Cancer de la prostate : dans quels cas opérer ?
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Opère-t-on le cancer de la prostate à tout âge ?

Pr Nicolas Thiounn, urologue : "Pour une prostatectomie totale, on peut opérer jusqu’à 75 ans. Les effets secondaires potentiels sont l’incontinence et l’impuissance, sans compter tous les risques habituels possibles liés à la chirurgie comme la phlébite ou l'infarctus… Un homme de 70 ans, qui a suffisamment de tonus et de moral, pourra être suffisamment vigilant pour se rééduquer et ne pas porter des protections toute sa vie. Mais à 80 ans, la rééducation peut se révéler beaucoup plus difficile, même si le patient est opérable.

L’état du patient peut aussi être une contre-indication, à 80 ans, le patient a plus de chances de présenter une maladie cardiovasculaire ou du diabète, par exemple. Donc il faut de solides arguments pour opérer un patient de plus de 75 ans. Il faut qu’il soit particulièrement vert ! S’il a encore ses parents en bonne santé et qu'il refuse les autres options, peut-être qu’on l’opérera. Maisgénéralement à 80 ans ce n’est pas raisonnable quelque soit la technique chirurgical e".

Y a-t-il des alternatives à la chirurgie ?

Pr Nicolas Thiounn, urologue : "Ah les urologues, ils opèrent, ça c’est sûr! Mais théoriquement la prise en charge et le traitement du cancer de la prostate doit être la même quelle que soit la spécialité du médecin. Depuis quelques temps en effet, nous avons l’obligation de passer les dossiers de cancer en réunion de concertation pluridisciplinaires. Ca devient de plus en plus réglementé, de façon à éviter que des urologues décident entre eux sans avis externe. Malgré tout, quand en réunion il y a une dizaine d’urologues pour un radiothérapeute, il ne fera pas le poids si les urologues ont décidé d’opérer. En pratique cela reste donc encore très orienté par les médecins qui ont vu le patient et qui ont déjà décidé pour lui.

De plus, la curiethérapie reste marginale car les urologues français sont encore peu familier avec ce traitement. Certains croient que la curiethérapie est encore expérimentale alors qu’elle se pratique depuis la fin des années 80, tout comme la prostatectomie totale. Aux Etats-Unis par exemple, la curiethérapie est plus utilisée que la chirurgie sur les cancers de la prostate. Il faut aussi prendre en compte les recommandations des sociétés de savants ainsi que celles des lobbys des cliniques et des machines en radiothérapie. Tout doit se situer dans un contexte économique. Les urologues sont au final très chirurgicaux pour des raisons multiples.

Pour certaines indications effectivement, la chirurgie reste le meilleur traitement mais pas pour tous. Pour les petits cancers, la curiethérapie est aussi efficace et présente l'avantage de préserver la sexualité".

Pourquoi déconseille-t-on de dépister ce cancer après 75 ans ?

Pr Nicolas Thiounn, urologue : "Certains médecins le pensent mais on ne peut pas décemment dire que l’on arrête le dépistage après 75 ans. Cette annonce aurait un effet dévastateur psychologiquement sur la population, même si l’impact économique serait très positif. Qu’est-ce qu’on dirait d’une société qui ne s’occupe plus des personnes âgées ? C’est aussi un contre-sens médical car le dépistage apporte un gain de durée et de qualité de vie chez ces patients.

En revanche, il faut le faire intelligemment. Il ne faut pas essayer de détecter les tout petits cancers chez les plus de 75 ans mais plutôt voir si ça évolue. Si le cancer est important, on pourra le détecter et peut-être donner un traitement hormonal pour freiner la situation. Mais dans ce cas, on envisage rarement un traitement local comme l'opération ou la curiethérapie".

A partir de quelle dose de PSA doit-on opérer ?

Pr Nicolas Thiounn, urologue : "Il y a pas du tout de vraies normes. Le PSA (Antigène Prostatique Spécifique) est statistique. Au-dessus de 4 ng/ml de sang, le taux est clairement anormal. Si vous mettez la barre à 10 ng/ml, vous allez repérer beaucoup de cancers mais passer à côté de certains. Mais si vous mettez la barre trop bas, à 1 ng/ml par exemple, vous détectez tous les types de cancer mais vous aurez aussi des hommes qui n’en sont pas atteints. Il faut trouver un chiffre moyen : 2,5 ng/ml nous a semblé être un chiffre intéressant. Cela ne signifie pas pour autant qu’on déclenche une biopsie à partir de 2,5 ng/ml, mais plutôt qu’à partir de ce seuil, on va se montrer plus vigilant.

