Avec l’accélération de l’épidémie de Covid-19, la France a rapidement été confrontée à la saturation de certains hôpitaux, en particulier dans le Grand-Est et l’Ile-de-France. Pour soulager ces structures, des évacuations de malades ont déjà été effectuées vers d’autres régions, notamment via des TGV médicalisés.
Pour certains établissements, ces mesures ne semblent pas suffisantes. “Oui, on commence à trier les patients”, confie une infirmière, épuisée, dans un article du Parisien publié le 17 mars. “C'est comme en médecine de guerre, il va falloir faire des choix. Ce sera en fonction de l'âge ou de l'état de santé”.
“La sélection des patients existe depuis toujours en réanimation”
Toutefois, la sélection des patients a toujours existé dans les services de réanimation, même en dehors des périodes d’épidémie, comme le rappelle le Dr Anne Geffroy-Wernet, médecin anesthésiste-réanimateur et présidente du Syndicat National des Praticiens Hospitaliers Anesthésistes Réanimateur Elargi (SNPHARE).
La réanimation est à la fois lourde pour le patient - et pas exempt de complications - et pour l’hôpital, en raison de son coût matériel et humain. “Avant d’envoyer un patient en réanimation, nous évaluons toujours si cette dernière va lui rendre service ou non, autrement dit s’il va pouvoir en sortir vivant, et avec le moins de séquelles possibles”, explique l’anesthésiste-réanimateur.
“Pour certains malades, on sait d’emblée que les envoyer en réa’ ne va pas les aider, il n’y a donc aucune raison de les y mettre. Pour prendre un exemple caricatural, une personne de 110 ans, avec une démence et un cancer métastasé ne tirera aucun bénéfice de la réanimation. La sélection des patients existe donc depuis toujours”.
La crise de la Covid-19 va-t-elle faire changer les critères d’admissibilité ?
Pour le Dr Geffroy-Wernet, la question qui se pose vraiment aujourd’hui, c’est : “est-ce que la crise du Covid-19 va faire bouger nos curseurs ?”. Autrement dit, “devrons-nous écarter des patients que l’on aurait admis en réanimation dans des circonstances différentes ?” À l’heure actuelle, la présidente du SNPHARE n’a - heureusement - pas eu écho de tels choix parmi les médecins membres du syndicat.
Un constat qui pourrait s’expliquer par les récentes mesures prises dans les hôpitaux, pour étendre leurs services de réanimation : récupération du vivier des anesthésistes-réanimateurs et infirmiers anesthésistes travaillant normalement au bloc, réquisition de matériel, mobilisation de la réserve sanitaire, etc.
“Au début de l’épidémie, quand on a dû pousser les murs faute de lits disponibles dans les hôpitaux, nous avons justement eu très peur de devoir faire un tri entre les patients”, explique le Dr Geffroy-Wernet. Un “cauchemar”, selon elle, mais qui a motivé de nombreuses initiatives.
L'extension des services de réanimation a permis de gagner des lits
“C’est pour ne pas avoir à faire ce choix-là qu’on a sorti les respirateurs des blocs opératoires, et les ventilateurs de transport, par exemple”. Du matériel un peu moins performan t, certes, mais qui permet de gagner du temps, jusqu’à ce qu’un lit se libère.
Des initiatives qui semblent avoir payé, puisque les transferts de patients se feraient un peu moins nombreux, depuis le week-end dernier. “On commence à avoir un peu de marge(en termes de lits disponibles, ndlr) dans de nombreuses régions, grâce aux extensions qui ont été faites dans les services de réanimation”, souligne la spécialiste.
Vers une pénurie de soignants ?
Et si la place revenait à manquer, la décision privilégiée resterait d’abord le transfert de malades vers d’autres hôpitaux. “L’objectif initial de ces transferts était de laisser quelques lits d’avance pour les prochains patients”, explicite l’anesthésiste-réanimateur. Quant au “tri”, s’il devait être fait, le choix en reviendrait alors aux médecins. “Jamais un directeur d’établissement ne pourra demander de choisir tel patient plutôt qu’un autre, ni aucune directive gouvernementale”, indique-t-elle.
“Il y a eu quelques recommandations émises par des sociétés savantes, mais elles sont assez floues”, précise le Dr Geffroy-Wernet. “Par exemple, si un patient n’a aucune chance, il ne doit pas y avoir d’obstination déraisonnable”. La décision de réanimer tel ou tel malade pourrait être faite en fonction de nombreux critères, comme l’espérance de vie, l’état de base, l’autonomie… “Finalement, tous les critères que l’on examine d’habitude, lorsqu’on admet un patient en réanimation”.
“Les malades sont dans des lits, mais les équipes sont épuisées”
La présidente du SNPHARE soulève toutefois un autre problème auxquels sont désormais confrontés les hôpitaux. Alors que des solutions semblent avoir été trouvées pour pallier le manque de lits et de respirateurs artificiels, une pénurie de personnel hospitalier commence à se faire sentir. “Les malades sont dans des lits, mais les équipes sont épuisées”, déplore-t-elle. “Dans le Grand-Est, ça fait déjà plus d’un mois qu’ils sont sur le pont”.
Il convient aussi de rappeler le grand nombre de soignants contaminés, puisque au contact quotidien de malades. “Beaucoup sont en arrêt maladie. Il y a donc des tensions sur le renouvellement des équipes, d’autant plus que tout le monde ne peut pas être affecté en réanimation. Il faut des équipes spécialisées, qui connaissent bien ce service”.
L’anesthésiste-réanimateur reste néanmoins positive. “On va s’en sortir, car quand il y a des appels, les gens répondent généralement présent. Il va probablement y avoir aussi des conventions entre hôpitaux, des internes sont en train de s’organiser pour aller aider à Paris…” Sur le pied de guerre, les hôpitaux français n’ont donc pas dit leur dernier mot. Il faut désormais espérer qu’ils aient suffisamment de moyens pour tenir jusqu’à la fin de la crise…
Merci au Dr Anne Geffroy-Wernet, médecin anesthésiste-réanimateur et présidente du SNPHARE.
Coronavirus : « Il va falloir choisir » entre les malades, admettent des soignants, Le Parisien, 17 mars 2020.
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