Maladie chronique, ma meilleure ennemie : Adobe Stock
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Tout est allé très vite. Un licenciement abusif, deux naissances rapprochées et difficiles à gérer et le décès brutal d’un père aimant. Puis le déclassement social, la perte de repères et l’incompréhension face au monde qui l’entoure. Nathalie*, 49 ans, est en dépression sévère depuis 14 ans. En Belgique, sa maladie lui donne le droit à une pension d’invalidité. Régulièrement, la mère de famille voit sa psychologue et son psychiatre, mais la maladie demeure.

“La dernière fois que j’ai vu mes amies, c'était en janvier 2021”

Peu à peu, Nathalie est devenue une autre. Elle qui avait tout, en surface, de la vie de rêve, n’est plus que l’ombre d’elle-même. “Je collais au stéréotype de la working girl qu'on nous a vendu et qu’on nous a fait bouffer. Je m'étais construite là-dessus”, constate aujourd’hui la quasi-quinqua. Cette image, elle l’avait aussi construite vis-à-vis de ses amies proches. Depuis le début de sa dépression, leurs rapports se sont distendus. Jusqu’à disparaître : “La dernière fois que je les ai vues physiquement, c'était en janvier 2021.”

Tout a commencé en 2009. “J’ai pris un congé parental qui n'a pas plu à la nouvelle direction de mon entreprise. On m'a fait comprendre que ce n’était pas la peine de revenir. Mon second fils est arrivé très vite. Puis il y a eu le décès de mon père. J’ai essayé de trouver un travail, mais j'avais un trou dans mon CV, donc ça devenait compliqué. Je suis tombée enceinte de mon deuxième enfant et j'ai continué à passer des entretiens. Mais à cause de cette grossesse, personne ne voulait de moi.”

“Personne n’accepte vraiment ma dépression”

Nathalie, qui travaillait dans les ressources humaines, tombe de haut. Elle qui connaît très bien les compétences requises par les sociétés où elle postule effraie les employeurs à cause de son congé maternité à venir, malgré ses compétences. Alors c’est la spirale. “J'avais déjà connu des licenciements. À chaque fois, j'avais dû me remettre en selle. Au bout d'un moment, je n’arrivais plus à comprendre pourquoi ça me tombait toujours dessus. Et là, mon père est mort d'un cancer fulgurant.”

Après plusieurs mois de détresse, elle finit par consulter une psychologue. 3 semaines plus tard, le verdict tombe : Nathalie est en dépression. “J'en parle autour de moi, mais personne ne l’accepte vraiment”, se souvient-elle amèrement. Il faut dire que Nathalie a toujours été d’un naturel jovial et blagueur. Aussi ses amies pensent-elles que ce n’est qu’une passage, que la working girl va rebondir. “La réaction typique, c’est : “Mais non, t’as juste un coup de mou.” On me renvoie tout de suite à cette image de femme forte, et je dois le rester.”

Face à la maladie, l’impuissance des amies

Les mois passent et Nathalie suit religieusement sa thérapie. Elle voit également un psychiatre. En parallèle, elle fait du yoga, de la méditation… En d’autres mots, elle “se bouge”. “Je fais tout pour aller mieux. Je m'accroche à l'idée qu’au bout d'un moment, il va y avoir un déclic qui va me remettre en selle. Cependant, je commence à constater qu'au niveau social, c’est très difficile.”

Et pour cause : ses amies, impuissantes face à la maladie, ne trouvent pas les mots pour réconforter Nathalie. “Le fameux proverbe selon lequel l'enfer est pavé de bonnes intentions se vérifie. Une amie me dit qu’il “faut vouloir aller mieux”. Une autre fait l'autruche. On ne peut jamais vraiment parler de mes rendez-vous avec ma psy. C’est toujours : “On va aller boire un verre, on va aller se saouler, tu vas voir, on va se marrer, ça va aller mieux.” Pire, on me dit de laisser mes enfants à mon mec et de partir en vacances. Mais quand vous partez en vacances, la dépression, elle vient avec vous dans les valises !”

“C’est comme une succession de micro-deuils”

Alors Nathalie s’éloigne elle aussi. “Avant, j’adorais aller au resto, au ciné. Bref, une trentenaire comme on peut en voir dans toutes les grandes villes. Et puis avec la dépression, on n’a plus de plaisir à faire quoi que ce soit. Tout devient obligation. C’est comme une succession de micro-deuils qu'il faut faire au fur et à mesure qu'on découvre la maladie. En même temps, on ne sait plus trop comment se présenter à ses amis.”

La mère de famille se persuade elle-même qu’elle n’en vaut pas la peine, qu’elle ne va pas déranger ses proches avec ça. “Elles parlent de leurs activités, des histoires de bureau. Je n’arrive plus à me retrouver là-dedans. Au bout d'un moment, je suis devenue la copine qui ramène toujours les mauvaises nouvelles. Le boulet. Qu'est-ce que je pouvais raconter de ma vie ? Ce n’étaient que des problèmes.”

“Je sentais qu’elles étaient soulagées par cette distance”

Nathalie reste chez elle, à réfléchir, trop. À ressasser son passé, ses erreurs, à angoisser pour son avenir. “Je commence à me rendre compte qu’au lieu d'aider des gens à trouver du travail, j’ai fait partie d’un système capitaliste dans lequel j’ai donné la possibilité à des gens qui gagnent déjà bien leur vie de gagner encore plus. Je n'avais plus d'identité professionnelle, plus de statut social. J’étais mère au foyer, mais pas par choix.”

Les dernières forces qui lui restent la quittent progressivement. Même répondre à un message devient impossible. "Je n'ai pas été la meilleure pote. Il y a la culpabilité qui joue aussi : on sait qu’on n’est plus présent pour nos amis. On se rend compte qu'on n’a plus d'énergie pour les autres, pour la vie des autres, pour les soucis des autres, pour les joies des autres. Je me dis qu’elles ont continué à avancer, et que moi, je stagne. Au fur et à mesure, le temps passe. Et comme elles ont du mal à entrer en communication avec moi, elles respectent la distance. Pourtant, quelque part, je sentais qu’elles étaient soulagées.”

“Petit à petit, on tombe dans un isolement total”

Les rares fois où Nathalie réussit à sortir pour voir du monde, la sensation de mal-être s’accentue, et elle rentre chez elle dans un état pire encore. “Quand on ne ressent plus rien de positif, quand un moment supposé être agréable à passer en compagnie de ses amies n'est que le rappel qu'on ne ressent pas ce fameux positif, on finit par se sentir encore plus seule et déconnectée. Les lendemains deviennent de plus en plus difficiles à gérer... Finalement, petit à petit, on tombe dans un isolement total.”

Aujourd’hui, Nathalie est toujours aussi seule. Elle constate cependant que l’exercice du témoignage, même s’il est laborieux, est une étape de plus vers la guérison. E lle sait, aussi, que ses amies ne sont qu’à un coup de fil et que si, un jour, l’énergie lui revenait pour revenir vers elles, elles seraient fidèles au poste.

*Son prénom a été changé.

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