Par exemple, on va faire une biopsie sur un homme qui est tout le temps en dessous de 1 ng/ml et qui brutalement passe à 1,5 ng/ml puis à 2 ng/ml, et en général on trouve un cancer. A l’opposé, il ne faut pas non plus paniquer : parfois le PSA peut monter jusqu’à 50 ng/ml dans le cas d’une prostatite aiguë (infection de la prostate) puis va diminuer. Le PSA reste un simple indicateur de l’activité de la prostate. Ainsi, si un médecin fait un toucher rectal appuyé à un patient, son PSA va augmenter puis redescendre.

Donc un PSA qui varie comme un yoyo n’est pas forcément inquiétant. Par contre, s’il y a une augmentation progressive et sournoise du PSA, on peut soupçonner un phénomène expansif de type cancer, que l'on pourra opérer s’il est localisé".

Faut-il opérer tous les types de cancers de la prostate ?

Pr Nicolas Thiounn, urologue : "Il y a plusieurs types de cancer de la prostate. Certains évoluent plus rapidement que d’autres. On peut avoir une idée de leur évolution selon la cinétique, ou l'évolution, du taux de PSA, marqueur de ce cancer. Dans le cas des cancers qui évoluent lentement, on peut privilégier une surveillance active avec un dosage du PSA tous les 3 ou 4 mois et biopsie tous les ans. Et ainsi ne passer à un traitement que si la situation évolue.

Dans le cas d’un cancer de la prostate localisé, soit 70 % des cancers de la prostate, seuls les moyens physiques sont utilisés : la chirurgie à 60 %, la radiothérapie à 30 % et la curiethérapie à 10%. Ils ont chacun une indication différente. Si on a un tout petit cancer de la prostate à faible risque évolutif ou, dans certains cas, un cancer localisé à moyen risque évolutif, on peut faire une curiethérapie. Cette technique présente un taux de guérison à 10 ans supérieur à 90%, ce qui est largement équivalent à celui de la chirurgie. La chirurgie est plutôt réservée à des cancers un peu plus agressifs à moyen ou à fort risque évolutif, pour lesquels on peut associer, si besoin, une radiothérapie post opératoire.

Dans le cas de cancers de la prostate étendus avec des métastases, on peut appliquer un traitement qui bloque les hormones masculines, éventuellement associé à de la chimiothérapie. Mais elle ne permet dans ces cas précis que de prolonger la vie du patient de quelques mois…".

Les petites lésions de la prostate évoluent-elles toutes en cancer?

Pr Nicolas Thiounn, urologue : "Il est vraisemblable qu’à 80 ans, 90 % des hommes ont un potentiel cancer de la prostate dont, pour la majorité, des petits foyers non évolutifs. On ne connaît pas vraiment le déterminisme qui fait évoluer certaines lésions en cancer agressif et pas d’autres. Les causes peuvent être génétiques (prédispositions), environnementales (pesticides dans les fruits et légumes), la prise intempestive d’un traitement hormonal pour retrouver une certaine virilité, ou encore des causes personnelles comme un choc psychologique violent qui affecterait les défenses immunitaires... et tout à coup un cancer dormant se réveille.

Mais la plupart de ces lésions n’évoluent pas et comme elles n’évoluent pas, le taux de PSA n’évolue pas non plus. Donc ces cancers dormants, de toute façon inoffensifs, ne sont pas diagnostiqués. On estime qu’à peu près 10 % des hommes développe un cancer évolutif de la prostate".

Le choix de faire de la chirurgie ne dépend-elle que du médecin ?

Pr Nicolas Thiounn, urologue : "Non, une discussion entre le patient et son médecin est nécessaire. Il doit donner les bons arguments, des informations loyales avant de faire le test de PSA mais aussi avant une biopsie ou un quelconque traitement. En effet, il y a des patients qui ne trouveront pas le sommeil s’ils savent qu’ils ont un cancer et ce, aussi longtemps qu’on ne le leur aura pas retiré chirurgicalement. On peut leur parler de la curiethérapie si le cancer est petit, mais ce type de patients ne voudra qu’une chose : qu’on leur retire leur cancer.

Et il y a d’autres types de patients, qui si vous leur retirez la prostate, ne s’en remettront jamais psychologiquement. Si le cancer est petit, il est important de parler des deux techniques : la curiethérapie et la chirurgie. Et selon leur tumeur et leurs envies, prendre le temps de voir laquelle est la mieux adaptée.

