No fap : arrêter totalement de se masturber, bon ou risqué ? Istock
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Le visionnage de contenus pornographiques est une pratique répandue, qui gagne du terrain chez les plus jeunes. Considéré comme un fléau de santé publique, car à risque de banalisation de certains comportements et stéréotypes sexistes, selon le Haut conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, l’hyperconsommation de porno peut aussi affecter la sexualité des hommes. En excès, le visionnage de ce genre de contenus pourrait entraîner des troubles de l’érection ou encore malmener la libido, selon certaines études.

Chez certains adeptes, regarder des pornos constitue même une pratique indissociable de l’acte masturbatoire.

Un mouvement antimasturbation pour “se sevrer” du porno

Face à ce constat, certains ont lancé sur les réseaux sociaux le “no fap”. Cette tendance venue des États-Unis, il y a une dizaine d’années, invite les hommes à arrêter totalement la masturbation, dans le but initial d’aider les plus accros au porno à se défaire de leur addiction et retrouver une forme de bien-être. "Le mouvement s’est développé via une communauté en ligne qui encourage ses membres à pratiquer l’abstinence des activités masturbatoires, en particulier de la masturbation compulsive. Des phénomènes grandissants par l’ampleur de la fréquentation des sites pornographiques, explique Sébastien Garnero, Docteur en psychologie, psychothérapeute et sexologue à Paris. Selon ses disciples, l’arrêt de l’activité masturbatoire présenterait un intérêt pour la santé physiologique et psychologique".

No fap challenge : une tendance sans réel fondement scientifique

Pour certains, le courant No fap est vu comme une façon de sortir de l’onanisme compulsif, en relevant un challenge collectif, avec pour corollaire, la sensation d’être soutenu par une communauté (sachant que l’addiction mène souvent à une perte de lien social)…

Mais, qu'est-ce que nous dit la science sur ce mouvement ?

Mais, malgré la popularité de cette tendance, son manque de preuves scientifiques laisse notre expert sur la réserve : "il n’y a pas de réels fondements scientifiques solides pour étayer certaines assertions, notamment concernant des avantages psychophysiologiques", relève le sexologue.

Arrêter la masturbation : pas d’effet prouvé sur la libido masculine et sur la testostérone

Parmi les pseudo-bienfaits non prouvés du No fap et couramment avancés par ses participants, celui selon lequel "il augmenterait les niveaux de testostérone pour stimuler le désir", est le plus cité des disciples de la pratique. Il n’est pas non plus établi que le fait d’arrêter de se masturber "booste le niveau d’énergie vitale ou donne des résultats probants sur les addictions sexuelles" pointe notre spécialiste.

L’arrêt de la masturbation est-il risqué pour l’homme ?

Arrêter la masturbation ne revêt pas de danger pour la santé physique. "Les activités masturbatoires comme telles ne sont pas indispensables à la santé physique ou à la survie, néanmoins l’activité sexuelle, quelle qu’elle soit, est importante pour le maintien de la santé sexuelle et de l’épanouissement de la plupart des personnes", tempère Sébastien Garnero.

La masturbation, un outil clé dans la construction de sa sexualité

Pas indispensable, mais alliée de l’équilibre individuel, la masturbation demeure une "activité sexuelle normale et saine pour le développement psychosexuel", souligne le thérapeute. Elle constitue "une forme d’apprentissage de la sexualité autoérotique", qui participe à la connaissance de soi, de son corps et au développement de l’imaginaire érotique. Un préalable qui "facilite le passage à une activité sexuelle partagée en couple".

Un des risques soulevés par notre spécialiste avec le no fap serait de diaboliser l’onanisme, sous couvert d’un "hygiénisme puritain, souvent teinté d’ultra-conservatisme", porté par certains mouvements radicaux aux États-Unis, met en garde Sébastien Garnero.

No fap : une décision personnelle, aux bénéfices surtout subjectifs

Si le No fap relève d’une décision totalement personnelle "en fonction de ses propres aspirations et motivations personnelles", notre expert n’y voit pas d’inconvénient.

Ceux qui seraient tentés d’en faire l’expérience pourraient tirer certains bénéfices totalement subjectifs, à condition d’avoir une sexualité active en parallèle, que nous égrène Sébastien Garnero :

  • l’exploration de nouvelles facettes de sa sexualité
  • le sentiment de pouvoir maîtriser plus efficacement ses pulsions, sa vie, ses choix…
  • l’amélioration de l’estime de soi chez certains dans le fait de se libérer d’une forme d’addiction
  • la faculté d’aller à la rencontre d’autres personnes, de partenaires potentiels, développer une autre dynamique sexuelle et affective.

L’arrêt de se masturber : quels sont les bienfaits possibles, si on est en couple ?

Pour les hommes en couple qui ont une sexualité active et qui souhaitent arrêter la masturbation, cela peut "augmenter la sensibilité au niveau sexuel" (la masturbation compulsive ayant tendance au contraire à désensibiliser le sexe), affirme Sébastien Garnero. Cela peut aussi "améliorer la libido dans le couple", renforcer l’intimité, la communication et la relation de couple en replaçant au centre l’épanouissement sexuel et affectif mutuel, des effets qui peuvent donc être bénéfiques.

Arrêt total de la masturbation : savoir reconnaître la limite

Cette abstinence peut devenir problématique quand elle est vécue comme une contrainte, quand elle génère trop de frustration ou lorsqu'elle se traduit par certains symptômes comme de l’anxiété, du stress,de la tristesse ou des idées dépressives. Dans ce cas, "il est impératif de consulter un professionnel de santé" afin de pouvoir comprendre ce qui se passe, et ce qui se joue autour de cette problématique psychologique et sexuelle".

De la même façon, quand la masturbation se mue en une pratique abusive, excessive, addictive, quand elle envahit le quotidien et la relation de couple, il est nécessaire de se faire accompagner par un professionnel de la santé mentale (psychiatre, psychologue clinicien, addictologue…) et/ou un professionnel de santé sexuelle (médecin sexologue, psychosexologue…).

No fap : une stratégie utile contre la dépendance au porno ?

L’arrêt de la masturbation peut être une stratégie utilisée parmi d’autres pour les addicts au porno. Cependant, elle ne saurait suffire, selon Sebastien Garnero. "Il ne constitue pas un remède à lui seul. De même qu’il ne suffit pas de dire que l’on arrête de manger pour perdre du poids durablement. Il ne suffit pas de se dire qu’il suffit de s’arrêter de se masturber pour sortir de la pornaddiction, ce serait trop facile".

Notre expert rappelle que la pornaddiction est une problématique complexe et singulière. "Elle dépend de l’histoire psychologique individuelle, du développement psychosexuel, de facteurs d’éducation, culturels, sentimentaux et affectifs, qui sont parfois très intriqués. Seuls des professionnels de santé mentale et psychosexuels seront à même de pouvoir aider les personnes à se sortir de telles addictions", souligne le sexologue.

Sources

Merci à Sébastien Garnero Dr en psychologie, psychothérapeute, sexologue, hypnothérapeute, enseignant université de Paris.