- 1 - Covid long : “Je pleurais de douleur tous les jours”
- 2 - “Je n’ai pas de douleurs cervicales, mais elle me prescrit une minerve”
- 3 - “Un jour, je monte les escaliers et je tombe par terre comme une m*rde”
- 4 - Covid long : sa médecin lui prescrit un antidépresseur
- 5 - “J'étais sûre de sortir de consultation avec du Xanax”
- 6 - Covid long : Clémence ne peut pas tenir debout plus de 2 minutes
- 7 - Une médecine sexiste qui peine à écouter les femmes
Clémence*, 36 ans, travaille comme accompagnante d’élève en situation de handicap (AESH) depuis une reconversion professionnelle. La jeune femme contracte le Covid une première fois en février 2022, une seconde fois en novembre. “J'ai très peu de symptômes pulmonaires, essentiellement des symptômes neurologiques : des maux de têtes violents et des insomnies.” Des symptômes qui restent, semaine après semaine, mois après mois. Malgré cela, et malgré un premier arrêt de travail, la médecin traitante de Clémence ne lui prescrit pas de médicaments anti-douleurs. La mère célibataire, dont le salaire mensuel s’élève à 950 euros, achète des boîtes de paracétamol et d’ibuprofène en vente libre, l’une après l’autre.
Covid long : “Je pleurais de douleur tous les jours”
“Je ne pouvais pas dormir 24h d’affilée. En revanche, je toussais très peu, je n'avais pas le nez qui coule. Je me suis dit que ça allait passer facilement, mais la douleur ne m'a jamais quittée, je pleurais de douleur quasiment tous les jours entre novembre et décembre.” La mère de famille finit par obtenir 7 jours d’arrêt de travail. Pas assez au vu des douleurs intenses qu’elle ressent dans tout le corps. “Le dernier jour, je me dis que c’est impossible de retourner en classe le lendemain. Il y a du bruit, je travaille debout, je sais que je ne vais pas être efficace.” Mais aucun rendez-vous n’est disponible à son cabinet, et Clémence est obligée de retourner à l’école exercer son métier d’AESH. Elle n’aura de rendez-vous médical qu’un mois plus tard.
Un jour, une interne conseille à la jeune femme d’aller voir un kinésithérapeute pour ses douleurs. Clémence s’exécute. Le praticien l’affirme : le problème vient des nerfs. Mais pour lui, manipuler la patiente s’avère impossible car elle a trop mal, malgré les anti-douleurs, payés de sa poche. Alors Clémence retourne voir sa médecin généraliste. “Je sors du cabinet avec une ordonnance de traitements contre la sinusite, et elle me dit de bien me laver le nez. Elle me prescrit aussi un scanner des sinus et me dit que dans 3 jours, c’est réglé.” Clémence n’a jamais rapporté de douleurs aux sinus.
“Je n’ai pas de douleurs cervicales, mais elle me prescrit une minerve”
“Mon kiné ne pouvait plus me manipuler, j’avais trop mal : dès qu'il me touchait, c'était pire”, se souvient Clémence. Le praticien lui demande de quand datent les crises, et avec sa patiente, ils réalisent que tout a commencé avec le second Covid de Clémence, en novembre 2022. C’est une amie de l’AESH, médecin, qui finit par lui prescrire du codoliprane, voyant Clémence désemparée et impuissante face à sa propre douleur.
Celle-ci retourne voir sa médecin traitante, qui n’aborde toujours pas la question d’un éventuel Covid long, malgré les symptômes de sa patiente : Clémence fait des malaises régulièrement et il lui arrive de perdre connaissance. “Elle dit que je suis fatiguée et elle remarque que ma tension est basse. Je lui dis qu’on m’a prescrit du codoliprane et que je gère la douleur grâce à ça, mais que la situation n’évolue pas, malgré le kiné. Alors elle me demande si j’ai pensé à aller avoir une psy.” Clémence, pourtant, a le moral plutôt bon et ne montre aucun signe d’anxiété. “Elle poursuit et me dit que les douleurs cervicales, c’est d’origine psy. Je n’ai pas de douleurs cervicales. Elle me prescrit une minerve.”
