Il était plus qu'attendu. Mais l'essai Discovery déçoit bon nombre de spécialistes. Lenteurs pour enrôler des patients, coopération européenne qui patine… Presque deux mois après son lancement, Discovery est qualifié de "fiasco" par certains spécialistes. On fait le point sur les raisons de ce désamour.
Essai clinique Discovery : un projet trop ambitieux ?
Derrière le mot étrange "Discovery" se cache un essai clinique européen très attendu. Evolutif et mené à grand échelle, tous les espoirs reposent sur lui pour traiter les malades Covid-19 atteints d'une forme sévère du virus.
Dans cet essai coordonné par l'Inserm, expliqué de manière simple par le gouvernement dans cette vidéo, l’hydroxychloroquine est évaluée, aux côtés du remdesivir, du lopinavir et du ritonavir, ces deux derniers associés ou non à l’interféron bêta.
Il s’agit d’un essai randomisé ouvert : c'est-à-dire que le choix du traitement pour chaque patient a lieu de façon aléatoire, mais patients et médecins savent quel traitement est utilisé.
Mais malgré ses allures d'essai "d'envergure", Discovery rencontre de nombreuses difficultés. Celui-ci ressemble même de plus en plus à un "fiasco européen" selon de nombreux chercheurs.
D'après Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Bichat (Assistance publique-Hôpitaux de Paris, AP-HP) interviewé par Le Monde, c'est une catastrophe :
"Franchement, Covid et l’Europe, c’est un échec ! Chaque pays a travaillé pour lui, et on a beaucoup de mal à coopérer. Seul le Luxembourg nous a rejoints…", déplore l'infectiologue.
Pour lui, il serait essentiel d'avoir un réseau européen pour disposer de résultats à grande échelle plus rapidement.
Un nombre de patients insuffisants
Les chercheurs tablaient sur 3 200 patients en Europe, dont au moins 800, gravement atteints par le Covid-19, en France. Mais aujourd'hui, nous en sommes très loin : seuls 740 malades se sont portés volontaires.
Or, d'après les estimations des méthodologistes de l'essai, pour s'assurer de l'efficacité ou non d'un traitement, "il faudrait au moins 600 patients par bras", c'est à dire par traitement testé.
"Bref, il faut des études bien faites sur un grand nombre de patients. C’est impossible de se baser sur des impressions, des intuitions et des petits groupes de patients, même si on est une sommité !", rappelle Dominique Costagliola, épidémiologiste à l’Inserm dans le média Les Jours.
Ce nombre trop faible de patients peut s'expliquer en partie par le fait que l'hydroxychloroquine a été ajoutée au dernier moment au programme européen.
En effet, comme le raconte le média, la popularité de cette molécule pourrait avoir un effet contre-productif sur l'avancée de la recherche.
Les chercheurs peinent à attirer de nouveaux participants puisque les patients qui acceptent d'être des cobayes s'exposent au risque de recevoir des soins standards (placebo), et non la molécule. Au vu de la réputation de l'hydroxychloroquine, les malades ne sont donc pas "prêts" à recevoir un simple placebo.
Autre déception, cette fois-ci au niveau européen : l'essai, qui devait être lancé dans 7 pays, n'a finalement pas atteint ses promesses : un seul patient seulement a été inclus hors de France, au Luxembourg, a reconnu l'infectiologue Florence Ader, qui pilote l'étude.
Discovery : des dépenses trop importantes
Aujourd'hui, des discussions sont en cours avec l'Union européenne pour débloquer un budget dédié à l'essai Discovery. Car chaque patient testé coûte entre 4 500 et 5 000 euros - or, certains pays ne peuvent se permettre de telles dépenses.
Ce qui explique sûrement en partie le peu d'engagement dans cet essai de la part de nos voisins européens.
Olivier Véran a relevé ce manque, ce lundi 11 mai "l’essai Discovery est un essai européen. Nous, on a inclus un nombre de malades qui correspond à ce qui était attendu. Les autres pays autour de nous, hélas n’ont pas suivi en termes d’étude clinique. Ce qui veut dire que la cohorte, le nombre de malades n’est pas aussi élevé que ce qu’on espérait". Il a précisé que ce n’était "pas du fait de la France".
Il n'empêche que Discovery devait être le programme "de tous les espoirs" et que les chercheurs se rendent désormais qu'il faudra encore des mois avant de trouver le traitement "miracle" contre le Covid-19.
De manière générale, le ministre de la Santé a souligné que les résultats des premières études menées sur le territoire français laissent globalement à désirer. "Ce n’est pas génial", a-t-il affirmé tout en citant CORIMUNO-19, une étude parisienne de grande envergure qui a récemment testé "beaucoup de médicaments". Mais il a également ajouté que "pour l’instant on n’a pas de traitement miracle".
Il a ensuite relativisé en soulignant qu'au total, une trentaine d’essais cliniques sont encore en cours : "Je vais vous dire un truc. Statistiquement, si un pays doit trouver un médicament qui marche, il y a de bonnes chances que ce soit le nôtre".
Covid-19 : pas de médicament "miracle"
Ce lundi 11 mai, un comité indépendant devait se réunir pour analyser les données recueillies et dire si un "signal d'efficacité" se dégageait pour l'un des traitements testés.
Les quatre traitements évalués n'étant pas des molécules conçues spécifiquement pour cibler le nouveau coronavirus mais des médicaments déjà existants.
C'est pourquoi on s'attend à ce qu'ils aient une efficacité "partielle", a expliqué l'infectiologue Florence Ader, auditionnée par le Sénat.
En dépit des espoirs importants, notamment ceux placés par certains chercheurs et responsables politiques dans l'hydroxychloroquine, il ne faut pas s'attendre à une "molécule miracle", car sinon, les chercheurs qui ont démarré des essais plus tôt, en Chine et en Italie, "l'auraient déjà trouvée", prévient-elle.
La prudence est donc de mise. D'ailleurs, pour tous les traitements intégrés dans l'essai, tous ne sont pas "validés" par la communauté scientifique.
L’association de deux médicaments anti-VIH, le lopinavir et le ritonavir, n’a ainsi pas encore concrétisé ses promesses. Une étude chinoise publiée dans le NEJM le 19 mars a conclu que ce traitement ne permettait ni de réduire ni la mortalité, ni la durée de rétablissement. Certaines données suggéraient toutefois une efficacité en cas d’administration précoce.
Du côté de l'hydroxychloroquine, des spécialistes en pharmacologie estiment que pour qu’elle agisse, il faudrait l’administrer à des doses extrêmement élevées, qui seraient toxiques voire mortelles.
Une seule certitude dans cet amas de doutes : les résultats intermédiaires de l'essai clinique Discovery seront bel et bien présentés jeudi, a déclaré mercredi la porte-parole du gouvernement français Sibeth Ndiaye.
Covid-19 : «Sur les essais cliniques, l’Europe est un échec», 1 mai 2020, Le Monde.
Coronavirus : pourquoi l'essai européen Discovery ne donne toujours rien, LCI, 11 mai 2020.
Hydroxychloroquine : fausse route et bruyant Raoult, 24 avril 2020, Les Jours.
Essai Discovery: «aucun médicament n’a montré une efficacité suffisante» selon Olivier Véran, l'Union, 11 mai 2020.
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