Depuis le début de l’épidémie, le port du masque est généralisé dans de nombreux pays d’Asie. Une pratique qui a montré son efficacité et qui, pourtant, n’est toujours pas adoptée en France, où elle est même plutôt découragée.
Florence de Changy, correspondante à Hong Kong pour Le Monde, RFI et Radio France, a rédigé une lettre ouverte à l'attention de Martin Hirsch, Directeur de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. Pour elle, pas de doute, le port du masque généralisé pourrait tous nous sauver. Mais est-ce vraiment si simple ?
Imposer l’utilisation du masque par tous pour enrayer l’épidémie ?
La journaliste écrit : “l'exemple Hongkongais a montré que lorsqu'une population dans son entière totalité adopte le port du masque, comme forme de confinement individuel, la propagation du virus peut être quasiment arrêtée. Malgré une densité démographique parmi les plus fortes de la planète [...], malgré des échanges intenses de personnes avec la Chine, et malgré la proximité géographique des premiers épicentres, Hong Kong doit déplorer à ce jour 4 morts du Covid-19”.
D’après elle, “continuer d’affirmer que le masque ne sert à rien” est “grave et dangereux", dans la mesure où celui-ci est “l'écran physique le plus évident qui soit pour faire obstacle à la propagation du virus”. Pour rappel, le virus SARS-CoV-2 se transmet par les gouttelettes de salive, projetées lorsque l’on parle, tousse ou éternue.
“Dans une épidémie, chacun devrait se considérer comme porteur potentiel et protéger les autres de soi, pas l'inverse”, estime la journaliste expatriée. Cela suppose de porter un masque et se laver les mains régulièrement, de manière à limiter la dispersion du virus. Alors, le confinement pourrait être levé “assez rapidement”. Dans notre diaporama, nous faisons le point sur les pays qui ont déjà adopté cette stratégie, et sur ses résultats.
Si on avait eu assez de masques, l’épidémie aurait été moins virulente
Pour Pierre Boquého, infirmier libéral, les réflexions de cette journaliste sont tout à fait pertinentes : le port du masque généralisé pourrait sauver des vies. “Si on avait des masques, des thermomètres et des tests, on pourrait identifier rapidement les malades et prendre les mesures nécessaires”.
Il s’interroge d’ailleurs : “si les masques sont si inutiles, pourquoi le président Emmanuel Macron et son entourage en portaient-ils lorsqu’ils se sont rendus dans le Grand Est ? Le chef de l'État avait d’ailleurs un FFP2 de grande qualité, que nous, soignants, ne sommes même pas en mesure de nous procurer”.
D’après l’infirmier et ses collègues, pas de doute : si nous ne portons pas tous un masque, aujourd’hui en France, c’est tout simplement parce que nous n’en avons pas.
Personnes portant des masques à Hong Kong
La pénurie de masque aurait-elle pu être évitée ?
À l’heure actuelle, il est effectivement difficile de tous porter un masque en France, dans la mesure où l’on n’en trouve plus une boîte en pharmacie, et que même les soignants font face à une pénurie. Et la faute reviendrait aux décisions prises par le gouvernement, bien avant la crise, selon l’infirmier Pierre Boquého.
“Les pays d’Asie ont une vraie culture du masque depuis l’épidémie de SRAS en 2003. Nous, on en a reçu à l’époque où Roselyne Bachelot était ministre de la Santé, mais ils n’ont pas été réapprovisionnés après leur date de péremption. Et maintenant, on risque de perdre des proches car le gouvernement a géré la santé de façon économique au cours des dernières décennies”, déplore le soignant.
Hier, nous fermions des hôpitaux et aujourd’hui, nous manquons de lits
Selon lui, c’est aussi ce qui explique le manque de lits dans les hôpitaux. “On se plaint de ne pas avoir assez de place en réanimation. Mais tous les hôpitaux de proximité ont été fermés, sous prétexte qu’ils n’étaient pas rentables. Le gouvernement a adopté une maîtrise comptable et maintenant, c’est vraiment le désert dans certaines régions. Le tissu sanitaire en France a été complètement détricoté”.
L’infirmier et ses confrères s’interrogent : “pourquoi, quand on a vu arriver ce virus en janvier, n’a-t-on pas alerté les soignants et lancé une production massive de masques ? Nous, soignants, on en veut aux politiques. On a été terrassés par l’ampleur de ce qui est arrivé, on ne s’y attendait pas”.
