Maladie chronique, ma meilleure ennemie : Adobe Stock
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Tout a commencé par une simple tendinite. Du moins, c’est ce qu’elle pensait. Quand les douleurs se sont installées durablement - un mois, deux, trois, puis un semestre complet - Émilie a réalisé que quelque chose n’allait pas. À l’époque, elle n’a que 18 ans, et elle commence ses études. Nous sommes dans les années 1990, et la fibromyalgie est encore largement sous-documentée.

“Mon médecin n’y croyait pas trop, alors je suis allée voir des spécialistes, dont certains me disaient qu’il fallait creuser, sans véritablement poser de diagnostic. Je suis retournée voir mon médecin traitant, qui m’a dit que si fibromyalgie il y avait, de toute façon, il n’existait pas de traitement car on ne savait pas d’où ça venait. Finalement, c’est un endocrinologue qui a posé le diagnostic.”

Fibromyalgie : une “maladie de femmes” à laquelle la recherche ne s’intéresse pas

“La fibromyalgie, ou syndrome fibromyalgique, est une affection chronique caractérisée par des douleurs diffuses persistantes et une sensibilité à la pression. Le plus souvent, ces douleurs sont associées à d’autres signes évocateurs comme une fatigue intense, des troubles du sommeil, etc. Ces symptômes ont pour conséquence une diminution de la capacité à effectuer les activités de la vie quotidienne. Ce retentissement est variable d’une personne à l’autre et peut évoluer dans le temps”, indique l’Assurance Maladie. Il existe à ce jour peu de connaissances sur les causes et sur le fonctionnement neurologique de la fibromyalgie. Aussi passe-t-elle encore souvent sous les radars.

On sait néanmoins que les personnes fibromyalgiques ont une perception de la douleur différente : “Les voies de contrôle de la douleur au niveau du système nerveux central sont altérées” et “les neurotransmetteurs au niveau des cellules neurologiques sont perturbés”, explique Ameli. D’où une allodynie, soit une douleur lors de contacts très légers, ainsi qu’une hyperalgésie, soit une perception beaucoup plus importante de la douleur.

Pourquoi la fibromyalgie est-elle si méconnue ? Plusieurs raisons : les douleurs diffuses ressenties sont invisibles. De là à dire que c’est “dans la tête” et à ne rien diagnostiquer, il n’y a qu’un pas. Ensuite, jusqu’à 90% des personnes touchées par cette affection sont des femmes, et celles-ci sont davantage victimes de stéréotypes de genre défavorables, comme la présomption d’hystérie ou d’anxiété.

Enfin, les maladies dites féminines intéressent moins la recherche. Selon une étude parue dans la revue Science en 2021, les équipes de recherches composées principalement d’hommes se focalisent sur les besoins des hommes. Spoiler : la plupart des équipes de recherche sont composées essentiellement d’hommes (les chercheuses ne représentent que 25% des brevets déposés entre 2018 et 2020).

“Mes camarades me prenaient pour une malade imaginaire”

Pendant ses études, Émilie n'a que des amitiés passagères. Et pour cause : les activités de groupe l’épuisent et lui font mal. De plus, elle ne connaît pas encore sa maladie, et il est difficile pour son entourage de comprendre ce qu’elle a.

“Je parlais de mes douleurs en permanence et cette attitude faisait le vide autour de moi, ce qui explique aussi que je papillonnais d'un groupe à l'autre. C'était compliqué pour mes camarades, ils me prenaient pour une malade imaginaire. J'avais vraiment envie de pouvoir mettre un nom sur mes maux et dire : “Vous voyez, je n'invente pas.””

Émilie paraît étrange, et puis elle ressasse beaucoup. Elle le reconnaît aujourd’hui : elle n’était pas franchement facile à vivre. “Je comprends que les gens se soient détournés et que les amitiés n'aient pas été solides. En même temps, j'étais incapable de faire autrement.”

