Des chercheurs du Centre d’Infection et d’Immunité de Lille, plus grosse unité de recherche implantée à l’Institut Pasteur de Lille, et leurs collègues de l’INRAE (Institut national de la recherche agronomique) révèlent dans une nouvelle étude que les perturbations du microbiote intestinal engendrées par le virus de la grippe pourraient jouer un rôle dans des surinfections bactériennes secondaires.
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Pourquoi il ne faut pas garder sa prothèse dentaire la nuitLe microbiote intestinal, vaste communauté́ de micro-organismes résidente de l'intestin pourrait être à l’origine d’infections pulmonaires s’il se trouve perturbé par une grippe.
Le virus de la grippe affecte parfois les alvéoles pulmonaires et peut ainsi causer une pneumonie virale. Par la suite, le système respiratoire se trouve fragilisé et peut laisser place à une surinfection bactérienne plus sérieuse.
S’il s’avère que le microbiote intestinal est l’un des coupables, on pourrait espérer de nouvelles perspectives dans le traitement des pneumonies bactériennes, cause importante de décès chez les patients âgés ou vulnérables, infectés par la grippe, mais aussi par le coronavirus.
Grippe : un risque de pneumonie après 65 ans
Pour rappel, la grippe résulte d’une infection due au virus Influenza et frappe des millions de personnes chaque hiver.
"Après une incubation d'un à trois jours, une forte fièvre – dépassant parfois les 39°C – apparaît brusquement, décrit l’Inserm. Elle est accompagnée d'une toux sèche, de maux de tête, de douleurs musculaires et articulaires, et d'une fatigue générale".
Si la plupart des malades guérissent en une à deux semaines, la grippe peut prendre une tournure dramatique chez d’autres patients, entraînant une hospitalisation, voire un décès.
"Ces formes graves concernent les nourrissons et, surtout, les adultes de plus de 65 ans, poursuit l’Inserm. Les personnes souffrant d'une maladie chronique, ou immunodéprimées, courent également un risque". Parmi les complications les plus fréquentes, on retrouve :
- la pneumonie, due à une surinfection bactérienne ;
- l'exacerbation de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO)ou de mucoviscidose ;
- la décompensation de l’asthme.
L'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) totalise chaque année entre 3 et 5 millions de cas graves de grippe dans le monde, entraînant de 250 000 à 500 000 décès.
Grippe : votre manque d’appétit vous met en danger de mort !
Des études antérieures démontraient déjà l’impact de la grippe sur le microbiote intestinal. Néanmoins, aucun chercheur n’avait encore découvert que les altérations de ce microbiote provoquées par la grippe pouvaient avoir des conséquences sur l’immunité pulmonaire. C’était là l’objet d’une recherche menée sur des souris, par des chercheurs français, publiée le 3 mars dernier au sein de la revue américaine Cell Reports.
Pour rappel, le microbiote intestinal regroupe un ensemble de bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes et essentiels à votre organisme. Appelé aussi flore intestinale, le microbiote joue un rôle essentiel dans vos fonctions digestives, métaboliques, immunitaires et neurologiques. Il constitue ainsi une "piste sérieuse pour comprendre l’origine de nombreuses maladies", rapporte l’Inserm.
Des bactéries comme E.colis plus nombreuses dans l’intestin des souris grippées
Les chercheurs ont étudié la composition du microbiote de souris infectées par le virus Influenza et l’on comparé à celle de souris en bonne santé. Chez les souris grippées, la quantité de bactéries -indispensables à l’organisme- s’est avérée diminuée par rapport à celle révélée chez les souris saines.
À l’inverse, des bactéries pathogènes telles que E.colis étaient plus nombreuses au sein des intestins des souris grippées. On ne peut donc nier la perturbation du microbiote en cas de grippe. Une perturbation néanmoins "transitoire", détaille un des chercheurs infectiologue. Quatorze jours après l’inoculation du virus, le microbiote retrouverait sa composition originelle.
Photo : Escherichia coli, une des nombreuses espèces de bactéries présente dans la flore intestinale.
Crèdits: Rocky Mountain Laboratories, NIAID, NIH - CC - Licence : domaine public https://commons.wikimedia.org/wiki/File:EscherichiaColi_NIAID.jpg
Grippe : le manque d’appétit perturbe votre microbiote
L’hypothèse des chercheurs semble simple. Ce phénomène serait dû à la perte d’appétit, symptôme courant de la grippe. Les restrictions caloriques et la réduction de la prise alimentaire modifient la composition du microbiote intestinal.
Pour confirmer cette théorie, les chercheurs ont fourni à des souris saines une ration alimentaire minime et équivalente à celle acceptée par les souris grippées.
" Nous avons alors observé chez la souris saine sous-alimentée une dysbiose [modification du microbiote, ndlr] comparable à celle décrite chez la souris malade", observe François Trottein, directeur de l’équipe des chercheurs.
Comment la perturbation du microbiote peut-elle mener à une complication pulmonaire ? Réponse page suivante.
Comment le microbiote peut causer une infection pulmonaire ?
Pour pousser leurs recherches encore plus loin, les scientifiques ont voulu trouver le lien entre modification du microbiote et infection pulmonaire.
Ces derniers ont donc prélevé des échantillons du microbiote perturbé chez des souris grippées et les ont implantés dans des souris saines. Contre toute attente, elles ont été confrontées à des bactéries de l’espèce Streptococcus pneumoniae, première cause de pneumonie bactérienne chez l’Homme. La perturbation du microbiote a donc effectivement un rôle dans la survenue de complications pulmonaires après une grippe.
Grippe : certaines molécules agissent sur l'immunité de vos poumons
L’étude semble évoquer la capacité de certaines bactéries intestinales à produire des acides gras à chaîne courte (AGCC), molécules capables d’atteindre les cellules immunitaires présentes dans les alvéoles pulmonaires. Ces AGCC, tels que l’acétate, sont produits dans l’intestin par certaines bactéries du microbiote lors de la fermentation des fibres alimentaires et pourraient agir sur l’immunité de vos poumons. Chez les souris grippées et sous-alimentées, la concentration d’AGCC s’est avérée diminuée. Et ces dernières ont ainsi toutes été exposées à une complication pulmonaire.
Un espoir de traitement ?
Mais lorsque ces souris ont été traitées par l’acétate, leur sensibilité semble avoir diminué. Les acides gras comme l’acétate pourraient donc avoir une action protectrice face aux complications pulmonaires en cas de grippe et palier à la restriction alimentaire générée par la maladie.
Gut Dysbiosis during Influenza Contributes to Pulmonary Pneumococcal Superinfection through Altered Short-Chain Fatty Acid Production, Cell Report, 3 mars 2020
Grippe, Inserm
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