Un respirateur artificiel (ou ventilation mécanique assistée), communément appelé ventilateur par le corps médical, est un appareil d'assistance respiratoire, qui vise à assurer une ventilation artificielle des poumons à un malade souffrant d'insuffisance respiratoire. Concrètement, ces appareils aident les patients en soins intensifs ne pouvant pas respirer par eux-mêmes.
Les respirateurs artificiels constituent le premier moyen de sauver les nombreuses victimes du Covid-19, plongées dans une détresse respiratoire. Face à la propagation du virus et la multiplication du nombre de cas, la France a dû trouver rapidement un moyen de produire des respirateurs artificiels en quantité suffisante.
Au début de la crise générée par le coronavirus, la France disposait de 5 000 lits de réanimation. Or, le ministère de la Santé voudrait en équiper 14 000. Mais pour y parvenir, il faut pouvoir les doter du matériel indispensable : les respirateurs artificiels.
"En France, il n’existe qu’un seul fabricant de respirateurs artificiels : Air Liquide Medical Systems. Pour répondre à la crise, l’entreprise s’attelle déjà à la fabrication de 1 024 appareils d’un modèle appelé T60", explique France info. Pour produire 10 000 respirateurs artificiels, Air Liquide s'est associé à PSA, Valeo et Schneider Electric. Or, cette mobilisation vient de faire les frais d'un rebondissement : une enquête de la cellule investigation de Radio France vient de démontrer que ces appareils seraient inadaptés aux malades du Covid-19. A-t-on bien lu ? Près de 10 000 respirateurs produits pour rien ?
Covid-19 : 8 500 respirateurs Osiris fabriqués pour rien ?
Air Liquide a décidé de s'associer à PSA, Valeo et Schneider Electric pour avoir une chance de produire des respirateurs en nombre important. "Le 24 mars, un collège d’ingénieurs en électronique et d’experts en produits industriels issus de ces quatre entreprises s'est réunit pour plancher sur l’appareil qu’il serait possible de fabriquer", détaille l'enquête.
L'État a demandé que 5 000 respirateurs T60 et 5 000 respirateurs qu'on appelle Osiris 3 soit produits. Ces derniers sont utilisés depuis 1998. Le modèle T60 étant plus complexe à concevoir, Air Liquide a donc proposer de produire davantage de respirateurs Osiris 3 : soit 8 500 respirateurs Osiris et 1 500 T60.
La fabrication s'est effectuée dans un délai record de 50 jours.
" Face au besoin de respirateurs pour traiter les patients les plus sévèrement atteints par le Covid-19, Air Liquide, PSA, Schneider Electric, Valeo relèvent le défi de produire 10 000 respirateurs", a annoncé Air Liquide.
L’entreprise précise qu’elle ne réalisera aucune marge sur ces appareils. Ils seront vendus à prix coûtant, soit autour de 3 000 euros la pièce.
"Un appareil qu’on utilise dans les ambulances, mais pas dans les salles de réanimation" !
Coup de théâtre : les 8 500 respirateurs Osiris produits pourraient bien être inutilisables pour les patients hospitalisés à cause du Covid-19. "Sur son propre site, Air Liquide décrit ce modèle comme un 'ventilateur de transport léger et simple d’utilisation'. Autrement dit, un appareil qu’on utilise dans les ambulances, mais pas dans les salles de réanimation", rapporte France info au sein de leur enquête.
En outre, Philippe Meyer, médecin-réanimateur à l’hôpital Necker à Paris, fait également part de ses réticences face aux respirateurs Osiris. Et il est loin d'être le seul.
Respirateurs Osiris : des vrais dangers pour les malades du coronavirus
Personne ne semblait avoir pris conscience que la proposition d’Air Liquide risquerait de poser problème. Les 8 500 respirateurs Osiris sont des respirateurs destinés à gérer les urgences. Air Liquide décrit ce modèle comme un "ventilateur de transport léger et simple d’utilisation". Cet appareil est donc dédié aux ambulances, et non aux salles de réanimation, dans lesquelles sont admis les patients atteints du Covid-19.
Le respirateur Osiris n'est pas conforme, selon la note du Ministère de la Santé
"Le 3 avril 2020, un message transmis aux milieux hospitaliers par le ministère de la Santé et le centre de crise sanitaire précise ce que doit être l’usage de chaque modèle de respirateur dans la crise du Covid-19, relève l'enquête. Dans la liste des appareils pouvant être utilisés pour traiter des patients malades, l’Osiris 3 n’apparaît que dans la cinquième catégorie, la toute dernière. Il n’est jugé utile que dans les cas de transports les plus simples, mais pas pour une salle de réanimation où sont traités les malades à risques".
