Nèle, 26 ans : “Atteinte du trouble dysphorique prémenstruel, j’ai des idées noires tous les mois”Istock
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On estime que 20 à 50 % des femmes en âge de procréer souffrent du syndrome prémenstruel (ou SPM), un ensemble de symptômes et désagréments survenant durant les jours précédents les menstruations. Par ailleurs, 5 % des femmes en âge de procréer souffrent d’une forme sévère de SPM : le trouble dysphorique prémenstruel. Je fais partie de ces 5 %, et cette pathologie impacte lourdement mon quotidien.

Les symptômes du TDPM : des douleurs physiques et mentales

Le trouble dysphorique prémenstruel (ou TDPM) se manifeste uniquement pendant la phase lutéale et se superpose un peu au début des règles (une période de 5 à 10 jours avant les règles, et les 2 premiers jours de celles-ci). Au quotidien, pendant cette période, je ne suis pas "moi-même". Les hormones dérèglent entièrement mon corps et je passe par des pics très différents de douleurs physiques, et, plus principalement, beaucoup de souffrance mentale. Les symptômes varient à chaque cycle, certains sont beaucoup plus simples à vivre, et d'autres me semblent insurmontables.

Mes symptômes sont les suivants : fatigue extrême, perte d'intérêt, besoin de s'isoler, insomnie et/ou hypersomnie, hyperphagie et/ou perte totale d'appétit, crises de colère, crises d'angoisse, hypersensibilité générale, dévalorisation, pensées suicidaires, douleurs à la poitrine avec gonflements, état dépressif, douleurs aux articulations, anxiété générale, migraines, création de conflit avec les autres, comportements auto-destructeurs, nausées et vomissements, malaises, douleurs généralisées utérus/estomac.

Dans mon cas, j’ai parfois aussi de longues périodes dissociatives ( mécanisme de défense du psychisme qui permet de se déconnecter temporairement de la réalité , NDLR) dues au trouble, mais ce n’est pas un symptôme du trouble lui-même, plutôt une réaction à ça.

Quand les règles arrivent enfin : la délivrance

Chaque symptôme va apparaître plus ou moins fortement à chaque cycle, et en général, sur les 7 à 12 jours de TDPM que je vais avoir, je pense qu'il y en a 3 à 5 où je suis handicapée dans mon quotidien. Ce qui est assez “amusant”, c'est que, contrairement à certaines de mes homologues qui maudissent cette période du mois, quand mes règles arrivent enfin, je suis soulagée. Il m’arrive même d’en pleurer de joie ! Cela signifie la fin de mon TDPM pour ce mois-ci. Si je me réjouis à l’arrivée de mes règles, à l’inverse, je crains aussi quand elles se terminent. Il m’arrive fréquemment d’angoisser d’avance, en sachant que mon trouble se manifestera de nouveau.

Quelles différences entre le SPM et le TDPM ?

Syndrome prémenstruel et trouble dysphorique prémenstruel ne sont pas éloignés. La différence, c'est l'intensité. Je donne souvent l'exemple de la cuillère, et je pense que beaucoup de personnes avec un cycle menstruel vont se reconnaître. Imaginez la situation : quelques jours avant vos règles, vous faites votre vaisselle, et maladroitement, vous faites tomber une cuillère par terre. Les larmes vous montent aux yeux et vous vous mettez à pleurer sans raison. Ça, c'est le SPM.

D’un autre côté, moi, si je fais tomber une cuillère pendant mon TDPM, cela ne va pas “juste” faire couler quelques larmes. Le son du métal sur le sol va instantanément me donner envie de m'arracher les cheveux, je vais me mettre un coup au front parce que la migraine m’assaille directement, les larmes montent, je m’agace, assène un coup de pied dans cette cuillère, je vais m'insulter de l'avoir faite tomber, je vais la ramasser et me frapper avec, et après je vais enfin me calmer et finir ma vaisselle.

Quand je raconte ça, je me rends compte d’à quel point la réaction est excessive. C’est une autre chose que je souhaiterais souligner : mon TDPM m’apporte beaucoup de honte. Les réactions sont tellement démesurées… Pire encore, parfois, il ne s’agit même pas d’une réaction, mais d’une pulsion violente, sortie de nulle part. Les symptômes du SPM sont, dans les grandes lignes similaires, mais il y a un degré de "je suis dangereuse pour moi-même et pour les autres" avec le TDPM. Ce n'est pas juste un état dépressif.

