"La maladie de Crohn résulte d’une hyperactivité du système immunitaire de la muqueuse intestinale, sous l’influence de facteurs génétiques et environnementaux, décrit le Dr Sylvie Grimbert, chef de service gastro-entérologie du Groupe hospitalier Diaconnesses Saint Simon (Paris). C’est une inflammation chronique qui touche l’ensemble du tube digestif".
Cette pathologie est certainement l’une des moins faciles à assumer, semble expliquer la spécialiste. Et pour cause, elle impacte directement la qualité de vie des patients en raison des symptômes cliniques qu’elle génère : troubles digestifs invalidants, besoin imminent de se rendre à la selle, manifestations articulaires, fatigue… Plus de la moitié des patients atteints de la maladie de Crohn considèrent que leur maladie est un handicap.
Très souvent, la maladie survient tôt dans la vie (entre 20 et 30 ans), mais elle peut survenir à n’importe quel âge. La maladie de Crohn fait partie des maladies inflammatoires chronique de l’intestin (MICI), au même titre que le syndrome du côlon irritable ou la rectocolite hémorragique (RCH).
"Le nombre de malades est estimé à 3 millions en Europe (MICI), dont 1 million pour la maladie de Crohn, précise la spécialiste. En France, on dénombre 250 000 personnes prises en charge par une MICI dont 60 % pour la maladie de Crohn. Aujourd’hui, on estime qu’il y a environ 8000 nouveaux cas de MICI diagnostiqués chaque année, dont 4000 pour la maladie de Crohn". En effet, l’incidence de la maladie a énormément évolué ces dernières années, et notre mode de vie occidental (tabac, stress, aliments industriels…) n’y est pas étranger.
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Maladie de Crohn : les facteurs de risque
La maladie de Crohn est une maladie multifactorielle. Si une prédisposition génétique joue un rôle important, d’autres facteurs peuvent être responsables. L’augmentation de l’incidence de cette maladie en France le démontre.
Des facteurs génétiques
Une prédisposition génétique à développer une sur-activation du système immunitaire intestinal peut rendre un patient à risque. "En effet, le risque pour la parenté de premier degré, et en particulier pour la fratrie d'un patient atteint de MICI, est de 10 à 25 % plus élevé. Ce lien génétique familial est particulièrement vrai dans la maladie de Crohn", explique le Dr Grimbert.
Plusieurs gènes à l’origine de la maladie de Crohn ont été identifiés, à savoir le gène NOD2 : 25 à 40% des patients sont porteurs de la mutation de ce gène.
Le tabac
Le tabac peut déclencher, voire aggraver une maladie de Crohn. "Le risque de développer la maladie double chez les fumeurs, par rapport à la population générale", prévient le Dr Grimbert.
En outre, l’évolution de la maladie sera beaucoup plus sévère et agressive chez les fumeurs, qu’il s’agisse des poussées, rechutes, du risque d’intervention chirurgicale ou même de récidives post-opératoires. Ces désagréments seront plus fréquents.
"À l’inverse, le sevrage tabagique est bénéfique, estime la spécialiste. Et les effets vont se faire sentir dès la fin de la première année. Le risque de rechute se verra aussi diminuer".
Des facteurs psychologiques
Le Dr Grimbert souligne également l’aspect psychologique, qui est déterminant dans la survenue de la maladie de Crohn.
"Un grand stress ou un choc émotionnel peuvent constituer des facteurs déclenchant de poussées, exprime-t-elle. Si aucune étude ne démontre cet aspect, mon expérience en tant que praticienne m’a permis de m’en rendre compte en suivant mes patients".
Le rôle du microbiote intestinal
"La flore intestinale joue un rôle central dans la pathogenèse des MICI, rôle qui est suggéré par différentes observations, détaille l’experte. Tout d’abord, les lésions les plus fréquentes coïncident avec les zones de haute densité de bactéries. Ensuite, la maladie de Crohn est associée à un déséquilibre du microbiote intestinal. C’est le microbiote qui contribuera au déclenchement de l’inflammation".
Quel que soit l’agent infectieux, une infection de la flore intestinale peut suffire à déclencher la maladie de Crohn.
L’alimentation
Votre régime alimentaire joue aussi un rôle dans le déclenchement des MICI et notamment pour la maladie de Crohn. "Des études ont déjà démontré qu’une consommation récurrente de graisse animale, d’aliments riches en additifs et industriels sont susceptibles de favoriser l’inflammation", ajoutent le Dr Grimbert. Ces derniers favorisent une modification de la flore intestinale (dysbiose) qui peut induire l’inflammation de la paroi intestinale.
Les symptômes tabous de la maladie de Crohn
La maladie de Crohn est une maladie inflammatoire pouvant toucher n’importe quel segment du tube digestif. Le plus souvent, elle est découverte à l’occasion d’une poussée inaugurale ou d’une complication.
"La localisation initiale des lésions au moment de la 1ere poussée est déterminante pour les localisations ultérieures", décrit la gastro-entérologue.
