Autisme au féminin : “J’ai toujours navigué à vue”Adobe Stock
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Sylvie a toujours eu du mal avec le monde du travail. Caissière, hôtesse d’accueil, secrétaire juridique, office manager : depuis le bac, elle a enchaîné les postes sans réussir à s’intégrer sur le long terme, en démissionnant à la chaîne, au prix d’une énorme fatigue. Nous sommes en 2017 quand elle décide, à 49 ans, d’aller consulter une psychologue. “Je me suis dit que quelque chose ne tournait pas rond. Je me demandais pourquoi je ne voulais pas de CDI, pourquoi je n’étais restée nulle part, ce qui n’allait pas chez moi… Je voulais comprendre pourquoi tout était si lourd”, se souvient Sylvie.

“Pour moi, quelqu’un d’autiste, c’était le cliché du gamin qui se tape la tête contre les murs”

À l’époque, la quinquagénaire constate qu’elle a du mal à comprendre certaines choses qui paraissent pourtant évidentes pour les autres, et inversement. À mesure que les consultations avec sa thérapeute progressent, le verdict tombe : sa psychologue suggère qu'elle pourrait être autiste. “Pour moi, quelqu’un d’autiste, c’était le cliché du gamin qui se tape la tête contre les murs, donc j'étais sonnée”, se rappelle Sylvie. Elle lit tout de même la documentation conseillée par la praticienne et comprend alors qu’elle a visé juste : “Ça a été comme une seconde naissance.”

Afin d’obtenir un diagnostic officiel cependant, Sylvie doit s’entretenir avec un psychiatre. Elle contacte alors le Centre de ressources autisme d'Île-de-France pour obtenir les coordonnées de centres de diagnostics franciliens, mais les délais sont extrêmement longs. On lui conseille alors une spécialiste, avec laquelle Sylvie arrive à obtenir un rendez-vous pour un pré-diagnostic. “Ça a été une mini catastrophe. Elle m'a dit que, selon elle, j'avais tous les symptômes de l'autisme, mais que je ne pouvais pas être autiste, notamment parce que je suis capable de passer d'un sujet à un autre dans une même conversation.”

“Les femmes autistes sont plus aptes à cacher leur handicap”

Sylvie le constate aujourd’hui : son genre a été un frein à son diagnostic : “En ce qui concerne les femmes et les filles autistes, la recherche montre que leur socialisation les rend plus aptes à cacher leur handicap, même inconsciemment. C'est quelque chose dont on ne parle pas tant que ça parce qu'on part souvent du principe que les femmes ont conscience de pratiquer le camouflage ”, constate-t-elle. “Or, moi, je n’avais conscience de rien du tout. Depuis petite, j’ai intégré spontanément toutes mes difficultés.”

Cette inégalité de traitement est depuis plusieurs années reconnue par les spécialistes du trouble du spectre autistique (TSA). “Il existe un biais de genre ancré dans l’histoire de la médecine, qui est à l’origine du développement d’outils de diagnostic adaptés à la population masculine”, expliquait par exemple lors d’une conférence en 2022 Muriel Salle, maîtresse de conférences spécialiste de l’histoire des femmes, du genre, et de la médecine à l’Université Lyon 1.

“Cette personne avait mon avenir entre ses mains et prenait tout avec légèreté”

“Le test ADOS, par exemple, fait ressortir davantage les traits et caractéristiques associés à des garçons, ce qui veut dire que les filles passent davantage sous le radar. On parle alors d’androcentrisme : il s’agit d’un biais théorique et idéologique qui consiste à adopter un point de vue masculin sur le monde, sa culture et son histoire, marginalisant ainsi culturellement les femmes”, développe Muriel Salle.

Lors de sa consultation, Sylvie se voit en effet remettre un questionnaire qu’elle ne comprend pas et qu’on ne lui explique pas. Elle sort du cabinet après avoir déboursé plus de 300 euros, sans diagnostic. Elle fulmine. “Cette personne avait mon avenir entre ses mains et prenait tout avec beaucoup de légèreté. Elle m'a dit d’entrée de jeu qu’aujourd’hui, tout le monde se croit autiste. Elle m'a fait comprendre qu'il ne fallait pas que je me fasse trop d'illusions.”

“On m’a confirmé un autisme avec une dyspraxie visuo-spatiale”

Cette séance remue beaucoup Sylvie, qui ne se décourage pas pour autant et tente tant bien que mal de trouver un autre neuro-psychologue. Et ce n’est pas une mince affaire : les professionnels spécialisés dans le TSA sont débordés et les délais d’attente sont très longs, même en libéral. Alors sur les réseaux, les patientes s’entraident. “Quand certaines libèrent un rendez-vous, elles préviennent. J'ai finalement eu une place en quelques mois, et on m’a confirmé un autisme avec une dyspraxie visuo-spatiale”, raconte Sylvie.

Si elle est soulagée, elle considère que ses années sans diagnostic ne se rattraperont pas. À 51 ans, elle a obtenu une reconnaissance de qualité de travailleuse handicapée. “J’ai toujours navigué à vue. Beaucoup de fatigue s’est accumulée et elle est en train de se manifester, ce qui fait que je ne peux plus travailler à temps complet”, regrette-t-elle.

“Quand on est une femme, c'est plus compliqué d’être reconnue”

Par ailleurs, son diagnostic tardif la lèse sur le plan économique : les trimestres supplémentaires pour la retraite qu’il aurait dû lui garantir ne sont pas rétroactifs. “C’est injuste parce que l'autisme est neurodéveloppemental, et quand on est une femme, c'est plus compliqué d’être reconnue.”

Grâce à sa neuropsychologue, Sylvie a néanmoins pris connaissance d’un master en “E-formation, Communication/Système d'information, médias” à la Sorbonne, adapté aux personnes autistes. Elle a ainsi pu opérer une reconversion professionnelle. Elle écrit, aussi : un premier ouvrage en tant que co-autrice, Femmes autistes : témoignages (auto-édité, 2021), un second en tant qu’autrice, à paraître aux Éditions Tom Pousse fin 2023, ainsi que des billets-témoignages sur son autisme sur le HuffPost.

“Plein de gens autistes de ma génération ont eu une vie compliquée”

“La France a beaucoup de retard sur l'autisme, mais quand j'étais enfant, c'était encore pire”, constate avec amertume Sylvie. Alors elle essaie, à son niveau, d’en parler autour d’elle et d’accompagner au mieux les personnes concernées. Aujourd’hui, avec un statut de TIH (travailleur indépendante handicapée), elle fait de la sensibilisation en entreprise et elle accompagne des étudiants autistes en alternance.

Elle résume, pragmatique : “Le but premier de ma démarche, c'est de comprendre. Ensuite, je veux restituer au maximum avec des mots ce qui se passe dans ma tête. Enfin, je veux montrer aussi l'intérêt d’obtenir un diagnostic et celui d'avoir des professionnels formés sérieusement à l'autisme au féminin. J’ai 55 ans, il y a plein de gens autistes de ma génération qui n'ont pas reçu de diagnostic et qui ont eu une vie compliquée. Même si chaque autiste est différent, je voudrais que des personnes puissent se retrouver dans des choses que j'ai vécues et décryptées.”

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