Poisson et mémoire : un mythe ?
"Historiquement, nos parents et grand-parents ont toujours dit “le poisson c’est bon pour la mémoire. Mais cette croyance s'inspire surtout du travail fourni durant les études, lorsque l’on disait de quelqu’un qu’il “phosphorait” beaucoup", raconte le Dr Yann Rougier.
Cet adage populaire aurait créé un lien dans l’esprit des Français entre le phosphore - un minéral contenu dans le poisson - et la mémoire.
Pourtant, d’un point de vue scientifique les effets du phosphore sur les neurones n’ont jamais été prouvés. “Le phosphore a davantage une action bénéfique sur les os, mais pas particulièrement sur la mémoire”, assure le médecin.
À l'origine de cette croyance : le phosphore
Le poisson a souvent été considéré comme bon pour la mémoire du fait de sa richesse en phosphore (pour 100 grammes de poisson, il y a à peu près entre 100 à 200 mg de phosphore), car celui-ci est présent dans les phospholipides, des constituants de membranes cellulaires de l'organisme.
Or, les neurones se nourrissent entre autres de ces fameuses phospholipides. Le phosphore servirait alors de "carburant” pour le système neuronal.
Pour les scientifiques, ce constat ne suffit pas à prouver l’effet bénéfique de ce minéral. Plusieurs études démontrent d’ailleurs que la consommation du phosphore n’aurait même aucun impact direct sur la teneur des cellules en phospholipides, et encore moins sur la mémoire.
Pour Yann Rougier, les vertus du phosphore seraient légèrement surévaluées : “Oui, le phosphore est indispensable à un bon fonctionnement de l’organisme, mais pas plus que toutes les autres vitamines, nutriments, oligo-métaux, etc.”
Certains nutriments du poisson seraient bénéfiques pour votre mémoire
"Si le poisson est bon pour la mémoire, c’est surtout grâce aux oméga 3. On les retrouve dans les poissons gras (saumon, maquereau, hareng, sardine, anguille…) et ils sont excellents pour le fonctionnement du cerveau”, assure Alexandra Retion, nutritionniste.
Selon elle, le phosphore ne jouerait pas de rôle particulier au niveau de la mémoire, d’autant plus que “ce minéral n'est pas spécifique au poisson, on en retrouve dans d'autres aliments”.
Les oméga 3, des acides gras indispensables
En revanche, les cellules neuronales ont besoin de ces fameux acides gras.
Les oméga 3 permettent au cerveau de fonctionner correctement et d'avoir de bons échanges entre les neurones. “Ils permettent même d’avoir de meilleures connexions dans le cerveau”, ajoute la nutritionniste. Les oméga 3 ne sont donc pas seulement bons pour la mémoire, mais aussi pour toutes les fonctions cognitives.
Attention cependant à ne pas les prendre sous forme de compléments alimentaires. Seuls les omégas 3 “naturels” sont aussi bien assimilés par l’organisme.
Pour Yann Rougier, il faut nuancer ces bienfaits : “Manger du poisson n'améliorera pas votre mémoire en un claquement de doigts. En revanche, il est vrai que certains nutriments sont intéressants. Les oméga 3 participent par exemple à la restructuration des cellules neuronales et plusieurs études démontrent que cela favorise l’intégration mémorielle”.
Ainsi, lorsque vous vous consommez du poisson régulièrement, les bonnes graisses (ou omégas 3) s’accumulent et favorisent une bonne santé cérébrale. Elles concernent principalement les acides gras comme l'acide docosahéxaéonique (DHA) et l'acide eicosapentaénoique (EPA).
Pour bénéficier de ces bienfaits, il est recommandé de manger du poisson au moins 2 fois par semaine.
Selon le médecin : "les poissons marinés sont particulièrement bons pour la santé. Leurs protéines sont cuites par l’acidité du citron, on a donc des flavonoïdes (molécules contenues dans le citron et réputées pour leurs vertus antioxydantes) et des omégas 3, ce qui est parfait pour avoir une protection antioxydante et une régénération des membranes.”
Du poisson pour prévenir Alzheimer ?
Manger du poisson serait donc bon pour la santé et pour nos neurones… mais pas que !
Des études ont montré que chez des sujets sains, la consommation régulière de poisson serait associée à une meilleure fonction cognitive et à une meilleure mémoire sémantique ultérieure.
30 à 40% de chance en moins de développer une démence quand on mange du poisson
D’autres travaux montrent même une diminution de 30 à 40% du risque de développer une démence vasculaire liée à l'âge chez les personnes consommant du poisson au moins une fois par semaine en comparaison avec les personnes n'en consommant pas.
Les auteurs de l’étude parue dans la revue Neurology, le journal médical de l'Académie américaine de neurologie, en date du 28 décembre 2011, ont en effet déterminé que des hauts niveaux de vitamines B, C, D et E ainsi que d'oméga 3, que l'on trouve surtout dans des poissons, avaient des effets positifs sur la santé mentale et le reste de l'organisme.
L'étude montre que les personnes âgées consommant ces vitamines et acides gras oméga 3 avaient une meilleure mémoire et n’avaient pas de réduction du volume de leur cerveau, un phénomène typique observé chez les personnes souffrant d'Alzheimer.
"Cette approche montre clairement les effets neurologiques et biologiques bons et mauvais liés au niveau des différents nutriments dans le sang", explique Maret Traber, de l'Institut Linus Pauling de l'Université d'Oregon (Nord-Ouest), co-auteur de cette recherche.
Selon le HSCP, (Haut Conseil de la Santé Publique), “les antioxydants ont un rôle protecteur contre les effets des radicaux libres en particulier au niveau des membranes neuronales. Ils pourraient donc avoir un effet positif contre le stress oxydatif qui est impliqué dans la neuro-dégénération et la mort neuronale intervenant dans la maladie d’Alzheimer.”
Attention toutefois aux compléments alimentaires à base d'huile de poisson, riches en acides gras oméga 3, qui ne préviendraient pas la dégénérescence du cerveau, selon une étude publiée en 2015 par le Journal of the American Medical Association (JAMA).
Poisson : des effets préventifs sur la dépression
En plus de diminuer les risques de pathologies dégénératives, les poissons gras pourraient également agir en prévention de la dépression. Cet effet serait dû à l'implication des oméga 3 dans le fonctionnement du système nerveux central, au niveau des neurotransmetteurs également visés par les antidépresseurs.
Un essai récent mené auprès de 30 patients atteints de troubles affectifs bipolaires a mis en évidence l’impact positif des suppléments en acide gras sur la réduction des épisodes de dépression graves.
Plusieurs études de patients dépressifs ont signalé un épuisement des acides gras polyinsaturés dans les membranes plasmiques ou cellulaires.
Les résultats sont donc très prometteurs, même s'il faudra encore patienter pour obtenir d'autres informations sur le poisson et ses effets.
"Fish Consumption, Depression, and Suicidality in a General Population", JAMA Network, mai 2001.
"Prévention de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées", Haut conseil de la santé publique.
"Question de la semaine : pourquoi manger du poisson est-il bon pour la mémoire ?", Sciences et Avenir, 4 janvier 2019.
"Le poisson, c'est bon pour la mémoire !", France tv, 2 janvier 2012.