“On oublie que je suis fibromyalgique”

C’est après la trentaine qu’Émilie réussit à se détacher, un peu, de sa fibromyalgie, et qu’elle peut lier des amitiés. C’est aussi une période de sa vie où le diagnostic est enfin posé, ce qui l’aide à avancer. “Maintenant, je ne cache pas que je suis fibromyalgique parce que je veux que les gens comprennent, je le place presque en préambule”, assure celle qui est aujourd’hui mère d’une petite fille de 6 ans. “Je continue à travailler et je suis active socialement.”

D’où un autre problème, venu avec le temps : les personnes autour d’elle oublient qu’elle est malade, et que chaque activité du quotidien la fait souffrir. Émilie, qui approche de la cinquantaine, pense par ailleurs que cette période de la vie rend plus sensible - et plus apeuré - par la maladie, d’où une forme de déni chez certains de ses proches.

“Autour de la cinquantaine, on a tous un truc plus ou moins grave, une pathologie, un souci de santé, un petit pépin. Moi, j'ai construit ma vie autour de ma pathologie, donc ce n’est pas une angoisse. J'ai l'impression d'être une grand-mère depuis mes 18 ans.”

Aucun ami avec qui parler librement de sa maladie

Avec qui peut-elle parler librement de sa fibromyalgie, à part avec le corps médical ? Personne, assure-t-elle. "J'estime que les amis ne doivent pas être le réceptacle de mes angoisses. Pour cela, il y a des médecins, des psychologues, et tout un cortège de professionnels de santé qui peuvent être à mon écoute de manière très régulière. Cependant, c'est important de pouvoir exprimer auprès de mes amis les moments où ça va moins bien, sans pour autant tout déballer, mais tous les amis n'ont pas la même écoute."

Émilie les classe en 3 catégories :

  • ceux qui font comme si la maladie n’existait pas
  • ceux qui donnent des conseils non sollicités
  • ceux qui sont eux-mêmes malades et préfèrent éviter le sujet

Quant à rejoindre des groupes de paroles de fibromyalgiques, c’est hors de question. “Je me souviens d'une balnéothérapie, il y en avait un paquet, c'était le bureau des pleurs en permanence. Ça finit par prendre la tête. J’ai dû supporter ce que j'ai fait subir aux autres pendant des années. J'entendais des gens rabâcher toujours la même chose, sans finalement se prendre en main.”

“Avec la maladie, on est obligé de réévaluer son jugement assez souvent”

Au fil du temps, Émilie a dû faire un tri radical dans ses amitiés. “On est obligé de réévaluer son jugement assez souvent. J’ai une amie qui fait comme si ma pathologie n’existait pas. Ça, c'est juste pas possible, parce que ça veut dire que je n'existe pas non plus. Si elle ne change pas, à un moment, je ne vais pas insister. Je ne vais pas me rendre malheureuse à cause d’une amitié qui ne va pas dans le bon sens”, constate la mère de famille.

Elle poursuit, philosophe : “Il y a eu plein de moments où je me suis éloignée de gens comme ça. Ca s’est fait naturellement parce que c’est la vie. Il y a aussi des périodes où on perd de vue certaines personnes, sans pour autant s'être engueulé. Je n’ai pas de ressentiment parce qu'on a le droit d'évoluer. On est blessé de voir les gens s'éloigner, mais je me dis qu'ils sont malheureux aussi. Chacun fait ce qu'il peut.”

Sources

"Définition et causes de la fibromyalgie", une fiche d'Ameli.

https://www.ameli.fr/assure/sante/themes/fibromyalgie/comprendre-fibromyalgie#:~:text=La%20fibromyalgie%2C%20ou%20syndrome%20fibromyalgique%2C%20est%20une%20affection%20chronique%20caract%C3%A9ris%C3%A9e,des%20troubles%20du%20sommeil%2C%20etc.

"Who do we invent for? Patents by women focus more on women’s health, but few women get to invent", une étude parue dans Science le 18 juin 2021.

https://www.science.org/doi/10.1126/science.aba6990

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