La solution passe désormais par l’importation… trop tardive ?
Pour la journaliste Florence de Changy, la solution semble plutôt simple : il faut en importer davantage. La Chine serait, en effet, “en surproduction de masques”, après avoir transformé de nombreuses chaînes de production pour en fabriquer.
“Je viens d'interviewer quelqu'un à Hangzhou qui m'a confirmé pouvoir livrer des millions de masques en France en quelques jours”, indique la reporter. “Mais la France a imposé des restrictions (décret du premier ministre du 13 mars 2020) qui semblent compliquer et ralentir l'importation et la distribution des masques en France”.
Nous avons consulté ledit décret. Celui-ci est, en fait relatif à la réquisition de matériel sanitaire pour les soignants, et a été abrogé au 24 mars 2020. Il prévoyait de réquisitionner les masques de protection respiratoire et anti-projections détenus par les particuliers et les entreprises, pour pouvoir les donner aux professionnels de santé et aux patients. Rien n’indique, en revanche, que les importations aient été restreintes.
Nous consommons plus de masques qu’on ne peut en produire
En outre, le ministre de la Santé Olivier Véran a fait le point sur la pénurie de masques le 21 mars 2020. Il a rappelé que, “depuis la dernière semaine de février, 70 millions de masques ont été livrés aux professionnels de santé de ville, à l’hôpital et dans nos EHPAD”. Le ministre a également justifié la stratégie de réquisition : "au regard des capacités et des stocks, la priorité, c'est de protéger les professionnels de santé des patients Covid-19 en ville et à l'hôpital”.
En outre, le pays enregistre une consommation de masques supérieure à sa capacité de production. “Nous prévoyons une consommation de 24 millions de masques par semaine", explique le ministre. La production nationale, quant à elle, est de 6 millions hebdomadaires - mais devrait passer à 8 millions en avril.
250 millions de masques vont être importés
Pour pallier ce problème, 250 millions de masques ont été commandés à l’étranger, pour la plupart en provenance de Chine. Mais les réapprovisionnements semblent difficiles, puisque Olivier Véran a annoncé que la livraison serait “progressive”. L’infirmier Pierre Boquého le confirme : des masques sont en cours d’importation ; “quatre avions devraient notamment arriver ce week-end. C’est très bien, mais c’est juste un peu tard”.
Selon lui, le gouvernement aurait dû réagir bien plus tôt, et lancer une production massive de masques dès le mois de janvier, plutôt que d’en importer en urgence au mois de mars. “Combien de morts et d’hospitalisations, qui auraient pu être évités, va entraîner ce retard de livraison ?” La question est posée...
“Nous espérons tous qu'il y aura un "avant", et un "après" cette crise de Covid-19”, ajoute l’infirmier. “Nous espérons tous voir une nouvelle organisation du système de santé français, de la ville à l'hôpital, ainsi que de la production pharmaceutique, etc. Nous espérons également que la considération pour le monde de la santé de la part des dirigeants perdurera après cette crise… Pour autant, nous ne sommes pas dupes”.
Chine : un port du masque obligatoire
C’est à Wuhan, une métropole Chinoise, que serait apparu pour la première fois le virus SARS-CoV-2. Lorsque l’épidémie a commencé à prendre des proportions sérieuses, le gouvernement a pris des mesures drastiques, comme la mise en quarantaine de plusieurs villes (puis du pays) et le port du masque obligatoire. Désormais, le pic de l’épidémie semble passé, et le nombre de nouveaux cas ne cesse de diminuer.
Hong-Kong : le masque adopté par tous les habitants
Dans sa lettre ouverte au directeur de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris, Florence de Changy explique que le port du masque a été adopté d’office par les habitants de la région administrative chinoise.
“L'attitude des Hongkongais a été d'autant plus admirable qu'elle s'est faite en dépit des consignes gouvernementales lesquelles, comme en France, ne recommandaient le port du masque que pour les malades et les soignants”, ajoute-t-elle.
En outre, Hong-Kong a rapidement mis en place des restrictions à l’entrée du territoire, pour les individus venant de zones infectées.