Le pire, c’est quand le patient regrette le choix qu’il a fait après son opération, que sa vie est brisée, que son couple a disparu à cause de cette opération. Tout ça parce qu'on ne lui a pas bien expliqué toutes les possibilités et risques des traitements, et notamment fait mention de l'impuissance… Le médecin n’est certes pas maître de la maladie, mais il est responsable du type de traitement qu’il préconise".

Au final, y a-t-il trop d’opérations du cancer de la prostate ?

Pr Nicolas Thiounn, urologue : "C’est très difficile à dire car il faudrait une commission indépendante pour reprendre tous les compte-rendus anatomo-pathologiques et voir dans quels cas on aurait pu adopter un traitement alternatif. A l’hôpital, pour ce que j’en connais, on se dit que finalement on a bien fait d’opérer. Après, je n’ai jamais travaillé en clinique, mais je pense que c’est pareil dans l’immense majorité des cas.

Peut-être que dans certains cas, le médecin dérive un peu vers la partie basse du PSA et que l’on opère des petits cancers qui ne sont pas réellement significatifs cliniquement. Mais quand vous avez fait 12 biopsies et qu’au final, un seul prélèvement se révèle positif sur un millimètre : est-ce réellement un tout petit cancer ou est-on passé à côté d’un plus gros ? Faut-il tout de suite opérer ou faire d’autres biopsies ? C’est à ce moment qu ’il faut être honnête avec le patient et lui donner les clefs pour décider. Car c’est forcément plus simple pour un médecin d'opérer un patient qui a un cancer. Ainsi, si au final le cancer évoluait mal, on ne pourrait pas vous le reprocher.

L’appât du gain joue aussi. Si vous venez de vous installer en clinique, et que le patient préfére l’opération, le directeur de la clinique sera content. C’est pour ça qu’il y a des contrôles des sociétés savantes : pour éviter les dérives. Mais je ne pense pas qu’il n’y en ait beaucoup en urologie. S’il y en a, c’est à mettre sur le compte d’une extrême minorité, car en fait chacun essaye de faire son métier du mieux qu’il peut".

Le nouveau test britannique de dépistage évitera-t-il des chirurgies ?

Pr Nicolas Thiounn, urologue : "Les premiers résultats sont intéressants. La différence est par exemple qu’avec les médicaments, l'autorisation de mise sur le marché est relativement difficile à obtenir, tandis que pour les tests, c’est beaucoup plus facile, il n’y a pas beaucoup de préliminaires et on peut les utiliser assez rapidement. Les tests représentent beaucoup d’argent, mais est-ce que le gain est systématique pour les patients ? Ce n’est pas toujours prouvé !

Cela dit, ce test sanguin britannique, le pro-PSA, semble avoir un intérêt. On est d’ailleurs actuellement en train de mettre en place une étude en France avec un réseau d’urologues. L'idée est de voir si ce test permettrait de diminuer le nombre de biopsies ou de les indiquer de façon plus précise et donc, par voie de conséquence, limiter le nombre d’opérations".

Le dépistage est-il réellement utile ?

Pr Nicolas Thiounn, urologue : "Ce dépistage est très controversé. Il y a des études qui montrent qu’il n’y a pas de différences en terme de mortalité due au cancer de la prostate entre les populations dépistées (homme de + de 50 ans) et les populations non dépistées. Si on compare les chiffres, on doit être à 40 000 nouveaux cas de cancer de la prostate en 2000 contre 80 000 aujourd’hui, mais la mortalité n’a pas évolué, elle est toujours de 9000 personnes par an. C’est pourquoi certains spécialistes estiment que le dépistage ne sert à rien et conduit à des opérations inutiles, qui ne permettent pas de vivre plus longtemps. Personnellement, je pense qu’il faut continuer le dépistage et surtout discuter pour faire les bons choix en terme de traitements, afin d’éviter les opérations inutiles.

En outre, si ce chiffre de mortalité est stable, c’est parce qu’il y a un stade où le cancer de la prostate ne répond plus au blocage hormonal et peur de temps à la. Ce qu’il faudrait à l’avenir, c’est trouver des traitements plus efficaces pour les cancers étendus à métastases. On fonctionnerait un peu comme pour le Sida, à chercher des moyens de prolonger la vie des patients.

Une autre piste serait de prendre cette maladie dans l’œuf. Peut-être qu’un jour, il existera un comprimé prescrit en prévention à des gens sélectionnés en raison de leurs prédispositions génétiques à ce type de cancer... ".

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