Médicaments : les études sur les souris mâles affectent la santé des femmesAdobe Stock
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Si les caractéristiques physiques diffèrent, on peut penser que les hommes et les femmes sont similaires dans la composition de leur organisme. Pourtant, de nombreux éléments varient entre les deux sexes. Ainsi, de nombreuses études, exclusivement effectuées sur des animaux mâles, peuvent nuire à la santé des femmes.

Depuis les années 90, des experts alertent sur ce manque de femmes dans les études. Medisite a interrogé Agnès Nadjar, professeure en Neuroscience à l’Université de Bordeaux sur le sujet. Elle travaille notamment sur l’inflammation du cerveau et des cellules qui en sont responsables.

Les femelles ont longtemps été écartées des études à cause de leur cycle hormonal

Tout d'abord, on peut se demander pourquoi les femelles ont été éloignées des études. Selon l'experte, le cycle hormonal est en cause. "On a longtemps pensé que le cycle hormonal était un facteur majeur dans la variabilité des comportements des rongeurs femelles. Ainsi, pour réduire ce biais, les chercheurs devaient s’assurer que toutes les femelles d’une expérience soient au même moment de leur cycle menstruel, ce qui ajoutait de la lourdeur aux expériences", explique l’experte. Ces conditions contraignantes et la peur d'avoir des résultats hétérogènes ont conduit les chercheurs à limiter les travaux sur les femelles pour se focaliser quasi-exclusivement sur les mâles.

Pourtant, cet argument utilisé pendant longtemps se révèlerait incorrect. "Des études récentes suggèrent que le cycle hormonal féminin ne serait pas aussi déterminant dans l’hétérogénéité des comportements", partage la scientifique. En revanche, le statut social des mâles pourrait avoir un impact très fort.

"Au contraire, ce qui expliquerait la plus grande partie de la variabilité des résultats expérimentaux est le statut social des mâles. Le fait qu’une souris mâle soit dominante ou dominée au sein d’un groupe social aurait un impact beaucoup plus fort sur le comportement des rongeurs, que le cycle menstruel des femelles", détaille la chercheuse. Cela est notamment lié à la testostérone, l’hormone masculine. "Finalement le taux de testostérones est beaucoup plus impactant sur la variabilité comportementale que le taux d’oestrogènes", ajoute l’experte.

Ainsi, l’exclusion quasi systématique des femelles des études scientifiques pourrait avoir une origine patriarcale. "On est en droit de s’interroger sur l’origine de la décision initiale d’exclure les femelles des études expérimentales sur les rongeurs. Au-delà des variations hormonales, le choix a-t-il été fait selon un biais culturel favorisant les hommes ? Peut-être, mais bien évidemment, cela reste à démontrer", estime la chercheuse.

Etudes sur les femelles : une évolution dans le monde scientifique

Maintenant que ces données sont connues, les choses évoluent. Pourtant, rien ne force les scientifiques à effectuer leurs travaux sur les deux sexes. "Il y a encore quelques résistances, principalement pour des raisons de coût, de place… Pour des mauvaises raisons", détaille l’experte. D'un point de vue pratique, le fait d’inclure les deux sexes contraint à doubler les effectifs. Cela devient d’autant plus difficile qu’il est en parallèle demandé aux chercheurs de réduire le nombre d’animaux utilisés, pour des raisons éthiques. "Réduire le nombre d’animaux, et en même temps, étudier les deux sexes, ça n’est pas une équation simple à résoudre. Aujourd’hui, de plus en plus de chercheurs étudient leur processus d’intérêt à la fois chez les mâles et les femelles. Si les réactions sont similaires, alors les deux sexes peuvent être mélangés dans un même groupe et les effectifs peuvent être réduits. Si les réactions sont différentes, ce qui est souvent le cas, alors il faut systématiquement doubler le nombre d’animaux", explique Agnès Nadjar.

Aux Etats-Unis, il est obligatoire d'inclure les deux sexes, notamment pour l’obtention de financements. "En France, bien que la pression augmente depuis plusieurs années ; nous n’en sommes pas encore à ce niveau. Ceci étant dit, ne pas étudier les femelles demandent, à présent, d’être justifiées par des arguments scientifiques. Sinon, cela peut être à l’origine du refus d’un financement", détaille l’experte. Ainsi, les études exclusivement sur les mâles existent toujours, mais tendent à diminuer.

Toutefois, le retard accumulé reste important et continue d’avoir des effets. Les études qui paraissent aujourd’hui ont été menées il y plusieurs années, à un moment où on n'insistait pas autant pour avoir des femelles dans les travaux. "Il y a vraiment un mouvement qui se fait dans l’inclusion des femelles dans les études, mais cela va se traduire dans les 5 à 10 prochaines années", estime la chercheuse.

Cerveau, cellules … : les femmes et les hommes réagissent différemment

L'intérêt d'inclure les deux sexes dans chaque étude est de développer des traitements adaptés à l’ensemble de la population, et non pas seulement aux hommes. En effet, les deux sexes ne réagissent pas de la même manière sur de nombreux plans. L’experte explique notamment que les processus inflammatoires chez les hommes sont très différents des femmes. Donc la réaction aux traitements anti-inflammatoires peut, en théorie, également varier. "Dans le cadre de mes travaux, je m’intéresse aux effets de l’obésité sur le cerveau. On observe par exemple une plus grande vulnérabilité des mâles à développer des complications métaboliques type diabète de type 2 que les femelles", précise-t-elle. "Cette observation peut certainement s’étendre à la quasi-totalité des phénomènes biologiques", ajoute la chercheuse.

Des médicaments qui ne sont pas toujours adaptés aux femmes

Ainsi, les médicaments issus des études scientifiques passées ne sont pas forcément les plus adaptés pour les femmes. "Si nous reprenons l’exemple de l’inflammation, le fait que les femmes non ménopausées soient protégées de certains mécanismes inflammatoires, du fait de la production d’œstrogènes, pourrait rendre certains traitements anti-inflammatoires totalement inutiles", explique Agnès Nadjar.

Au-delà des anti-inflammatoires, tous les traitements pourraient ne pas être adaptés aux femmes. "Dans l’absolu on peut penser que tout va être différent entre les deux sexes : l’intégration dans les circuits neuronaux ou la manière dont un médicament va être perçu par un corps de femme", détaille la chercheuse. Les différences entre les hommes et les femmes ne concernent donc pas seulement le cerveau mais tous les organes. Ainsi, il est possible que des traitements utilisés aujourd’hui ne soient pas totalement efficaces pour les femmes. "Dans certaines situations, on pourrait imaginer qu’un même traitement soit efficace chez les femmes et les hommes, mais à des doses différentes , ou bien qu’il faille des traitements radicalement différents entre les deux sexes", conclut l’experte. Cela pourrait peut-être expliquer les effets secondaires provoqués par les médicaments chez de nombreuses femmes.

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