"Nous avons voulu savoir quelle était la proportion des résidus de pesticides quantifiés lors de ces analyses d’eau du robinet ayant des propriétés Cancérogène, mutagène, reprotoxique (CMR) ou perturbatrice endocrinienne (PE)", présente l’association Génération Future, qui milite contre les pesticides dans l'agriculture, dans un rapport en date du 17 juin 2020, présentant les résultats d’une enquête consistant à analyser les contrôles sanitaires de l ’eau du robinet en France.
Les résultats sont sans appel : des pesticides perturbateurs endocriniens (substances chimiques d'origine naturelle ou artificielle étrangères à l'organisme), cancérigènes mutagènes et reprotoxiques ont été décelés dans l’eau du robinet.
"Dans les 8 835 analyses ayant révélé la présence d’au moins un résidu de pesticide au-delà des limites de quantifications, 185 substances pesticides différentes ont été quantifiées au moins une fois", relaye Génération Future.
L’eau potable, "aliment le plus contrôlé en France"
"Le ministère de la Santé communique chaque année au sujet des situations de dépassement de norme pour l’eau potable. Nous voulions aller voir la nature des molécules, si elle est préoccupante ou pas", explique François Veillerette, président de l’association.
En 2018, "90,6% de la population a été alimentée en permanence par de l’eau respectant les limites de qualité réglementaires pour les pesticides", d’après le ministère. L’eau potable, "aliment le plus contrôlé en France", répond à des normes très strictes, explique Maryllis Macé, directrice du Centre d’information sur l’eau, qui représente les professionnels de la gestion de l’eau. Pour les pesticides, "on ne doit pas dépasser 0,1 microgramme par litre et par molécule" et 0,5 microgramme toute substance confondue, indique-t-elle.
Des pesticides au "caractère cancérogène, mutagène ou reprotoxique"
Génération future s’est penchée sur des molécules au "caractère cancérogène, mutagène ou reprotoxique (dit CMR)" et "potentiel perturbateur endocrinien (dit PE)" et ont retenu 8 835 analyses "ayant révélé la présence d’au moins un résidu de pesticide au-delà des limites de quantifications".
Il en ressort "15.990 quantifications individuelles de pesticides", dont 38,5 % sont des CMR, 56,8 % des perturbateurs endocriniens suspectés, selon Générations futures.
7 molécules interdites depuis les années 2000
Les résultats détaillés de l’association Génération Future nous éclairent sur les molécules CMR et les molécules PE détectés. Parmi les 10 molécules les plus quantifiées, on retrouve :
- Métolachlore : herbicide organochloré. Il est interdit en France depuis 2003.
- Métazachlore : herbicide de la famille des chloroacétanilides.
- Anthraquinone (HAP) : Appartient à la famille chimique des hydrocarbures aromatiques polycycliques. C'est aussi un pesticide type répulsif non approuvé au sein de l'UE depuis 2008.
- Simazine : herbicide qui appartient à la famille des triazines. Substance non approuvée au sein de l'UE depuis 2004.
- Atrazine et ses métabolites : herbicide qui appartient à la famille des triazines. Substance non approuvée au sein de l'UE depuis 2004.
- Dimethachlor : herbicide de la famille des Chloroacetanilides. Approuvé au sein de l'UE jusqu'au 31/12/2021.
- Oxadixyl : fongicide interdit depuis 2002 Dichlobénil : herbicide de la famille des Benzonitriles non approuvé depuis 2008.
- Dichlobénil : herbicide de la famille des Benzonitriles non approuvé depuis 2008.
- Alachlore : herbicide, qui appartient à la famille chimique des chloroacétamides, non approuvé au sein de l'UE depuis 2006.
- Bentazone : herbicide réapprouvé au titre du règlement n°1107/2009, depuis le 01/06/2018 et jusqu’au 31/05/2025.