“Un jour, je monte les escaliers et je tombe par terre comme une m*rde”
La médecin, visiblement convaincue que tout est dans la tête de sa patiente, lui fait savoir qu’elle a un “profil psy” typique (Clémence a été victime de violences conjugales par le passé). Nous sommes en janvier, et Clémence a mal depuis novembre. À ce moment-là, son kinésithérapeute appelle la praticienne pour mettre la patiente en arrêt de travail. Et pour cause : dans l’école où elle exerce, les AESH n’ont pas le droit de s’asseoir. De plus, Clémence va au travail à pied. “Je suis tous les jours essoufflée alors que je n’ai pas de problèmes aux poumons.”
Clémence, prise de malaises fréquents, s’écroule plusieurs fois en classe ou dans les couloirs de l’école. “Un jour, je monte les escaliers pour aller en classe et je tombe par terre comme une m*rde. Je perds connaissance quelques secondes et je commence à vomir.” Cette fois-ci, elle est envoyée aux urgences. Sur place, l’équipe médicale réalise que sa tension est extrêmement basse, mais que la patiente ne fait pas d’hypotension orthostatique 1 pour autant. “Une interne fait exactement les tests qu'il fallait faire pour éliminer toutes les causes que ma médecin n'avait pas éliminées. On me dit que je suis très tachycarde, ce qui est inquiétant. Finalement, je sors avec un compte-rendu qui indique que je n'ai pas d'hypotension orthostatique mais qu'il faut explorer la piste du Covid long, qui pourrait être à l’origine de ma dysautonomie 2.” Le lendemain, Clémence retourne voir sa médecin, à qui elle montre le fameux compte-rendu. “Elle prolonge mon arrêt de travail et me demande si j'ai bien vu un psy.”
Covid long : sa médecin lui prescrit un antidépresseur
La tachycardie et la dysautonomie de la jeune femme auraient pourtant dû mettre la puce à l’oreille à la généraliste. En décembre dernier en effet, des chercheurs du Smidt Heart Institute de l’hôpital Cedars-Sinai (États-Unis) ont publié une étude qui établit un lien entre infection au Covid-19 et développement du STOP, ou syndrome de tachycardie orthostatique posturale. Cette maladie, qui touche principalement les adolescentes et les jeunes femmes, est définie par une élévation de la fréquence cardiaque en position couchée ou debout. Cette fréquence peut atteindre 120 battements par minute en seulement 10 minutes de position debout. Le STOP entraîne notamment une grande fatigue, des vertiges, des troubles cognitifs ou des migraines.
Devant l’insistance de sa médecin traitante toutefois, Clémence décide de se rendre à sa première - et unique - consultation de psychothérapie. “D’après la psy, je n’étais ni anxieuse, ni déprimée. À la fin de la consultation, elle m’a confié que c’était un peu lassant parce que j’étais la deuxième femme de la journée qui venait pour la même raison : elle pensait souffrir d’un Covid long, mais son médecin voulait qu’elle voie une psy alors qu’elle n’avait pas de problème psychologique majeur.” Clémence retourne chez sa médecin, qui lui prescrit un antidépresseur pour ses propriétés antidouleur. “Elle me dit qu’en plus, ça pourra m'aider si je suis déprimée.”
“J'étais sûre de sortir de consultation avec du Xanax”
Dès lors, Clémence n’a plus envie d’évoquer ses problèmes de santé et son éventuel Covid long. “J'étais sûre de sortir de consultation avec du Xanax. C'est horrible à dire, mais je n'ai plus du tout confiance en ma médecin traitante.” Début février, elle se tourne alors de nouveau vers son amie médecin, qui lui prescrit des bêtabloquants pour faire baisser son rythme cardiaque. Par chance, Clémence arrive rapidement à obtenir un rendez-vous chez un cardiologue, à qui elle évoque ses suspicions de Covid long. “Au début, il n'y croyait pas parce que mon historique personnel - je suis sportive et en bonne santé - et les symptômes que je présente ne sont pas compatibles. Je ne suis pas censée faire de la tachycardie simplement en me levant d'une chaise.” Après plusieurs examens, le spécialiste le constate pourtant lui-même : Clémence a probablement un Covid long. “Je suis tombée de ma chaise, je pensais qu'il allait dire que je me faisais des idées, que c’était dans ma tête. Qu’il allait me dire d’arrêter de stresser.”
