Ce qui se passe quand on meurt : Adobe Stock

Constance Yver-Elleaume, médecin en soins palliatifs.

Pouvez-vous-nous expliquer en quoi consiste votre métier ?

Mon métier c'est d'accompagner les personnes qui sont confrontées à la fin de vie. Le plus souvent à cause d'une maladie grave ou en réanimation. Même si la plupart du temps la fin de vie touche des personnes âgées, elle nous concerne tous. J’accompagne les personnes ainsi que leur entourage, les soignants et les médecins.

Je leur apporte un soulagement de la douleur physique par des traitements médicamenteux ou parfois d'autres approches comme, par exemple, l'hypnose. Il faut prendre en compte l'aspect psychologique, social et spirituel de la personne pour pouvoir l'aider. Une mère de trois enfants ne réagira pas comme une vieille dame, par exemple, face à l'annonce de la mort.

La mort est une inconnue qui angoisse beaucoup. Comment est-ce que vous arrivez à rassurer les patients qui ont peur ?

"Ce que la chenille appelle fin du monde, le maître l'appelle papillon". C’est une citation qui a fait ses preuves et je peux vous assurer que je peux à peine compter sur les doigts d'une main les personnes qui n’ont pas accueilli positivement cette citation. En d'autres termes, je suggère au patient et à son entourage par de petites histoires, qu'il y a certainement d'autres dimensions, d'autres choses à accueillir.

J'ai connu, pour donner un exemple, une femme très angoissée alors qu'elle suffoquait, je me suis approchée et lui ai demandé si elle parlait parfois avec son mari décédé. Elle m'a regardé avec un regard noir signifiant qu'elle ne voulait pas qu'on la prenne pour une folle. Alors je lui ai raconté l'expérience d'autres patients qui m'ont témoigné avoir vu et parlé avec d’autres proches décédés et à quel point ils avaient l’air heureux de l’avoir fait dans ces moments difficiles. J'ai su qu’au cours des derniers jours de sa vie cette femme est partie apaisée en parlant à son mari. Peu importe notre religion, peu importe ce qu'on croit, la confrontation à la fin de vie est une opportunité à saisir.

Je suis souvent amené à suggérer au patient et à son entourage : "n’êtes vous pas entrain de vous angoisser pour une chose qui n’est pas encore arrivée ? Pour l’instant vous êtes là et quoi qu’il arrive personne ne peut savoir ce qui arrivera dans une heure ou deux ou dans trois mois. Le passé est le passé on ne peut rien y changer, notre seule possibilité est d’accueillir et vivre le présent comme il vient." Je m’adresse à l’être profond de la personne qui lui sait qu’il y a autre chose, qu’il est dans un processus de détachement de ce que j’appelle le gant terrestre.

Pouvez-vous expliquer cette notion de "gant terrestre" ?

Ce que j'appelle le gant de notre vie se sont tous les éléments de celle-ci, agréables ou désagréables, qui vont constituer notre vie sur Terre. Dans toutes les cultures on commence à devenir un ancien vers l'âge de 50 ans. C'est également à cet âge qu'on commence à se détacher de ce gant.

On vieillit, la peau se ride, les muscles font mal, on a de plus en plus de mal à faire certaines choses et on perd de la famille, des amis. Petit à petit, notre être profond, en tout inconscience, dans notre époque très matérialiste se reconnecte à une forme de spiritualité. Il se retire de ce gant et se reconnecte à une dimension de spiritualité. C'est à cette partie de mes patients que je m'adresse en leur suggérant que l'expérience qu'ils sont en train de vivre est une opportunité à prendre pour voir les choses d'une autre manière, de s'ouvrir.

Et la famille

Vous expliquez dans votre livre que la peur de la mort dépend également de la famille qui entoure le patient ?

Oui. Il faut savoir que la façon dont une personne va percevoir cette expérience de fin de vie est en partie liée à son environnement et ses proches. J'ai remarqué, au cours de ma carrière, qu'il est beaucoup plus facile pour un enfant, par exemple d'accepter qu'il arrive à la fin de sa vie, si les parents l'acceptent aussi. C'est exactement la même chose pour une dame âgée.

Une récente étude a montré que la plupart des gens meurent seuls. Même s'ils sont entourés d'un ou plusieurs proches, ils attendent que ces derniers s'absentent pour partir.

Avez-vous fait ce constat au cours de votre carrière ?

Absolument. C'est assez rare en fait que les gens meurent avec quelqu'un proche d’eux. C'est ce que j'expliquais précédemment, cette expérience dépend beaucoup de notre environnement. Si les proches ont du mal à nous laisser partir alors ça devient très compliqué. J'essaye de raconter aux gens l’importance d’accueillir la fin de vie comme un processus. Plus on accueille ce processus en tant que proches, plus on lui offre d’espace pour trouver un apaisement. Il y a beaucoup d’anxiété autour de la mort. Certains veulent coûte que coûte rester au chevet de leur proche et en même temps vivent très mal la situation. Quand c’est trop difficile, je conseille souvent aux personnes de sortir. On peut être plus proche de la personne en fin de vie dans un espace de détente que très angoissé en restant auprès d’elle. Si la personne s’éteint pendant notre absence, peut-être est-ce tout simplement un cadeau qu’il nous fait pour nous protéger.

Est-ce qu’on a mal quand on meurt ?

Les gens voient souvent la mort comme quelque chose de violent, or en soins palliatifs ça l’est pourtant beaucoup moins qu’une naissance. Pour l’arrivée d’un être, il y a beaucoup de cris, de douleurs malgré le caractère heureux de la situation, alors que lorsque quelqu’un s’en va la dimension est beaucoup plus spirituelle.

Bien sûr on fait tout pour apaiser la douleur physique avec entre autres des médicaments, mais ce n’est pas ce qui domine lorsqu’une personne est sur le point de partir. Le plus important c’est cet aspect de cocon dont l’être sort pour être accueilli dans un autre espace. Même si l’expérience est douloureuse émotionnellement, plus nous sommes attentifs au processus d’éclosion en cours moins ce dernier est difficile.

Justement est-ce qu’au moment où le corps s’éteint on est conscient ?

Ça dépend des situations. Il y a des personnes qui sont atteintes de maladies qui impliquent déjà un détachement comme la démence sénile, par exemple. Ces personnes ont des moments où beaucoup de choses leurs échappent.

J’ai vu des personnes être conscientes jusqu’au bout, mais le plus souvent il y a toujours un moment où le mental lâche, on n’est plus présent. Sorti de son cocon.

Sources

Au-delà du dernier souffle, Dr Constance Yver-Elleaume, Le souffle d'or

mots-clés : mort

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