Une journée type dans la peau d’une personne atteinte de TDPM

  • Une nuit de courte durée

En général ça commence avec une insomnie, où je me sens complètement engourdie émotionnellement. Je ne "ressens" rien. J’essaye de passer le temps avec de la lecture, tout ce que je peux me mettre sous la main. Quand il faut se lever, mon corps est lourd, j’ai mal aux articulations. Alors je prends le temps de m’étirer, mais en général la douleur et l’anticipation d’une mauvaise journée me font déjà pleurer. Certains jours, je ne verse que quelques larmes. D’autres, je suis submergée par l’anxiété, et fais une crise d’angoisse. Je vais avoir beaucoup de mal à respirer et en général je me fais mal en serrant trop fort les mains, en me grattant agressivement le visage et le cou, en me frappant les jambes… Une fois calmée, et si je fais pas un malaise en me levant enfin du lit (parce que ça peut arriver, surtout si la crise a été longue), je fais ce que j’ai à faire le matin. En général, cette sensation d’être engourdie, voire détachée de mon corps peut durer longtemps. C’est un mécanisme de défense que mon corps a mis en place pour ne pas "subir" la réalité de mon trouble, donc je dissocie pour faire les tâches du quotidien sans trop de peine (travail, ménage, cuisine, ce genre de choses).

  • Le TDPM et son impact sur les interactions sociales

Si je suis exposée à des situations sociales ce jour-là, je vais être très rapidement énervée par la présence des autres, et je vais me mettre à détester les gens qui m’entourent. C’est pourquoi, en général, j’évite, je m’isole. Prenons une journée où je suis forcée : je dois vraiment prendre sur moi et, dès que c’est trop difficile, je m’isole pour ne pas m’en prendre verbalement aux personnes ou à moi-même. Quand je travaillais en open space (e space de travail collectif ouvert, NDLR), ça voulait dire m’enfuir dans les toilettes pour pleurer à l’abri des regards. Il arrivait toutefois que je ne puisse pas me retenir, et je pleurais en pleine discussion avec des personnes, en priant qu’ils s’en aillent et que plus personne ne m’adresse la parole de la journée.

  • Le TDPM et son impact sur l’alimentation

Le midi je mange rarement, l’idée de manger me donne la nausée et si je le fais quand même, je risque de vomir mon repas. Je me considère chanceuse si je passe la journée avec “juste” un mal de ventre.

  • L’épuisement et l’agacement

L’après-midi, je suis déjà épuisée. J’ai du mal à bouger, je ne peux plus ignorer les douleurs dans mon corps et malgré les médicaments ça rend les choses compliquées. Je vais être très amorphe. Je ne parle plus, ne bouge plus trop, j’essaye de faire des choses pour m’occuper mais tout m’énerve, m’ennuie, me dégoûte. Alors je commence à tout remarquer, les petits bruits, les sensations, tout, et ça me rend folle. Le moindre stimulus peut me faire partir en crise, donc j’essaye de limiter au maximum les interactions avec quoi que ce soit.

Si j’arrive à passer la journée sans faire de crises, aussi courtes soit-elle, c'est une grande victoire. Le soir, je m’éteins totalement, mais je reste un être humain qui a besoin de divertissements, de sources de joie. Alors j’essaye de faire des choses. Parce que même si l’envie n’y est pas, que je me force, je sens que dans le fond, ça me fait du bien. Je m’oblige à discuter avec des amis, à rire… Pendant ce temps, je vais avoir des pensées intrusives qui me répètent que je déteste tout le monde ou que j’ai envie de mourir, mais je m’accroche. Pour garder le cap. Ensuite, la nuit vient. Si je ne suis pas complètement épuisée, je repars pour une nuit blanche.