Photo : Note du Ministère de la Santé relative à l'usage des respirateurs
CAPTURE ECRAN / MINISTERE DE LA SANTE
Respirateurs Osiris : "vous avez un risque de tuer le patient au bout de trois jours"
L'avis de plusieurs médecins sur les respirateurs Osiris n'est pas non rassurant. " Ce n’est clairement pas, pour être pudique, un respirateur adapté à la prise en charge d’une détresse respiratoire aiguë compliquée, explique Philippe Meyer, médecin-réanimateur à l’hôpital Necker à Paris. On a un peu l’impression qu’on a fait un effet d’annonce pour montrer qu’on était capable de produire 10 000 respirateurs. Mais personnellement je n’utiliserai pas un Osiris en réanimation. C’est très clair".
Quant à son confrère Yves Rebufat, anesthésiste et réanimateur au CHU de Nantes, il ne prend pas de pincette : "Si vous vous en servez pour un syndrome respiratoire aigu, vous avez un risque de tuer le patient au bout de trois jours. Parce que ce n’est pas fait pour ça. Les malades du Covid ne sont pas faciles à ventiler. Il faut des respirateurs performants avec des systèmes de contrôle des pressions et des volumes. Au mieux, on peut s’en servir pour transporter un patient une demi-heure pour un scanner, mais c’est le maximum qu’on puisse demander à cet appareil", estime-t-il.
"Cette vision des choses est partagée par d’autres experts en dispositifs médicaux que nous avons consultés", assurent les enquêteurs de France info.
Respirateurs Osiris et Covid-19 : les avis divergent...
Contacté par France Info, Air Liquide se dit "étonné de ces critiques".
"Le NHS [National Health Service, le système de santé britannique] a validé ce modèle pour traiter les patients Covid. On peut l’adapter en réanimation moyennant des procédures que nous donnons aux soignants", a expliqué l'entreprise avant d'ajouter que "le choix final de l’Osiris a été fait sur recommandation des experts du ministère de la Santé, et de la Société de réanimation de langue française [SRLF]".
"Ce n’est pas avec les Osiris qu’on va ventiler des patients Covid "
Pourtant, la SRLF ne semble pas confirmer cette information. "Fin mars, son président, Éric Maury, a bien approuvé une note préconisant de prendre des précautions importantes en cas d’utilisation d’un Osiris pour des patients atteints du Covid-19 : il y est stipulé que "les respirateurs de transport 'mono-branche' type Osiris ne doivent être utilisés qu’en dernier recours".
Par ailleurs, Martin Lavillonnière, directeur administratif de la SRLF, a affirmé aux enquêteurs que son association "n’a pas été sollicitée pour rendre un avis sur quel respirateur privilégier pour une production d’urgence".
Également interviewée dans le cadre de cette enquête, Valérie Moreno, présidente d'une autre société savante, l’Association française des ingénieurs biomédicaux, affirme que "ce n’est pas avec les Osiris qu’on va ventiler des patients Covid ".
En effet, avec cette pathologie, l'état des malades se dégrade souvent tellement vite qu’il vaut mieux avoir un respirateur qui convienne dès le départ".
"Il s’agissait de la meilleure solution disponible", assure le gouvernement après coup
À l'heure, ou cette enquête suscite la polémique, le gouvernement a tenu à faire une mise au point.
Les 8 500 respirateurs du modèle Osiris sont respirateurs d’urgence et de transport, "bénéficiant de toutes les certifications utiles par les agences sanitaires, dont le marquage CE, assure le gouvernement. Leur usage en service de réanimation, en cas d’indisponibilité de respirateurs plus lourds et en dernier recours, avait été validée par les deux sociétés savantes françaises de réanimation, la société française d’anesthésie et de réanimation et la société de réanimation de langue française".
"La commande passée à Air Liquide l’a été à un moment où le nombre de patients admis en réanimation continuait de croître très rapidement, et où il apparaissait absolument nécessaire de sécuriser la capacité à armer un nombre de lits de réanimation beaucoup plus importants. Il s’agissait de la meilleure solution disponible pour garantir la capacité à armer des lits, dans un contexte où tous les pays du monde tentaient d’accroître leurs stocks de respirateurs", explique encore le gouvernement, avant d'ajouter que cette solution a permis d’éviter de "recourir aux solutions de fortune constatées dans certains pays, comme le fait de brancher deux patients à un même respirateur. C’est donc un choix de prudence et de responsabilité".
ENQUÊTE FRANCEINFO. Coronavirus : la France fabrique-t-elle en toute urgence des respirateurs artificiels inadaptés ?, France info, 23 avril 2020
Recevez encore plus d'infos santé en vous abonnant à la quotidienne de Medisite.
Votre adresse mail est collectée par Medisite.fr pour vous permettre de recevoir nos actualités. En savoir plus.