Covid long : Clémence ne peut pas tenir debout plus de 2 minutes
Selon ses propres mots, la jeune AESH “gagne un ticket pour le CHU”. Une interne lui confirme alors le diagnostic du cardiologue. “C'était bien un problème de dysautonomie du système nerveux, qui explique absolument tous les symptômes que j'ai depuis novembre : les problèmes gastriques, les problèmes intestinaux, les problèmes de régulation de la température, les problèmes de tension artérielle et du rythme cardiaque, ma fatigue disproportionnée par rapport au déroulement de mes journées.” L’équipe médicale lui annonce qu’elle ne peut plus travailler debout, ni aller au travail à pied, comme elle en a pourtant l’habitude.
Rebelote, arrêt de travail. Rebelote, Clémence retourne voir sa médecin, qui ne tient pas compte des documents émis par le cardiologue et l’équipe des urgences à propos d’une suspicion de Covid long. Puis, lors du retour dans son établissement, Clémence demande un aménagement de poste à sa directrice : une simple chaise pour la journée. “Je l’informe que me tenir debout en position statique plus de 2 minutes fait atteindre son maximum à mon rythme cardiaque et qu’il y a un risque de chute.” Mais la directrice refuse de fournir une chaise à Clémence, et lui demande des précisions, malgré les documents médicaux qu’elle lui a fournis. “J'ai des nausées qui m'obligent à manger 6 à 7 fois par jour. J'ai des douleurs constantes. J'ai des problèmes gastro-intestinaux. Vraiment, ma vie, c'est de la m*rde depuis le mois de novembre, et c'est fatiguant. Mais j'ai besoin de mon salaire, je suis mère célibataire, mes enfants m'attendent.”
Une médecine sexiste qui peine à écouter les femmes
Contre toute attente, sa médecin traitante se montre coopérative et lui écrit un document qui précise l’ensemble de ses symptômes. “Ma directrice me martèle qu’un aménagement, c’est quand même contraignant.” Finalement, Clémence aura le droit à sa chaise, non sans se bagarrer avec son établissement, et non sans susciter l’agacement de ses collègues professeurs, qui lui adressent à peine la parole.
Aujourd’hui, Clémence est persuadée que le fait d’être une femme a joué dans sa (non) prise au sérieux par le corps médical et professoral. “Ma médecin, avant même de m’écouter, a évoqué mon parcours de vie. J'ai eu un mec violent. Avant lui, j'avais un bac +5 avec un boulot qui payait super bien. J'avais une très bonne super situation. Maintenant, je vis en HLM, seule avec mes enfants. Mais mon Covid et le début des symptômes datent de novembre, il n'y a pas de lien !” Malheureusement, Clémence ne peut pas changer de médecin traitant, car les autres praticiens de sa ville ne prennent pas de nouveaux patients. “En plus, je n’ai pas du tout supporté l'antidépresseur qu'elle a prescrit pour les douleurs neuropathiques : il a augmenté mon rythme cardiaque, c’est un traitement connu pour ça. Elle avait tout faux !” Alors Clémence se bat, contre une médecine sexiste, contre une administration individualiste, mais surtout pour ses enfants.
*Le prénom a été modifié.
- 1 L'hypotension orthostatique (posturale) est une baisse excessive de la pression artérielle en position debout.
- 2 La dysautonomie, aussi appelée dysfonctionnement autonome cardiovasculaire, est un dysfonctionnement du système nerveux autonome caractérisé entre autres par de l'hypotension orthostatique ou une tachycardie orthostatique posturale.
“Sex differences in sequelae from COVID-19 infection and in long COVID syndrome: a review”, une étude publiée dans la revue Current Medical Research and Opinion le 20 juin 2022.
"Apparent risks of postural orthostatic tachycardia syndrome diagnoses after COVID-19 vaccination and SARS-Cov-2 Infection", une étude publiée le 12 décembre dans Nature Cardiovascular Research.
https://www.nature.com/articles/s44161-022-00177-8
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