En France, on estime qu’environ 700 000 personnes sont atteintes d’une forme de handicap mental. Ce terme regroupe les déficiences “d’origine génétique, congénitale ou accidentelle parmi lesquelles on compte, notamment, la trisomie, l’autisme ou les troubles envahissants du développement, le polyhandicap, l’infirmité motrice cérébrale [...], la compréhension des concepts généraux et abstraits, la mémorisation des informations orales et sonores, la fixation de l’attention, le repérage dans l’espace, dans le temps, la communication et le contact avec autrui, la prise de décisions et la gestion des imprévus”, indique le ministère du Travail.
Avec l’avancée de la recherche et des traitements, les personnes en situation de handicap mental vivent de plus en plus longtemps, tout comme le reste de la population. Si l’on prend l’exemple de la trisomie 21, les personnes concernées peuvent aujourd’hui atteindre les 65 ans, contre 28 ans dans les années 1930. Logiquement, cet allongement de l’espérance de vie entraîne des pathologies associées au vieillissement, comme la maladie d’Alzheimer. Seulement voilà : ces personnes reçoivent rarement le diagnostic adéquat, justement en raison de leur handicap mental. Le docteur Stéphane Carnein, gériatre et cofondateur du projet de recherche “Déficience intellectuelle & Maladie d’Alzheimer”, alerte sur cette discrimination.
"Il n’existe pas de politique publique pour gérer cette émergence d'une nouvelle gérontologie"
Pourquoi avez-vous décidé de lancer ce projet ?
J’ai rencontré la sociologue Muriel Delporte, sociologue spécialiste du vieillissement des personnes en situation de handicap, au début des années 2000. À l'époque, on croyait que les personnes handicapées connaissaient un vieillissement spécifique, plus rapide que celui du reste de la population. Entre-temps, on s'est aperçu que plus on les soignait, plus leur espérance de vie augmentait. Il faut noter que le handicap peut être très variable, on ne peut donc pas faire de généralités.
Pour autant, on s'est rendu compte avec Muriel qu’il n’existait pas de politique publique pour gérer cette émergence d'une nouvelle gérontologie. On n'avait pas de guide au niveau national.
Muriel Delporte travaille essentiellement sur le plan sociologique. Comment vivent ces personnes ? Comment vont-elles vivre leur vieillesse ? Où est-ce qu'elles vont être acceptées, où est-ce qu'elles vont être logées ? Comment va-t-on intégrer l'image de ce nouveau vieillissement dans la société ? Moi, en tant que médecin, je constate l'émergence de nouvelles maladies de la vieillesse. Les personnes handicapées font des accidents vasculaires cérébraux, elles développent des cancers.
On est assez complémentaires avec Muriel Delporte. On s'est dit qu'on allait monter une communauté. On est persuadés que le médical doit travailler avec le social. Nous travaillons avec des professionnels de différents horizons : des médecins, des sociologues, des psychologues, des accompagnants, des éducateurs et quelques infirmières.
"On impute les nouvelles difficultés au handicap mental et non pas à l'apparition d'une maladie"
Est-ce qu’on peut s'accorder sur ce que vous appelez déficience intellectuelle ?
Vous avez l'incapacité et vous avez le handicap. L’incapacité, c'est quelque chose d'organique, elle est fonctionnelle. Le handicap est relationnel, c’est par rapport à la société. C'est la conséquence d'un non-développement du cerveau à un certain moment. La déficience intellectuelle est généralement acquise très tôt (elle est congénitale où acquise très tôt dans l'enfance). C'est ce qu'on appelle le déficit mental. Aujourd’hui, on dit plutôt handicap mental.
Quelles sont les difficultés supplémentaires que ces personnes rencontrent quand elles ont Alzheimer ou des maladies apparentées ?
La première difficulté, c'est que le diagnostic est très difficile à poser et qu’il l’est souvent avec beaucoup de retard, plus que pour la population générale, parce qu'on impute les nouvelles difficultés au handicap mental et non pas à l'apparition d'une maladie. On va dire : “Aujourd'hui, la patiente est méchante, elle ne mange plus correctement, elle ne sait plus s'habiller.” Il faut aussi dire aussi que le médecin de ville ou l'infirmière libérale connaît très mal cette problématique, même les éducateurs de plus de 50 ans. Pour eux, ça n'existe pas, donc ce sont des difficultés qu’ils connaissent très mal.
Si l'ancien médecin, l'ancien notaire ou l'ancien président ne se souvient plus d’où il habite, ça met la puce à l'oreille à tout le monde. Mais pour une personne qui a déjà un handicap mental, des pathologies comme la dépression ou l'entrée en démence sont très mal connues. Or, ce sont de véritables maladies. La dépression est totalement curable, mais l’Alzheimer n'est pas curable au stade actuel. On peut tout de même accompagner différemment quand le diagnostic est posé.
Déficience intellectuelle et Alzheimer : des professionnels non formés
Étant donné que pour la plupart de ces personnes, le diagnostic n'est pas posé, elles vont finir leur vie sans accompagnement.
Tout à fait. Et ça peut être pire que ça : on peut penser que les troubles qu'elles ont sont d'origine caractérielle et cela peut ouvrir la voie à des cadrages éducatifs alors que ce sont de vraies pathologies.
De la maltraitance, en somme.
Oui, c’est le mot.
Avec le projet DIMA, vous voulez soulever un problème de santé publique ?
Oui, car ce n’est pas quelque chose de rare. Avec le vieillissement des personnes handicapées, on a beaucoup de mal à appréhender la santé des personnes en institution, qui sont à peu près 30 000 ou 40 000. Ce chiffre monte jusqu'à 600 000, voire 700 000 si l’on compte les personnes en milieu ouvert avec des handicaps signalés. Cette proportion augmente pratiquement de 10% par an parce que les gens continuent à vivre et développent ce genre de problématique.
Cependant, on a un manque criant de chiffres, en particulier sur Alzheimer et sur le handicap mental. Il y a très peu d'études sur le sujet et peu de gens travaillent là-dessus. D'abord parce que ce n’est pas prestigieux, ensuite parce que ce n’est financé par personne.
Les professionnels de santé sont-ils assez formés sur l'Alzheimer et le handicap mental ?
Pas du tout. Les actions essentielles à mener aujourd'hui, c'est d'abord d'augmenter les observations cliniques pour essayer de mettre en place des politiques publiques, mais surtout de créer des enseignements. Il y a des choses qui se font, mais c'est encore extrêmement peu répandu. Il faut se battre pour qu'il y ait une formation des professionnels. Et je parle de tout type de professionnel : ceux du soin comme ceux de l'accompagnement social. Il faut que cette formation soit initiale et continue.
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