Parmi les dix molécules identifiées, sept sont interdites depuis les années 2000. Ce phénomène s’explique par le temps nécessaire pour que les eaux polluées atteignent les nappes phréatiques, semble-t-il. "On paye les erreurs du passé", partage François Veillerette. En effet, certaines de ces molécules sont les mêmes trouvées dans les cas de non-respect des limites réglementaires en 2018, comme l’atrazine ou le métolachlore.
Pesticides dans l’eau potable : des disparités selon les départements
Ce travail aura permis à l’association de constater de grandes disparités sur la façon dont les analyses sont conduites d’un département à l’autre.
"Moins on recherche de pesticides moins, on en trouve"
"Ainsi, dans l’Aisne il a été analysé en moyenne une dizaine de pesticides par prélèvement les ciblant, alors que dans les Bouches-du-Rhône, ce sont plus de 550 pesticides différents qui ont été recherchés dans chaque prélèvement ciblant les pesticides. Cette différence de traitement entre les départements nous parait inacceptable car moins on recherche de pesticides moins, on en trouve bien évidemment …", détaille Génération Future.
Autre exemple qui reflète la différence de traitement selon les départements, dans l’Yonne, ce sont plus de 890 pesticides différents qui ont été retrouvés après 508 prélèvements. En parallèle dans les Hauts-de-Seine, seul 12 prélèvements ont été effectués, donc fatalement seul 5 pesticides différents ont pu être identifiés.
Perturbateurs endocriniens (PE) : quel est le risque ?
Les effets des perturbateurs endocriniens sur la santé sont encore mal connus. Néanmoins, selon Génération Future, la situation est pour le moins préoccupante.
"Ces données montrent clairement que des pesticides sont fréquemment retrouvés dans l’eau du robinet en France (dans 35,6% des analyses les recherchant) et que parmi les résidus retrouvés, les molécules CMR et/ou suspectées PE représentent plus des ¾ des quantifications individuelles de pesticides ! (et plus de la moitié pour les seuls PE)", alerte Génération Future.
Étant donné le potentiel d’action à faible dose sur le long terme des perturbateurs endocriniens, Générations Futures considère ces données comme inquiétantes car elles attestent d’une exposition continue à des faibles doses par l’eau potable, lorsque nous la consommons.
"Nous interpellons donc le gouvernement afin qu’une politique efficace de suppression rapides des plus nocifs et de réduction de l’usage des pesticides soit enfin appliquée après les échecs des premiers plans Ecophyto, déclare François Veillerette. Elle est d’autant plus indispensable que la Commission européenne vient à son tour d’appeler à une réduction de 50% de l’usage et des risques liés aux pesticides. Le temps n’est donc plus aux tergiversations mais à une action résolue pour sortir les agricultures françaises et européennes de leur dépendance aux pesticides de synthèse".
Le rôle des PE suspecté dans l’apparition de cancers
Les perturbateurs endocriniens sont des substances ou des mélanges chimiques capables de modifier le fonctionnement du système hormonal. Ils sont susceptibles de provoquer des effets nocifs tant chez les individus exposés que sur leur descendance.
"Le rôle de plusieurs substances PE est à ce jour suspecté dans l’apparition de cancers hormonaux-dépendants (cancer du sein, de l’utérus, de la prostate et des testicules), mais les données actuellement disponibles ne permettent pas de confirmer ce lien", indique le Centre de lutte contre le cancer Léon Bérard.
Les PE pourraient affecter la fertilité
En 2005, l’Anses nous mettait également en garde face aux risques sur la fertilité auxquels nous exposent les PE. "Un perturbateur endocrinien est une substance ou un mélange de substances qui altère les fonctions du système endocrinien et, de ce fait, induit des effets néfastes dans un organisme intact, ainsi que chez sa progéniture", relaye l’Anses.
DES PESTICIDES PERTURBATEURS ENDOCRINIENS, CANCÉRIGÈNES MUTAGÈNES ET REPROTOXIQUES DANS L'EAU DU ROBINET EN FRANCE EN 2019, Génération Future, 17 juin 2020
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