque de rechutes", souligne le Pr Belzeaux.
Avec le modèle du médecin de famille, le diagnostic était plus facile à poser, car le professionnel suivait son patient et sa famille pendant des années. "Nous savons aujourd’hui que l’histoire de la maladie et les antécédents familiaux sont des éléments essentiels qui guident le praticien", explique le spécialiste. Le problème, aujourd’hui, est que cette manière de pratiquer la médecine de ville n’est plus dominante dans le système de soins.
Mieux former les médecins généralistes pour reconnaitre la bipolarité
La formation en psychiatrie est insuffisante dans le cursus de médecine générale, alors qu'elle représente une part importante de l'activité quotidienne du médecin généraliste. "Il n’y a pas de stage obligatoire en santé mentale. Certains arrivent dans la pratique sans avoir jamais exercé dans cette spécialité. L’enseignement théorique en faculté de médecine est aussi très limité (une dizaine d'heures à peine)", déplore le Pr Belzeaux.
Alors que l’adolescence difficile de Lilie est jalonnée d’échecs, de médicaments inutiles et de prises de risques, l’étudiante infirmière, fraîchement arrivée à Paris, prend contact avec un psychiatre qui, enfin, la soulage. "Mes études m’ont mis la puce à l’oreille. J’ai senti que je ne souffrais pas uniquement de troubles dépressifs", confie Lilie. "Bien que les symptômes dépressifs étaient prédominants, j’avais aussi des phases maniaques qui se manifestaient par des insomnies, un surinvestissement professionnel et des pensées incessantes."
Phase maniaque, hypomaniaque, syndrome dépressif
Cette phase maniaque est une particularité des troubles bipolaires et ne se retrouve pas dans les troubles dépressifs simples. Elle permet en partie d’orienter le médecin. Cependant, dans de nombreux cas, elle n'est pas si flagrante et peut passer inaperçue. On parle alors d’hypomanie.
Aujourd’hui, Lilie exerce son métier avec passion en addictologie. "Mon quotidien est réglé comme du papier millimétré. J 'ai une routine de sommeil, d'étirements, une meilleure alimentation, et je fais du sport quotidiennement", témoigne la jeune femme.
Elle s’est aussi investie dans l’association PositiveMinders, qui a pour mission d’informer et de favoriser l’accès à un accompagnement bienveillant et inclusif pour toutes les personnes vivant avec un trouble psychique, afin de faciliter leur rétablissement et de lutter contre la stigmatisation.
Des centres experts pour une meilleure organisation des soins
La réorganisation des soins est d’ailleurs un levier d’action soulevé par le Pr Belzeaux pour lutter contre l’errance médicale. Certains professionnels de santé ont déjà mis en place des solutions innovantes, comme des centres de santé spécialisés où collaborent médecins généralistes et infirmiers spécialisés en psychiatrie. "Ces centres permettent d’améliorer le dépistage et l’orientation des patients grâce au travail de terrain des infirmiers spécialisés", explique le Pr Belzeaux. Les infirmiers en pratique avancée (IPA), ainsi que les psychologues sont également des professionnels qui peuvent apporter une expertise et aider à l’orientation des patients.
Il existe également des centres experts en trouble bipolaire. Ces établissements permettent d’établir un bilan complet, de définir des orientations et de suivre l’évolution de la maladie. "C'est l'une des pièces maîtresses du système de soins. C'est la troisième ligne. Ces centres ont une efficacité redoutable dans l’amélioration de la prise en charge", précise le psychiatre.
Une prise de sang pour repérer la maladie
La recherche est aussi un axe majeur pour améliorer le devenir des patients. Au CHU de Montpellier, le professeur Belzeaux et son équipe travaillent sur la création de biomarqueurs. "Dans un futur proche, une simple prise de sang pourrait permettre d’orienter le patient au bon endroit. Si le résultat est positif à un trouble bipolaire, le médecin généraliste pourra diriger le patient vers une prise en charge spécialisée. S’il est négatif, il pourra lui-même organiser le suivi", explique le spécialiste. "Notre étude devrait fournir des résultats d’ici deux ans." Si ceux-ci s'avèrent positifs, ce test sanguin pourrait être rapidement mis à disposition des médecins.
Interview avec le Pr Raoul Belzeaux, psychiatre au CHU de Montepellier
Témoignage de Lilie, infirmière de 32 ans qui souffre de trouble bipolaire
https://hopital-lariboisiere.aphp.fr/centre-expert-bipolaire-fondation-fondamental/