Pour devenir opératoires, ces éléments devront être éveillés et stimulés par des modèles imaginaires environnementaux. Ce qui aura pour effet de donner naissance aux premiers fantasmes ou plutôt formation fantasmatiques.
Ces premiers fantasmes de l’enfant induit par l’interaction avec l’environnement sont renvoyés sur cet environnement et vont déclencher dans les imaginaires de l’entourage des réactions affectives importantes au niveau relationnel.
L’environnement stimulé va renvoyer sur l’imaginaire naissant de l’enfant de nouveaux modèles fantasmatiques et ainsi complète et si possible intégrer (dans les cas heureux) les modèles antérieurs devenus efficients.
A nouveau l’enfant renvoie à l’entourage de nouvelles inductions imaginaires, etc... etc....
Ces mouvements de va et vient, d’aller retour ont été appelés par les éthologistes: epigenèse interactionnelle (J.COSNIER).
Ces mouvements ont été évoqués par M.KLEIN à propos de l’identification projective où elle insistait sur l’influence des inductions environnementales et des réponses environnementales (malheureusement seulement réduites à l’attitude de maternelle) dans ce jeu interactif chez le nouveau-né. Les premiers modèles imaginaires actives ne sont pas érotiques mais violents.
Les inscriptions libidinales symboliques existent phylogénétiquement, mais ne seront efficientes que dans un second temps après la mise en activité initiale de fantasmes violents. Les Kleiniens décrivent la première relation d’amour de l’ordre de la réparation donc secondairement et avec un but intégratif qui va peu a peu libidiniser la violence dont elle prendra l’énergie à son profit.
Le bébé a donc besoin d’une mère suffisamment bonne (P.C. RACAMIER) mais aussi capable de frustrer sans jamais abandonner. C’est de l’intériorisation de cet objet total maternel (Bon et Mauvais) que dépend la capacité à devenir un adulte dans l’altérité.
Que s’est-il passé chez l’alcoolique
Les aléas de la maturation affective sont nombreux et variés. Il y a donc de nombreuses raisons pour qu’un enfant se vive abandonné ou délaissé, avant qu’il ne soit capable d’éviter les blessures et les mutilations de sa personnalité.
Nous avons dit en préambule, que nous ne sommes pas dans la pathologie nosologique psychiatrique mais dans une faille de l’accession au symbolique, une défaillance des liens primaires, ayant entrainé des difficultés de communication et d’utilisation des mots pour exprimer, mentaliser et représenter les maux existentiels.
On peut penser que la fonction de relation a été perturbée par insuffisance ou défaillance de l’intercommunication parentale, par une défaillance des liens, mais aussi et surtout me semble-t-il par un événement familial extérieur plus grave, mais suffisamment grave pour détourner un temps le regard parental entrainant ainsi une rupture dans la continuité du lien primaire.
Cet événement peut-être différent et varié, mais il n’est traumatique qu’à travers l’incidence qu’il représente chez le parent et le détournement transitoire du regard qu’il entraine.
Ce peut être:
- Un deuil,
- Un divorce,
- L’arrivée prématurée d’une autre grossesse plus ou moins désirée,
- Mort d’un parent, d’un proche, etc...
Cette rupture transitoire du lien, ce détournement dans la continuité affective joue le rôle de traumatisme désorganisateur primaire irreprésentable puisqu’il se situerait avant l’acquisition du langage.
Des souvenirs traumatiques archaïques agissant comme marqueurs corporels puisque vécus avant l’acquisition du langage (donc avant la capacité de représentation et de mentalisation), engendrent des excitations pulsionnelles qui ne peuvent se lier à des représentations et perturbent de ce fait, les processus de maturation psychique et d’organisation libidinale du sujet (SHENTOUB et de MIJOLLAH).
