Témoignage surdité : “Grâce à l’IA, j’ai pu parler à ma famille au téléphone pour la première fois !”© lespeakers
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Virginie Delalande est loin d’avoir dit son dernier mot. Née sourde profonde, elle subit toute sa vie le poids des injonctions liées à sa condition : on lui dit qu’elle ne parlera jamais, qu’elle n’arrive pas à suivre à l’école, ni avoir de diplômes… Aujourd’hui, n’en déplaise à ses détracteurs, elle est la première avocate sourde profonde de France, CEO, et conférencière internationale. Si elle est une femme plus qu’accomplie, elle subit toujours les tourments d’une société résolument inacessible aux personnes en situation de handicap. Un horizon s’éclaire pourtant pour elle, grâce à une aide inattendue : l’intelligence artificielle. Elle nous raconte.

Une enfance à part

J’ai très tôt compris que la société n’était pas adaptée aux personnes handicapées. Je l’ai constaté dès l’âge de 4 ou 5 ans, quand j’ai vu que tous les enfants réclamaient les dessins animés, alors que, pour moi, ça n’avait aucun intérêt… parce que je ne comprenais rien !

Au fil des années, j’ai eu d’autres prises de conscience. Quand j’ai compris que les autres me voyaient différemment, non pas pour ce que j’étais capable de faire, mais pour ce qu’ils pensaient que je ne pouvais pas faire. Personne ne m’invitait à danser. D’ailleurs, personne ne se demandait si j’en avais envie. J’ai alors réalisé que le regard des autres pouvait être une barrière bien plus grande que mon handicap lui-même Je repense également au jour où on m’a fait comprendre que, pour réussir ce qui est naturel aux autres – suivre un cours, participer à une conversation en marchant, ou simplement passer un coup de téléphone – je devais me débrouiller seule.

Le problème n’a jamais été mon handicap… mais bien le fait que la société ne l’ait pas anticipé. C’est un message que je répète souvent en entreprise, parce qu’il illustre parfaitement la différence entre inclusion réelle et simple adaptation.

Dès l’enfance, les discriminations s’accumulent. Un souvenir reste gravé en moi. En CP, la maîtresse faisait venir les élèves au tableau pour résoudre des exercices de maths. Un jour, c’est mon tour. Je ne comprends pas la consigne. Mais je me lève quand même, me tiens debout devant le tableau, paralysée. La classe commence à rire.

La maîtresse répète la consigne. Avec le stress, elle est toujours aussi incompréhensible pour moi. Les rires augmentent. Je demande à répéter une troisième fois. Elle refuse. Et là, je pleure. L’humiliation monte. Et je finis par me faire pipi dessus. La maîtresse m’a envoyée me changer dans des vêtements affreux – une salopette en velours marron et un haut violet clair. Comme si question honte, ça ne suffisait pas ! Ce jour-là, je me suis promis de ne plus prendre jamais la parole en public… et aujourd’hui, ironie du sort, je suis conférencière !

Être sourd, c’est s’adapter à une société inadaptée

Même s’il y a des progrès, l’école est censée être un endroit où chaque enfant peut apprendre et s’épanouir… mais quand on est sourd, on apprend surtout la solitude et à se débrouiller. Puis, quand j’étais étudiante, en 8 ans, pas un professeur n’a accepté de me passer ses cours. J’avais beau leur expliquer que j’étais sourde, qu’ils allaient trop vite pour moi, c’est comme si je n’existais pas, comme si je ne méritais pas une once de leur attention. Ce n’est que 20 ans plus tard, qu’un étudiant en droit m’a raconté que le doyen de cette université m’avait citée en exemple dans son discours d’accueil des premières années. Aujourd’hui, cette même université est devenue un modèle en matière d’accessibilité. Comme quoi, les choses peuvent changer. Mais elles ne changent jamais seules. Ce sont les parcours, les voix, et les combats individuels qui finissent par ouvrir des portes à tous. L’égalité des chances ne veut pas dire donner les mêmes outils à tout le monde… mais s’assurer que chacun ait les outils dont il a besoin pour réussir.