Des pensées qui nous donnent honte

Tout ce temps passé avec ces idées horribles, de vouloir se faire du mal, de souhaiter du mal aux autres, d’avoir envie de dormir jusqu’à ne plus jamais se réveiller… C’est très destructeur. On a honte, on culpabilise énormément, on passe par toutes les émotions négatives et on est persuadés qu’on va mourir, parce qu’on sent que ce n’est pas normal d’avoir autant mal, que ce soit physiquement ou mentalement. Je répète souvent que je suis "fatiguée", "épuisée", et on me taquine souvent à ce propos, mais c’est pourtant ma réalité.

Quand enfin je sors de ma phase lutéale, et que mes règles sont finies, je peux respirer, mais je dois me remettre physiquement et mentalement d’une période horrible, en sachant que la prochaine arriv e. C’est dur à vivre, mais je suis soulagée de ne pas avoir pire. C’est un peu bizarre à dire avec tout ce que je raconte ici, mais je m’en sors vraiment très bien, et beaucoup de personnes souffrant du TDPM n’ont pas cette chance-là. Je n’ai "que" ce souci à gérer.

Comprendre qu’on a un trouble : le déclic

Je n’ai pas toujours su que j’étais malade. J’ai eu un déclic un jour, lors d’une scène très précise avec mon précédent compagnon. Celui-ci souffrait beaucoup de mon état, cycle après cycle. Il ne trouvait pas ça normal, et se sentait complètement démuni face à ma souffrance. Je répétais "C'est rien, c'est la vie, j'ai un utérus, c'est comme ça" car moi-même j'étais persuadée qu'il n'y avait pas d'explications, surtout après des années d'errance médicale où on me répétait que j'étais en parfaite santé. Cependant, un jour, j'ai eu une crise de colère extrêmement violente. Dans mon quotidien, je ne me mets jamais en colère, je suis frustrée, agacée tout au plus, mais je n'élève jamais la voix. Ce jour-là malheureusement, j'avais de la haine en moi, que je ne m'expliquais pas, que je ne savais pas où mettre, et j'ai fini par dire des choses absolument affreuses à mon partenaire. Sur le moment, j'avais des pensées horribles. Et puis, j’ai fini par prononcer "J'ai envie de te frapper !", et j'ai su. Je n’en revenais pas, et lui non plus. J'ai fait une crise d'angoisse juste après, j'avais l'impression de mourir, mon corps entier me faisait mal et ma tête allait exploser. Il a eu le recul pour se dire que ce n'était pas moi, que je n'aurais jamais dit ça, peu importe la discussion, peu importe le contexte, et que quelque chose n'allait forcément pas. Après m'avoir rassurée, il m'a encouragée à continuer mes recherches, car ce n'était clairement pas normal, et j'étais en train de mourir à petit feu de cette souffrance.

Diagnostiquer le TDPM : des années d’errance médicale

J'ai passé 7 ans en errance médicale. J'ai vu une myriade de médecins, psychologues et gynécologues. J'ai été passé au crible de nombreux examens : échographies, IRM… C’était sans fin. On pensait à l'endométriose? Perdu. Kystes ovariens ? Non plus. Fibromes utérins ? Toujours pas. Et puis, un jour, j'ai parlé de ma souffrance à une amie, et elle m'a dit tout de suite "Tu as le trouble dysphorique prémenstruel, comme ma mère." Je suis rentrée en contact avec cette femme, qui souffre du TDPM depuis bien plus longtemps, et elle m'a tout de suite prise sous son aile.

J'étais tellement soulagée, je me disais enfin "je ne suis pas folle" et ça m'a donnée tout le recul dont j'avais besoin. Depuis le diagnostic, quand des pensées noires me viennent, je peux beaucoup plus facilement me dire "c'est les hormones qui parlent, tu sais que ce n'est pas toi." Je peux respirer, me dire que ça va passer.

L’entraide entre patientes du TDPM

Grâce à la mère de mon amie, j’ai rejoint un groupe Facebook d'entraide sur le sujet. Il y avait des ressources comme des documents explicatifs à fournir aux médecins, car le TDPM est très peu connu. C’est comparable à l'endométriose d'il y a quelques années, qui une maladie était très peu reconnue et maîtrisée par le personnel médical. Aujourd'hui, le sujet avance enfin et beaucoup de personnes commencent à connaître et à se faire diagnostiquer. Pendant 7 ans, aucun des professionnels que j'ai consultés ne connaissaient le TDPM et m'en ont parlé. Mon diagnostic a finalement été obtenu avec une sage-femme chez qui je fais mon suivi aujourd'hui, qui ne connaissait pas non plus, mais qui a été à l'écoute et s'est formée sur le sujet afin de pouvoir enfin faire tomber le diagnostique officiel.

