
"Dans quelques dizaines d’années, nous serons capables de créer un pathogène susceptible d’éliminer la vie sur Terre", alerte le Dr David Relman, professeur d’immunologie à l’université Stanford en Californie et cosignataire de l’alerte. Cet appel ne sort pas d’un film de science-fiction. C’est bien un danger réel, redouté par plus de 39 chercheurs de renom, dont les prix Nobel Greg Winter et Jack Szostak, ou encore Yasmine Belkaid, immunologiste, qui dirige l’Institut Pasteur depuis le 1er janvier 2024.
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Covid-19 : symptômes, causes, traitements, transmissionDans un article publié en décembre 2024 dans la revue Science, ils alertent sur les risques sanitaires et environnementaux encourus avec les bactéries "miroirs", des micro-organismes conçus en laboratoire comme des reflets de bactéries naturelles, et appellent à l’arrêt des recherches en cours.
La main droite dans le gant de la main gauche
Le principe même d’une bactérie miroir est complexe et n'existe pas dans la nature. C’est tout simplement une création humaine. Mais pour comprendre, il faut revenir à la base de la biologie. Pour faire simple, sur Terre, toutes les formes de vie connues sont dites "homochirales", c’est-à-dire qu'elles peuvent exister sous deux formes possibles : droite et gauche. C’est le cas des molécules.
Exemple plus concret : les mains. Elles se ressemblent, mais il est impossible de les superposer. La main gauche est le reflet dans un miroir de la main droite, mais il est impossible de remplacer l’une par l’autre. Un gant droit ne couvre pas les cinq doigts de la main gauche.
"C’est un peu comme créer une main droite synthétique pour une main gauche qui existerait naturellement"
Poussés par la curiosité, certains chercheurs ont commencé à travailler il y a quelques années à la création de formes de vie composées entièrement de molécules biologiques en miroir (ni gauches ni droites). "C’est un peu comme créer une main droite synthétique pour une main gauche qui existerait naturellement", précise à France 24, le Dr Paul McGonigal, un chimiste qui travaille à recréer des "molécules miroirs" à l’université de York, au Royaume-Uni.
Leurs motivations sont diverses : éclaircir le mystère de l’origine de la vie sur Terre, créer une cellule artificielle ou inventer de nouveaux médicaments plus efficaces.
Une menace pour l’humain et l’environnement
Bien que ce procédé scientifique puisse permettre des avancées thérapeutiques intéressantes, les scientifiques redoutent l'arrivée d'une "forme de vie miroir" qui ne serait pas contrôlable. Plus précisément, ils mettent en garde contre la tentation de créer une bactérie ou un microbe miroir. "Sauf si on nous apporte la preuve qu’une telle forme de vie miroir ne présente pas de dangers extraordinaires pour toute forme de vie, nous estimons qu’il ne faut pas créer de tels organismes", martèlent-ils dans la revue Science.
Si une bactérie miroir voyait vraiment le jour, pourrait-elle infecter un humain et échapper au système immunitaire ? Cette inquiétude mérite d’être prise en compte. "Échanger avec les autres m’a convaincu de l’étendue de la menace : les humains, les animaux, les plantes, la vie marine…", précise au Monde le Pr Michael Kay.
Un projet qui pourrait voir le jour dans 10 ans
L'inquiétude s'étend donc depuis quelques années dans la communauté scientifique. Des chercheurs américains, européens, chinois et indiens publient un rapport technique de 300 pages, qui passe en revue les principales étapes du scénario.
Le rapport met en avant la rapidité des progrès, notamment grâce au Chinois Ting Zhu, de l’université Westlake (Zhejiang). Depuis bientôt dix ans, il réalise en laboratoire des prouesses avec des molécules miroir. Il voudrait "créer un système biologique miroir, qui pourrait être à la racine d'une nouvelle forme de vie."
"Le monde du vivant actuel ne dispose absolument pas d’outils pour lutter contre ces objets miroirs", affirme sur France 24 le Dr Oleg Melnyk. Notre système immunitaire n’aurait aucun pouvoir. Une bactérie miroir lâchée dans la nature risquerait d’avoir "des conséquences létales" pour les organismes contaminés, précise le média britannique The Guardian.
Alerter les financeurs de l'étude
Mais rassurez-vous, avant de vous précipiter dans le bunker le plus proche, à l’heure actuelle, rien n’est fait. "À ma connaissance, c’est extrêmement compliqué à réaliser d’un point de vue scientifique et technologique, car il ne s’agit plus d’imiter simplement une molécule ou une petite protéine, mais de combiner tous les blocs ensemble afin de créer quelque chose de vivant", explique à France 24 le Dr Paul McGonigal.
Avec cette alerte, les scientifiques espèrent faire entendre raison aux décideurs qui financent ces recherches. "Les bourses de recherche peuvent être distribuées à long terme, il vaut donc mieux avertir bien en amont sur les dangers, dans l’espoir que les financiers réfléchissent bien avant d’investir dans tel ou tel projet de recherche", affirme à France 24 le Dr Paul McGonigal. Surtout si ce projet pourrait potentiellement anéantir la vie sur Terre.