Corée du Sud : “pas de masque, pas d’entrée”
Dès le début de l’épidémie, le pays a largement communiqué auprès de ses citoyens sur les bons gestes à adopter. Des alertes d’urgence ont été envoyées par SMS aux personnes travaillant dans des zones où de nouveaux cas ont été confirmés, et des points presses ont été organisés deux fois par jour.
La plupart des Sud-Coréens ont adopté d’eux-mêmes le port du masque, et certains bâtiments ont placardé des affiches indiquant “pas de masque, pas d’entrée”. Près de 15 000 tests par jour ont également été effectués gratuitement, qui ont permis de détecter et d’isoler rapidement les cas confirmés.
Grâce à la bonne gestion de l’épidémie, aucune mesure de confinement n’a dû être mise en place, et le pays compte un très faible taux de décès.
Japon : une personne infectée n’en contamine qu’une seule
Il s’agit d’un des premiers pays touchés par le Covid-19. Pourtant, le nombre de cas est toujours resté faible. Et pour cause, le Japon sont très propres, possède une culture du masque développée. Presque tous les habitants en ont porté dès le début de l’épidémie, protégeant ainsi leur entourage.
“En moyenne, une personne infectée n'en contamine qu'une seule, c'est peu. Autrement dit, actuellement, nous tenons bon, mais il faut maintenir la garde et renforcer les principales dispositions actuelles”, a indiqué Shigeru Omi, épidémiologiste et conseiller du gouvernement japonais. Ce dernier a également relevé la “faible mortalité, qui prouve l'excellence du système sanitaire japonais”.
Taïwan, État modèle dans la gestion de l’épidémie
Taïwan fait partie des États pris pour modèles dans la gestion de la lutte contre le coronavirus, il est notamment salué pour son anticipation. Car malgré sa proximité avec la Chine, il ne recense quasiment pas de cas confirmés, ni de décès. Comme pour de nombreux pays d’Asie, ce sont les leçons tirées de la crise du SRAS, en 2003, qui lui ont permis d’être au point.
Un dispositif interministériel appelé “commandement unifié” a été mis en place, et activé dès le 20 janvier, et des mesures concrètes ont immédiatement suivi. Parmi elles, on peut citer des restrictions à l’entrée du territoire, pour les individus venant de zones à risque, des mises en quarantaine et le port du masque obligatoire pour les voyageurs en provenance de pays au stade 2, avec un suivi strict.
Le pays a cessé ses exportations de masque et relancé sa production dès le début de la crise. Leur vente a été rationnée pour éviter la pénurie, avec un système de jours pairs et impairs basé sur la carte vitale des clients. Une application permettant de consulter les stocks des pharmacies en temps réel a été développée par le gouvernement.
La population a été très bien informée et sensibilisée aux gestes barrières, et le port du masque a largement été adopté dans les lieux publics - en particulier les transports en commun.
Singapour : des mesures très strictes
Jusqu’à maintenant, la cité-État est parvenue à maîtriser l’épidémie sans confiner sa population. Dépistage systématique, mises en quarantaine avec contrôles de police régulier, information de la population… des mesures rapides et nombreuses ont été adoptées par le gouvernement. Les citoyens en quarantaine ont même reçu un téléphone portable avec un suivi GPS pour que la police puisse surveiller leurs déplacements.
Depuis le 20 mars, toutes les personnes résidant à Singapour et en provenance de l’étrange sont placées en quarantaine pour une durée de 14 jours ; et depuis le 23 mars, tous les visiteurs en court séjour sont interdits d’entrée et de transit dans le pays. Là aussi, la population a adopté le port du masque très rapidement.
De nouvelles mesures de "distanciation sociale" plus drastiques vont néanmoins être en œuvre à compter de ce jeudi soir, comme la fermeture des bars et lieux de divertissement, ou la limitation des rassemblements privés et publics à 10 personnes (hors travail et école).
Résultats : à l’heure où nous écrivons ces lignes, Singapour ne déplore que deux décès imputables au Covid-19.
Depuis Hong Kong : "Je suis ahurie d'entendre les autorités continuer d'affirmer que le masque ne sert à presque rien", La Libre, 23 mars 2020.
Décret n° 2020-247 du 13 mars 2020 relatif aux réquisitions nécessaires dans le cadre de la lutte contre le virus covid-19, Legifrance.
Discours d’Olivier Véran, conférence de presse du 21 mars 2020, Ministère des Solidarités et de la Santé.
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