Ne pas se soigner, mais se soulager

  • La pilule et le TDPM

On ne peut pas soigner ce trouble, et les solutions n'en sont pas vraiment. Le plus courant c'est de mettre la personne atteinte sous pilule contraceptive, pour réguler les hormones, mais beaucoups de personnes avec TDPM témoignent qu'il est difficile, vraiment, de trouver une pilule compatible qui va vraiment faire effet et atténuer les symptômes. Pour certain.es, ça donne juste l'impression d'engourdir la totalité de leurs sensations et émotions, mais que le négatif reste quand même principalement présent. Personnellement, je n'ai jamais pris la pilule, et je ne souhaite jamais la prendre. Avec ma sage-femme, on s'est mises d'accord que ce serait ma solution de dernier recours, si vraiment je n'en peux plus, elle a respecté ce choix que j'ai fait.

  • Le TDPM et les anti-dépresseurs

Il y a aussi les anti-dépresseurs, mais encore une fois, ce n'est pas une solution adaptée, car en dehors de la période TDPM (donc 7 à 12 jours par mois), on n’en a pas “besoin”. En dehors de mon TDPM, je suis très heureuse, épanouie, je me sens bien dans mon corps, et ça ne fait pas sens de prendre des anti-dépresseurs uniquement quelques jours par mois, ça les rendraient parfaitement inefficaces. Cependant la souffrance causée par le TDPM pousse parfois à une dépression généralisée et, dans ce cas-là, c'est la meilleure solution.

  • Les autres pistes pour se sentir mieux

On peut aussi faire des traitements à base de progestérone pour compenser le déficit hormonal en phase lutéale, mais je n'ai jamais testé.

Il y a après plein de compléments à prendre pour soulager. Il y a le gattilier, l'alchémille, les huiles d'onagre et bourrache, la vitamine B6 active, la vitamine B5, le zinc bisglycinate... Il y a plein de petites choses comme ça qui peuvent aider à diminuer certains symptômes, mais il faut faire très attention avec les dosages, et ne prendre que ce qui est recommandé par la personne qui nous suit (gynéco, sage-femme).

De mon côté, je recommande un suivi psychologique. C'est ce qu'il y a de mieux pour savoir comment appréhender les émotions et réactions qu'on va vivre pendant le TDPM, et développer ses propres mécanismes pour se protéger et mieux réagir quand les choses vont mal.

Les aménagements du quotidien pour aller mieux

Pour aller bien, je fais des petites choses, çà et là. Tout d’abord, je fais très attention à mon calendrier, pour savoir à partir de quand je vais tomber dans ma phase TDPM. Cela me permet de prendre du recul dès que je sens que je commence à me sentir mal, à tourner en rond dans des idées noires. Ensuite, j'essaye de faire attention à mon alimentation, qui impacte beaucoup ma condition physique pendant mes crises, et qui joue aussi sur mon sommeil. Enfin, si je suis fatiguée ou stressée par des choses extérieures, mon TDPM va être bien plus violent. Le tout est donc de cultiver son bien-être en dehors de ces phases, et quand ça arrive, faire preuve de tendresse envers soi-même. J'essaye de prendre soin de moi, de m'autoriser du repos, de ne pas culpabiliser d'aller mal. Quand des crises me viennent, je trouve un défouloir. Les activités manuelles, comme plier du linge, faire des legos, dessiner… des choses qui ne sont pas difficiles pour moi mais qui me demandent de la concentration sont vraiment un remède à mes crises. Je mets aussi beaucoup de musiques joyeuses pour me redonner un boost d'énergie et de bonne humeur !

Dans tout ça, il est difficile de dire qu’il faut s’aimer, même dans ces moments-là, parce que ce n’est pas facile.Mais il faut garder en tête que la souffrance va passer et qu’on va surmonter tout ça petit pas par petit pas.