Être avocate, un acte militant

Pour être honnête, ce n'a pas toujours été mon métier de rêve ! Petite, je rêvais d’être vétérinaire. Mais en grandissant, j’ai réalisé que le plus grand combat, celui qui valait la peine d’être mené, était celui pour la justice et l’égalité. Devenir avocate, ce n’était pas juste un choix de carrière… c’était un acte militant. Je ne savais pas encore que je cherchais aussi à défendre cette petite fille qu’on n’écoutait pas, qu’on ne considérait pas. C’était un défi ! Quand j’ai annoncé que je voulais être avocate, on m’a regardée comme si j’avais hurlé publiquement que je voulais me transformer instantanément en dromadaire rose à pois verts. Mais j’ai toujours cru que quand on veut, on trouve un moyen ; quand on ne veut pas, on trouve une excuse. Alors j’ai développé, peaufiné mes propres stratégies, et surtout, je n’ai jamais laissé les autres m’empêcher d’essayer. Les défis, ce ne sont pas des murs… ce sont des étapes. Il suffit de savoir comment les franchir.

L’intelligence artificielle au service du quotidien des sourds

L’IA, c’est un peu comme une baguette magique qui transforme les obstacles en opportunités. Un simple exemple : avant, quand je devais assister à une réunion, il fallait une organisation millimétrée pour avoir un interprète disponible. Aujourd’hui, grâce aux outils de transcription en temps réel, je peux suivre une conversation instantanément. Ce que l’accessibilité promettait depuis plus de quarante ans… l’IA est en train de le réaliser en quelques années. Les lois sur l’accessibilité, c’est bien… mais elles sont souvent lentes et limitées. Et elles dépendent du bon vouloir, de la connaissance de chacun. Aucun contrôle n’existe, si elle n’est pas appliquée. L’IA, elle, ne demande pas la permission pour changer le monde. Aujourd’hui, avec un smartphone et une application, un sourd peut traduire instantanément une conversation, sous-titrer un appel ou même transformer un texte écrit en voix. Ça change tout. L’IA ne fait pas de politique… elle fait des miracles du quotidien.

Ce que l’accessibilité promettait depuis plus de quarante ans… l’IA est en train de le réaliser en quelques années.

Un coup de téléphone possible grâce à l’IA

Pendant des années, le téléphone a été un objet de frustration terrible pour moi. Un outil qui me renvoyait tellement à mon handicap ! Un outil conçu pour entendre… Et à côté, n’existait aucune solution aussi rapide et efficace pour ceux qui ne le peuvent pas. Puis l’IA a changé la donne. Grâce à elle, j’ai enfin pu passer un simple appel téléphonique à mes parents. Aujourd’hui, l’application Roger Voice transforme les paroles de mon interlocuteur en texte instantanément, tandis que lui, continue à entendre ma voix, comme si c’était une conversation téléphonique normale. Il ne fait aucun effort particulier et moi non plus ! Le jour où j’ai pu appeler mes parents, à 36 ans, pour leur dire “Coucou, c’est moi, sans intermédiaire”, nous avons tous pleur. Parce que pour la première fois, ce n’était plus quelqu’un qui traduisait leurs mots… c’était eux, c’était moi ! Tout simplement ! La plus belle technologie est celle qui nous permet d’être autonomes et libres.

L’avenir de l’intelligence artificielle pour les personnes handicapées

Nous sommes encore au début de cette révolution. Imaginez un monde où les sous-titres sont automatiques et parfaits quels que soient le contexte, le support audio et la qualité de la connexion, où les appareils auditifs intègrent directement une IA qui adapte le son en fonction de notre environnement, où chaque son est accompagné d’une indication visuelle ou vibratoire via notre téléphone, où la langue des signes est intégrée et normalisée.

Un monde où être sourd n’est plus un frein, mais simplement une différence prise en compte. Et dans mes interventions en entreprise, j’aime rappeler que l’avenir ne se prévoit pas… il se construit. Clairement, l’IA nous donne enfin les briques pour bâtir un monde accessible à tous. Il ne nous reste plus qu’à les assembler.