Anosmie : portrait d'une vie sans odeurAdobe Stock

On imagine souvent que perdre la vue ou l’ouïe est la pire des choses. Mais si l’Homme est doté de cinq sens, c’est qu’ils comptent tous autant les uns que les autres comme le rappelle Pierre-Emmanuel Chollet, anosmique de naissance et vice-président de l’association anosmie.org.

Car vivre sans odeur, revient à vivre dans une bulle au milieu des autres. Pour Pierre-Emmanuel, tout commence alors qu’il est tout jeune. “Régulièrement, mes parents me demandaient de sentir les plantes aromatiques du jardin. Ils avaient l'air heureux de les rapprocher de leurs nez et disaient qu'elles sentaient bon", se souvient-il. “Ça avait l’air incroyable ! Je voyais bien que quelque chose fonctionnaiy chez tout le monde, sauf moi".

Car voilà comment le jeune garçon le perçoit : un simple geste, sans effet. Pas d’odeur de menthe qui monte au nez ou celle du parfum des fleurs d’été, pas non plus celle du gel fraîcheur parfum lavande que l’on trouve dans les salles de bain de nos grands-mères.

Un sentiment de décalage

Alors, comme il ne comprend pas ce qu’il est censé distinguer, ou même la définition du mot, il ressentait, à cette époque, “un sentiment mêlé de curiosité et de honte à ne pas réussir à faire pareil que les autres”. Alors, les parents de Pierre-Emmanuel tentent à nouveau l’expérience, plusieurs fois, sur toute sorte d’objet, mais le jeune garçon se sent différent, exclu de ce monde d’odeurs, et se renferme sur lui : “quand on me demandait de tester, je mentais et je disais que oui, ça sentait bon..."

Et puis, un jour, ce sentiment d’être à l’écart le pesait trop : “j’ai pris mon courage à deux mains, et j’ai dit à mes parents que je ne sentais rien. Ils se sont demandé ce que j’avais”. Pierre-Emmanuel, accompagné de ses parents, commence alors un parcours médical. “A l’âge de 4 ans et demi, j’ai eu rendez-vous chez un médecin qui a écrit “anosmie” sur mon carnet de santé”. Mais quant à la raison de cette anosmie, malgré plusieurs examens ultérieurs, rien n'est abordé. Le mot est posé là, sans plus d’explication.

Une adolescence différente

Et, puis, tout change quand ses hormones se mettent à s’agiter. Pour tous les adolescents, la période de puberté est complexe, elle l’était d’autant plus pour Pierre-Emmanuel. “Il faut non seulement comprendre que l'environnement a une odeur, mais que c'est aussi le cas de son propre corps, et qu'elle change à cette période de la vie. Les proches ont un rôle crucial pour avertir de la situation, et des jugements de valeur qui peuvent être liées aux odeurs corporelles".”

Alors, au fur et à mesure qu’il avançait dans la vie, le jeune homme a développé des astuces pour pallier son handicap : “je m’aide de mes proches pour avoir un nez de substitution”. Poussé par son envie de comprendre son cas, il décide finalement de se rendre à nouveau chez les médecins. “J’ai repris à zéro un parcours de diagnostic beaucoup plus tard, à 25 ans, j’ai choisi de me réinterroger.” Car, jusqu’ici, son anosmie n’était pas prise au sérieux.

Assis sur la chaise dans le cabinet du médecin, certains professionnels de santé lui ont simplement balancés : “on m'a notamment dit que, de toute façon, ce n'est pas grave, que l'odorat ne sert pas beaucoup, et que si ce que je dis est vrai, ça reviendra peut-être. On remettait même en cause ma parole !”. C’est en reprenant son parcours médical qu’il a finalement appris ce qui causait son anosmie : non pas un traumatisme ou des sinusites, “mais une absence de bulbe olfactif”.

Se débrouiller

Durant toutes ces années, Pierre-Emmanuel a dû constamment s’adapter à tous les petits soucis du quotidien. Comment faire pour sentir un début d’incendie, une fuite de gaz, un aliment périmé ? Pour répondre à ces besoins, il a dû installer des alarmes, et a pris l’habitude de noter les dates d’ouverture des produits périssables.

Jusqu’ici, peu de personnes pouvaient comprendre que l’anosmie avec laquelle il doit traiter au quotidien était un véritable handicap. Mais “ça a changé depuis la Covid, une partie de la population a perdu l’odorat, ça a changé le regard des gens, ils se demandaient comment faire...”

Depuis, il s’engage dans l’association anosmie.org qui a même sorti un livre pour alerter sur l’anosmie chez l’enfant. Parce qu’être anosmique toute sa vie n’est pas une chose facile, qu’il faut l’accepter pour avancer, et parce que “même les mauvaises odeurs, on aimerait les sentir”, Pierre-Emmanuel Chollet continue son combat.

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