©Association AFA- Crohn-RCH- France
Des envies pressantes et inattendues d’aller à la selle
Les principales manifestations sont intestinales : des douleurs abdominales et la diarrhée, souvent accompagnées de sang dans les selles et/ou de glaires. Au quotidien, c’est un réel handicap, semble-t-il.
Les patients sont souvent gênés par des envies pressantes d’aller à selle, ou même à de faux besoins. Ces désagréments gênants peuvent survenir à tout moment.
Des douleurs durant la selle
La maladie de Crohn, si elle atteint la région anale, peut entraîner l’apparition d’une fissure ou d’un abcès dans cette zone. "Cela peut provoquer une gêne, voir une douleur intense lors du passage des selles", décrit la spécialiste.
L’infection de la glande d’Herman (située à l’intérieur de l’anus) peut conduire à l’apparition de fistule. Il s’agit d’un "tunnel" qui va traverser les tissus, dont les muscles de l’anus, et former une boule par laquelle va s’écouler un liquide séro-purulent.
Une grande fatigue
Une altération de l’état général accompagne souvent les poussées. Le Dr Grimbert évoque une très grande fatigue, un manque d’appétit et un amaigrissement qui peut même conduire à l’anorexie.
Fièvre et tachycardie peuvent aussi faire partie des signes de la maladie de Crohn.
Des manifestations articulaires
"Au cours de l’évolution de la maladie de Crohn, un tiers des patients vont présenter des manifestations extra-digestives, ajoute le Dr Grimbert. Celles-ci peuvent notamment toucher les articulations périphériques (arthrites) ou entraîner une atteinte axiale articulaire (spondylarthrite ankylosante).
Pourquoi les patients en ont honte ?
"C’est une maladie encore taboue, invisible le plus souvent, et qui touche l’intimité des patients, témoigne la gastro-entérologue. Parler de ses selles est compliqué. L’image de soi qu’ont les patients se détériore très vite, d’autant plus que beaucoup sont jeunes et tentent de concilier leur maladie avec leurs propres doutes. Dans une société où l’apparence physique et la bonne santé sont mises en avant comme des piliers de la confiance en soi, les patients peuvent se sentir marginalisés par ce handicap".
En effet, très souvent, les patients renoncent à en parler et tentent de dissimuler les désagréments gênants qui apparaissent, craignant le regard des autres. "Toute cette problématique génère du stress, qui peut conduire certains patients à la dépression", poursuit le médecin.
Une maladie qui porte atteinte à la vie de couple
Plus de la moitié des patients atteints de la maladie de Crohn considèrent que leur maladie est un handicap : ils sont souvent gênés au quotidien par des envies pressantes qui les conduisent à s'assurer partout de la présence de toilettes à proximité.
"Les conséquences sur leur vie affective sont aussi très importantes : l’entourage a souvent du mal à comprendre cette maladie et notamment certains symptômes. Dans la vie de couple, la fatigue extrême, par exemple, conséquence très fréquente de cette maladie, entraîne souvent une baisse de la libido", déplore le Dr Grimbert.
Des effets sur la vie professionnelle et sociale
"‘Handicap’ est un terme fort, mais approprié au regard du vécu des patients et de la gravité de ses effets sur eux et leur vie sociale et professionnelle. Beaucoup ne veulent pas en parler par peur des conséquences professionnelles : il n’est pas rare, lorsque les patients sont obligés de déclarer leur maladie à leur employeur, qu’ils soient soudain mis sur le banc de touche, à défaut de pouvoir être licenciés. Ce plafond de verre est particulièrement marqué chez les femmes".
"D’autres sont contraints à des reconversions professionnelles, si leurs projets ne sont pas compatibles avec la maladie", insiste la spécialiste. En clair, la maladie de Crohn n’impacte pas uniquement la santé, mais toutes les sphères de la vie.
Les complications : fistule, occlusion, perforation et même cancer intestinal
L’évolution de la maladie au cours du temps est associée à l’apparition de complications intestinales représentées par les sténoses, les perforations et les abcès abdominaux ou pelviens. Ces complications, nécessitent parfois le recours à la chirurgie. Dans le pire des cas, la maladie de Crohn peut déclencher un cancer du côlon.
La fistule
Elle est due à des phénomènes inflammatoires avec constitution d’un abcès qui finit par s’ouvrir dans les organes voisins. Ainsi, la fistule met en communication le segment intestinal malade avec un autre segment digestif, ou avec un organe du voisinage (vessie, organes génitaux chez la femme, ou peau, ndlr)".
La constitution d’une fistule s’accompagne de douleurs, d’une altération de l’état général et de fièvre.
L’occlusion intestinale sur sténose digestive
L’occlusion intestinale est une obstruction partielle ou totale de l’intestin grêle ou du côlon. Ce blocage empêche les aliments, les liquides et les gaz de circuler normalement dans l’intestin. Elle cède le plus souvent à un traitement médical, mais peut nécessiter un traitement chirurgical.
