Les antibiotiques sont la pierre angulaire de la médecine moderne depuis les années 1940. Ce qui n’a pas toujours été le cas. "La phagothérapie a été inventée par le chercheur pasteurien Félix d'Hérelle dans les années 1920 puis a été abandonnée avec l’essor des antibiotiques à la fin des années 1930, beaucoup plus simples et économiques à fabriquer et à utiliser", explique dans un communiqué le Dr Baptiste Gaborieau, auteur de l’étude, médecin réanimateur à l’Hôpital Louis Mourier (AP-HP) et chercheur dans le laboratoire IAME de l’Université Paris Cité-Inserm. Cependant la montée en puissance des bactéries résistantes au traitement force les scientifiques à revenir sur cette pratique plus ancienne.
Les antibiotiques ont permis à l'espérance de vie de se rallonger de plus de 20 ans. Mais depuis quelques années, certaines bactéries, comme Escherichia coli, se montrent de plus en plus résistantes aux traitements classiques et deviennent ce que l’on appelle des "superbactéries". Les conséquences sont désastreuses allant de l'impasse thérapeutique au décès du patient. L’OMS estime que la résistance aux antimicrobiens est responsable de la mort de plus d’un million de personnes en 2019. C’est selon l’organisation sanitaire, la plus grande menace pour la santé publique, ce qu'il nomme également la prochaine pandémie.
"Le concept est simple : l'ennemi de mon ennemi est mon ami"
La phagothérapie apparaît donc comme une solution à ce fléau. Cette technique consiste à utiliser des virus, appelés phages ou bactériophages, qui sont naturellement présents dans l’environnement et détruisent de façon ciblée les bactéries pathogènes sans avoir d’effets délétères sur les cellules humaines. "Le concept est simple : l'ennemi de mon ennemi est mon ami", résume au média National Géographic le Dr Musila, scientifique en chef du Département des maladies infectieuses émergentes de l’institut de recherche du Kenya.
Les scientifiques de l’Institut Pasteur, de l’Inserm, de l’AP-HP et de l’Université Paris Cité ont développé un nouvel outil qui permettrait de choisir les virus bactériophages les plus adaptés pour un patient donné. Ce modèle, reposant sur IA, a été publié dans la revue Nature Microbiology du 31 octobre 2024.
Une base de données à la recherche d’un phage spécifique
Pour trouver au mieux la combinaison la plus adaptée, les scientifiques français ont créé une base de données avec 403 souches de bactéries Escherichia coli et 96 bactériophages. L’objectif : évaluer l’interaction entre les phages et les bactéries. "Nous avons mis en contact les phages avec les bactéries en culture et observé quelles bactéries étaient tuées. Nous avons étudié 350 000 interactions et réussi à identifier, au niveau du génome des bactéries, les caractéristiques susceptibles de prédire l’efficacité des phages", souligne dans un communiqué le Dr Aude Bernheim, principale autrice de l’étude et responsable du laboratoire Diversité moléculaire des microbes à l’Institut Pasteur.
Ils ont découvert que les récepteurs à la surface des bactéries déterminent en premier lieu la capacité des bactériophages à pouvoir ou non infecter les micro-organismes pathogènes. "Ce qui présage de leur efficacité", précise Florian Tesson, co-premier auteur de l’article et doctorant dans les laboratoires Diversité moléculaire des microbes à l’Institut Pasteur et IAME à l’Université Paris Cité-Inserm.
Analyser les agents pathogènes pour mieux les cibler
Les scientifiques ont ensuite utilisé les informations récoltées ainsi qu’un programme d’intelligence artificielle afin d’évaluer quel est le virus le plus efficace. Pour déterminer cela, l’IA s'appuie sur l’analyse du génome des agents pathogènes, et plus particulièrement des régions impliquées dans le codage des récepteurs membranaires de la bactérie. Ces derniers sont, en effet, les “portes d’entrée” des phages.
Après plus de deux ans de travail, l’IA a ainsi été capable de prédire correctement l’efficacité des bactériophages face aux bactéries E. coli de la base de données dans 85 % des cas, simplement en analysant l’ADN des bactéries. "C’est un résultat qui surpasse nos attentes", a confié Aude Bernheim.
Une efficacité dans plus de 90 % des cas
L’étude s’est poursuivie avec l’analyse de souches bactériennes d’E. coli responsable de pneumonies. L’IA a sélectionné, pour chacune d’entre elles, un "cocktail" sur mesure de trois bactériophages. Dans 90 % des cas, les bactériophages choisis par l’IA ont détruit les bactéries.
Pour les chercheurs, ces résultats très prometteurs ouvrent la voie dans les années à venir à une sélection personnalisée et rapide de traitements par bactériophages en cas d’impasse thérapeutique face à la bactérie Escherichia coli.
"Nous devons encore tester le comportement des phages dans différents environnements, mais la preuve de concept est faite. Nous espérons pouvoir l’étendre à d’autres bactéries pathogènes, car notre IA a été conçue pour s’adapter facilement à d’autres cas de figure, et offrir dans le futur des traitements de phagothérapie personnalisés", a toutefois précisé la chercheuse.
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