Quand les traitements anti-acides compromettent l’efficacité de certains anticancéreuxImage d'illustrationIstock
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"Nos résultats indiquent que les anti-acide réduisent l'efficacité du pazopanib chez les patients atteints d'un sarcome des tissus mous métastatique", déclare dans un communiqué le Dr Olivier Mir, oncologue médical et pharmacologue à Gustave Roussy. "Les médecins et les pharmaciens devraient particulièrement surveiller les patients qui prennent ces deux traitements simultanément, car leur association peut avoir un impact négatif significatif."

L’oméprazole est l'inhibiteur de la pompe à protons (IPP) ou anti-acide le plus couramment utilisé. L’institut Gustave Roussy estime que plus de 50 % des personnes qui suivent un traitement contre le cancer prennent aussi ce type de traitement. Ils sont souvent prescrits pour réduire les risques d’ulcère induit par les traitements anti-inflammatoires.

"La baisse de la solubilité conduit à une diminution de la biodisponibilité de l’anticancéreux et de son efficacité"

"L'absorption du pazopanib, un inhibiteur de tyrosine kinase utilisé dans le traitement du cancer du rein et des sarcomes des tissus mous, dépend du pH", note le Dr Olivier Mir. "Nous savons que les comprimés de pazopanib pris par voie orale doivent passer dans un milieu acide, c'est-à-dire dans l'estomac, pour se dissoudre. Comme la principale fonction du traitement anti-acide est de réduire l'acidité de l'estomac, ces traitements peuvent diminuer l'absorption du pazopanib", explique le Dr Olivier Mir.

Une étude française publiée en février 2023 dans la revue médicale Science Direct confirme également cet effet délétère entre l’association des IPP avec les inhibiteurs de tyrosine kinase et les immunothérapies. "La baisse de la solubilité conduit à une diminution de la biodisponibilité de l’anticancéreux et de son efficacité, une perte d’efficacité d’autant plus préoccupante que l’index thérapeutique des ITK est étroit", expliquent les auteurs de l’étude. Il y a donc moins d’anticancéreux dans le sang, ce qui expliquerait la diminution de leur efficacité.

Concernant l’interaction entre immunothérapies et IPP, les mécanismes seraient différents. "Les IPP modifient le microbiote intestinal, tout simplement parce que l’acidité de l’estomac est diminuée. Donc un certain nombre de bactéries vont proliférer. Or, les bactéries interagiraient avec certaines cellules immunitaires du tube digestif", a expliqué au média Le Monde le Dr Jean-Luc Raoul, oncologue digestif à l’Institut de cancérologie de l’Ouest, à Saint-Herblain en Loire-Atlantique.

Des résultats à interpréter avec prudence

Il faut néanmoins interpréter ces résultats avec précaution. "Ils doivent inciter à la prudence, et à la recherche d’alternatives aux IPP chez les patients qui reçoivent ces anticancéreux", précise Dominique Deplanque, professeur de pharmacologie au CHU de Lille, au média Le Monde.Les auteurs de l’étude soulignent l’intérêt des IPP, néanmoins ils alertent sur ce type de thérapeutique très largement utilisé. "Les potentielles interactions qui sont les leurs et leur profil d’effets indésirables en font des molécules qui ne sont pas sans danger. Le patient atteint de cancer est quelqu’un de fragilisé, qui peut présenter des comorbidités et peut donc être aussi davantage concerné par les effets indésirables des IPP".

Une recherche de traitements alternatifs

Ces différentes études relancent le débat sur le mésusage des anti-acides et la recherche d'alternatives. Une enquête de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) de 2015 et une étude de l’Assurance Maladie de 2019 ont montré un large mésusage de ces traitements, prescrits trop fréquemment dans des situations non justifiées ou sur une trop longue durée.

Selon l’Assurance Maladie, ce mauvais usage concernerait entre 40 et 80 % des patients et l’ANSM a montré que près de 80 % des patients ayant débuté un traitement en association systématique avec un anti-inflammatoire non stéroïdien (AINS) n’avaient aucun facteur de risque pouvant justifier cette prescription préventive.

"Les patients ont souvent recours à des anti-acides pour soulager des douleurs abdominales qui ne sont pas toujours directement liées à l'acidité de l'estomac". Il ajoute : "La majorité des patients atteints de cancer qui prennent des médicaments anti-acides pourraient avoir recours à un traitement différent pour soulager ces symptômes. Il est absolument primordial que les patients informent leurs oncologues de tous les médicaments qu'ils prennent pendant le traitement du cancer, y compris ceux en vente libre, et y compris les plantes médicinales, afin que de potentielles interactions médicamenteuses délétères puissent être évitées", conclut le Dr Olivier Mir.

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