Soldes et conséquences
Sommaire

Acte I, La penderie

Porte droite. Au-dessus de la plus grande colonne de boîtes à chaussures. Côté robes...

"J'ai entendu l'info au JT. C'est reparti, ça commence demain. Je n'ai pas dormi de la nuit, sommeil agité, angoisse dans l'ourlet, col serré, les poches toutes boutonnées. J'en suis toute froissée. Je la connais, cela ne va pas faire un pli. Elle va y aller et revenir les bras chargés. De fringues. Je le sais d'autant mieux que je suis arrivée ici il y a douze ans, aux soldes d'hiver. Mais pas des soldes d'ici. D'une autre capitale. Celle d'une belle province espagnole. C'est vous dire si je lui avais plu. Elle était fière de me porter, elle disait qu'elle avait gagné au change. Mais c'était cousu de fil blanc, la vérité, la vraie, c'est qu'elle avait eu le coup de fil, de foudre je veux dire".

Acte II, La penderie

"Mais depuis, je reste pendue bêtement là, à mon portemanteau, entre la robe vieux rose à plis creux de l'été 2003 et la fleurie bleue des années 80 qu'elle adooooooore porter en vacances. Celle-là, on peut dire qu'elle défile, et tous les étés. Enfin, en tous cas, elle part dans la valise. Je ne suis pas certaine qu'elle en sorte toujours. Je le vois à sa mine fripée au retour. Il paraît que le soleil, ça ride.
J'ai peur. On est trop coincés là-dedans. Il y a eu une "terreur" ici en février 1998. Il faisait froid, souvenez-vous. Ce fameux premier jour de soldes, elle avait rapporté 4 chemisiers, 2 robes en lainage, 1 veste blazer en velours in-dé-mo-da-ble et 2 pantalons, dont un en tweed d'une épaisseur redoutable.
Pour les ranger, elle a fait le tri...".

Acte III, La penderie

"Douze centimètres de garde-robe y sont passés. Passés, trépassés. Elle furète, elle en sort un, le plaque sur elle, le replace. Elle en sort un autre, un coup d'œil, hop, par terre, au sol en tas. Ensuite, je ne sais pas... Cette fois-là, elle m'a sortie du rang. C'était la première fois que ce n'était pas pour m'enfiler. Elle m'a scrutée, tournée et retournée... Et m'a replacée sur le cintre. Il fait froid depuis Noël. Sûr qu'elle va ramener des trucs épais...."

Acte IV, Le chéri

Le salon. Le canapé. A côté de la table basse. Dessus, un verre posé. La télé est allumée et son écran s'agite. Jean-Pierre aussi.

"J'ai entendu l'info au JT. C'est reparti, ça commence demain. Je n'ai pas dormi de la nuit, sommeil. Je me sens à découvert. Je la connais, cela ne va pas faire un pli. Elle va y aller et revenir les bras chargés. De fringues. Je le sais d'autant mieux que cela fait douze ans que cela dure avec une régularité de métronome. Deux fois par an. En janvier et en juin. Soldes d'hiver, soldes d'été. Mais les pires soldes sont bien ceux-ci. Les soldes d'hiver...."

Acte V, Le chéri

"C'est probablement dû à la proximité des frasques de fin d'année et celle du premier tiers et les dégâts collatéraux sur les finances de la maison.... Elle va encore ramener mille pulls, deux cents vestes, quatre cents pantalons, trois cent mille robes et deux poches mystère. Elle va arriver épuisée, les traits tirés, le porte-monnaie vidé, elle va s'écrouler sur le fauteuil (tiens, un nouveau manteau !). Me lancer un regard chaviré (tiens, de nouvelles lunettes de soleil !)..."

Acte VI, Le chéri

"Là, elle sautera soudainement sur ses pieds (tiens, des nouvelles bottes !) et s'exclamera sur un ton de petite fille : "Tiens, regarde ce que je t'ai ramené", et brandira, telle la Liberté guidant le peuple, deux sacs mystères. Dedans, des chaussettes. Je le sais sans même les ouvrir. En fait, c'est comme un film... Registre comique de répétition. Moi, je suis le spectateur, ou le producteur peut-être. J'attends. Je guette. Je n'ose même plus bouger du canapé. Je pourrais trébucher sur les sacs. Avant, je m'amusais à dénicher les paquets cachés. Sous le lit, dans les placards de la cuisine, dans le coffre de la voiture. Je n'en ai pas encore vu dans le frigo. Mais c'est pour cette année peut-être, ou bien pour les soldes d'été alors..."

Acte VII, Le vendeur

La boutique. Le canapé. A côté de la cabine d'essayage. A proximité de la console où sont soigneusement empilées les colonnes de pulls...

"Les infos en ont parlé. C'est reparti, ça commence demain. Je n'ai pas dormi de la nuit. J'ai fait des cauchemars. J'étais assailli par des envahisseurs assoiffés de sang et de conquête, mais tous des femmes. Cela n'a pas encore démarré et déjà je suis plié, comme les pulls. Je les connais, ça va faire mal. Elles vont débouler, tout fouiller, farfouiller, retourner, renverser. Et d'abord, les piles de pulls. En général, elles sont divisées en trois corps d'armées : les mères, les "pas cher" et les "je mets tout en l'air".

Acte VIII, Le vendeur

"Elles fonctionnent en bataillons (dé)rangés. 50 dans la cabine, 50 derrière, 50 devant. Toutes en collants et soutiens-gorge, les cheveux en pétard, le regard hagard qui scrute tel un laser ce que les voisines ont dans les mains ou sur le dos.
Leurs armes ? C'est la griffe. Elles sont prêtes à sauter sur l'ennemie pour la dépouiller vite fait, bien fait. C'est du terrorisme. C'est la guerre. Après, c'est Beyrouth. Moi, je suis le spectateur, ou le réalisateur peut-être. J'attends. Je guette. Je n'ose même plus bouger de ma caisse. Je pourrai trébucher sur les fringues. Avant, je m'amusais à ranger, je participais, je coopérais. Rassembler les paires de chaussures, fermer les boutons, raccrocher les fringues sur les cintres, ranger les portants, calmer les unes, consoler les autres, chercher la taille 38 ou la pointure 40. Maintenant, j'ai lâché l'affaire. Je fais le total et je mets les affaires dans le sac."

Acte IX, Le vendeur

"Aussi prévisible que la crise de foie au lendemain des fêtes ou le rhume des foins au printemps, une épidémie de fièvre acheteuse, très contagieuse, sévit en janvier dès l'ouverture des soldes. Les symptômes de cette maladie typiquement féminine sont connus : fébrilité extrême (devant les étiquettes), crise d'angoisse (y aura-t-il ma taille ?), accès de boulimie (de fringues) et envie de maigrir (pour rentrer dedans), idée fixe (acheter à tout prix), perte de la raison (achats idiots), agressivité (touche pas à mon solde), grande fatigue (journées éreintantes), autosatisfaction (de la bonne affaire)..."

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