Par ailleurs le reste de la maturation affective se poursuit. Mais il persiste une zone d’ombre, (une brique manquante dans un édifice en construction), un trou noir qui n’est pas libidinisé et demeure une menace permanente pour le Moi, pour l’unité du sujet.
Cette partie de Moi défaillante, fragilise le Moi tout entier et ne peut être représentée, nommée (puisque que le traumatisme se situe avant l’acquisition du langage).
C’est de la que nait, à mon avis, le sentiment d’incomplétude du buveur dont l’accession au symbolique a été défaillante de là le fonctionnement imaginaire et le deuil de la toute puissance, (renoncement à posséder l’objet total, c’est-à-dire la mère toute bonne et toute puissante) pour accepter de posséder et d’intérioriser l’objet réel mère suffisamment bonne (P.C. RACAMIER) ou mère ordinaire normalement dévouée (WINICOTT) capable de gratifier et de combler , mais aussi mère suffisamment mauvaise c’est-à-dire capable de frustrer.
Cela aboutit à une sorte de clivage de la personnalité avec une partie qui fonctionne et évolue presque normalement et aboutit à une adaptation pseudo-normale (faux-self) et l’autre partie inélaborée, inominée, mais menaçante pour le Moi et entrainant le sentiment d’incomplétude, la défaillance narcissique primaire, le besoin d’anaclitisme rassurant et de reconnaissance.
Nous sommes là très proche de l’organisation Limite ou Etat Limite bien décrit (par STERN, KERNBERG et Jean BERGERET).
A partir de cette souffrance constitutionnelle psychogénétique va s’organiser, en réponse, un mode d’expression:
- Mental,
- Comportemental - Somatique
Chez l’alcoolique c’est le mode d’expression comportementale qui prend le pas.
La valeur de la rencontre avec le produit va permettre:
- La négation du travail de deuil fondamental (P.C. RACAMIER) indispensable: renoncement à la toute puissance.
- Le remplissage compulsif permet de maitriser l’expérience du manque primitif (de la mère objet total) auquel il n’a pas renoncé. Cela lui donne l’illusion transitoire de la toute puissance narcissique dans une sorte de déni maniaque du manque.
«Vivre c’est d’accepter de manquer et de différer la satisfaction des besoins».
- Permet de nommer cette zone d’ombre, cette brique manquante, ce trou noir, de le remplir, de lui redonner des bords et entraine le sentiment jouissif de complétude.
L’alcool permet une jouissance indicible d’avoir enfin pu trouver un liant représentatif aux pulsions liées.
Il permet inlassablement de nommer d’exprimer cette partie inominée du Moi, facilitant ainsi la rencontre ou plutôt l’illusion de la rencontre à l’Autre et la communication ou plutôt l’illusion de la communication.
Ainsi le buveur avec son produit croit panser les plaies de sa pensée, mais se trouve piégé par le produit qui au lieu de le mettre en lien à l’autre, et de servir de médiateur de parole, l’enferme dans un isolement absolu sans autre possibilité que la dualité mortifère infernale:
Alcool - Sujet
Ce qui représentait initialement un espoir de liberté devient une aliénation suprême .
Enfin et pour terminer, car nous pourrions développer à l’infini cette hypothèse que la Clinique vérifie quotidiennement et dont les implications thérapeutiques qui en découle sont riches et évidentes, il nous faut reconnaître que cette psychogénèse que nous venons en quelques minutes de développer, n’est pas spécifique de l’alcoolisme mais s’applique de la même manière à tous les désordres psychoaffectifs:
- Toxicomanie
- Troubles comportements alimentaires = Boulimie = Anorexie
- Frénésie de travail, de sport, de jeu, de sexe
- Achats compulsifs
- Abus de tranquillisants, café, chocolat, tabac, télévision, internet
- Conduites suicidaires
- Délinquances, psychopathie, etc...
Toutes ces conduites, banales et dangereuses, supportables (pour l’environnement) ou insupportables ont le même point commun au niveau de la psychogénèse.
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