Expliquez-nous pourquoi vous avez pensé à écrire des lettres à l'utérus ?
Marlène Schiappa : Un double constat : d'abord dans l'espace médiatique, il y a une séparation claire entre d'un côté les mères, pures et saintes, sacrificielles... et de l'autre les femmes sexualisées. D'ailleurs les journalistes sont spécialistes de la maternité, ou bien de la sexualité. C'était une volonté claire de ma part de faire se rencontrer dans un même espace les icônes de ces deux mondes... Et puis l'utérus est un organe réellement tabou.
À l'origine il y a un lecteur qui m'a écrit une fois dans un commentaire : "Vous pensez avec votre utérus..." je me suis interrogée, que voulait-il dire par là ? Était-ce une insulte de penser avec son utérus ?
Avec cette publication originale et engagée, quel est le message que vous souhaitez faire passer ?
D'abord mettre en valeur, sur la forme, le talent incroyable des auteures. Il y a 16 femmes, intellectuelles, artistes, écrivaines, actrices... qui sont à la fois drôles et émouvantes. Leurs lettres secouent complètement. Sur le fond, j'ai eu envie de briser des tabous : oser dire publiquement, par exemple, que l'on prend la pilule en continu en dépit des risques médicaux pour bloquer ses règles, c'est très fort. Envisager l'utérus comme un objet connecté, c'est aussi extrêmement original !
L'utérus est-il autant blacklisté que le clitoris ?
C'est différent, le clitoris est aussi blacklisté c'est vrai, mais il a une fonction clairement sexualisée. Pour l'utérus c'est différent, car il est un organe reproductif, c'est-à-dire à la croisée de la sexualité et de la parentalité...
On lui assigne donc une fonction et les femmes n'ont pas le droit par exemple, de le détester. À cet égard, je trouve bien plus fort d'écrire à son utérus qu'on le met à la retraite, plutôt que d'écrire cela à son clitoris. Écrire à son utérus qu'on le vire, ça signifie que l'on envisage d'avoir une sexualité récréative et l'affirmer alors qu'on est une mère de famille, c'est subversif !
Pourquoi la sexualité des femmes (et les appareils génitaux féminin a fortiori) sont-ils toujours aussi tabous ?
Il n'y a qu'à voir les publicités pour les protections hygiéniques: le sang des règles est bleu ! La recherche pour les maladies liées à l'utérus, le papillomavirus, le cancer du col de l'utérus, l'endométriose... n'avance pas aussi vite que d'autres. Si les hommes avaient la ménopause, gageons que des traitements anti bouffées de chaleur existeraient déjà !
À travers les différentes lettres rédigées, on sent une forme de colère, d'agacement, de rejet même, des femmes envers leur utérus. Comme s'il était indépendant de leur corps, qu'il ne leur appartenait pas vraiment...
L'idée était d'écrire à un organe de son propre corps : la mise à distance. La personnalisation... l'une de nos auteures appelle son utérus "Britney". Ca donne lieu à des scènes extraordinairement insolites. Mais je trouve aussi leurs lettres tendres, pas uniquement vaches. On trouve aussi un poème, une chanson, une ode à l'utérus...
Le but de Lettres à mon utérus est de transgresser un peu cet interdit et de briser un tabou, en abordant tranquillement la question du corps des femmes, certes intellectualisée (via des lettres) mais vraiment crument. On peut aussi penser que les femmes sont plus softs que les hommes quand elles parlent de sexualité... Lettres à mon utérus nous démontre que ce n'est pas le cas !
Lettres à mon utérus (édition La Musardine), ouvrage dirigé par Marlène Schiappa. 14 euros
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