C’est une véritable urgence médicale qui implique l’hospitalisation, voire une intervention chirurgicale. L’occlusion intestinale peut entraîner la mort du patient si elle n’est pas traitée.
La perforation intestinale et les hémorragies
Si la perforation intestinale est rare, elle peut survenir, surtout suite à une occlusion intestinale. Elle constitue une urgence chirurgicale en raison des risques liés à la péritonite aiguë.
Les lésions intestinales provoquées par la maladie de Crohn peuvent parfois provoquer des saignements.
La survenue d’un cancer intestinal
"Le risque de contracter un cancer intestinal est plus élevé pour les patients atteints de la maladie de Crohn que pour la population générale, d’où la nécessité d’une surveillance endoscopique par des coloscopies, prévient le Dr Grimbert. Ces examens peuvent dépister d’éventuelles lésions précancéreuses".
Ainsi, surveiller les patients drastiquement est essentiel : elle permet d’adapter le traitement, de juger de l’efficacité de celui-ci, et de contrôler l’absence de complications.
Maladie de Crohn : les traitements
Heureusement, la plupart des complications peuvent être évitées ou stoppées dans leur évolution par les traitements. "Les amino-salicylates et les corticostéroïdes, suivis des immunosuppresseurs, ont constitué depuis plusieurs décennies les piliers de l'arsenal thérapeutique contre ces maladies", partage le Dr Grimbert.
Or, la spécialiste évoque aussi les biothérapies qui semblent avoir révolutionné la maladie. "Les biothérapies sont des anticorps monoclonaux dirigés contre certaines protéines de l’inflammation qui détruisent la paroi intestinale. Elles permettent d’obtenir des rémissions chez des patients sévèrement malades, poursuit le médecin. Aujourd’hui, les objectifs du traitement sont encore plus ambitieux en essayant d’obtenir une rémission profonde avec cicatrisation de la muqueuse, ce qui permettrait d’obtenir une guérison durable".
Les amino salicylés
Il s’agit d’agents anti-inflammatoires agissant au contact de la muqueuse intestinale. "Ces traitements ont une efficacité modérée dans la maladie de Crohn, qu’il s’agisse de traiter les poussées ou de permettre la rémission, décrit le Dr Grimbert. En revanche, plusieurs analyses ont prouvé leur pouvoir préventif pour le cancer colorectal".
Les corticoïdes
Lors de poussées minimes ou sévères d’une maladie de Crohn, les corticoïdes peuvent être recommandés. Compte tenu de leurs effets secondaires (prise de poids, rétention d’eau…), le Dr Grimbert préconise de ne pas les utiliser comme traitement d’entretien. En outre, certains patients présentent une résistance à ces médicaments.
Les immunosuppresseurs
Ils permettent d’obtenir une rémission pour 20 à 30 % des patients au bout d’un an. Néanmoins, des intolérances sont observées chez 20 % des malades. Ils ont pour but d’inhiber ou prévenir l’activité du système immunitaire (étant donné que c’est ce dernier qui est à l’origine de la maladie de Crohn).
La biothérapie
La prise en charge de la maladie de Crohn a été révolutionné par l’avènement de la biothérapie, semble expliquer le Dr Grimbert. "Lorsque la maladie atteint un stade grave ou compliqué, ils peuvent être utilisés en première ligne", explique-t-elle. Leur dénomination vient du fait qu’ils sont créés grâce aux organismes vivants (biologie).
La chirurgie dans la maladie de Crohn
"Elle est proposée lors de la survenue de certaines complications comme les cas de fistules ou abcès", nous confie encore la spécialiste. En outre, l’intervention chirurgicale est aussi une solution si les traitements médicamenteux s’avèrent inefficaces, ou si la maladie a dégénéré en cancer du côlon.
Enfin, pour aller mieux, les patients atteints de la maladie de Crohn devraient privilégier une alimentation équilibrée, pauvre en acides gras.
Les nouveaux traitements en cours d'essai
Pour mieux prendre en charge les patients, de nouvelles biothérapies sont apparues, d'après la spécialiste : "il s’agit de nouveaux immunosuppresseurs dits 'petites molécules'. Ils représentent probablement la seconde révolution thérapeutique dans les MICI. Ils ont donné des résultats très prometteurs dans les essais de phase II pour la maladie de Crohn. Ces traitements sont administrés par voie orale".
En outre, des pistes de recherche sont actuellement en cours d'essai. "La Transplantation Médicale Fécale semble être une nouvelle voie thérapeutique dans le maintien de la rémission clinique dans la maladie de Crohn", explique le Dr Grimbert. Le principe est semblable à un don de sang : des donneurs vont pouvoir donner leurs selles. Cette solution vise à modifier la flore intestinale et à la faire revenir à un état normal pour traiter la maladie.
Merci au Dr Sylvie Grimbert, chef de service gastro-entérologie du Groupe hospitalier Diaconnesses Saint Simon
Association AFA Crohn - RCH - France
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