Attention aux anticholinergiques
Les anticholinergiques sont une classe de médicaments qui regroupe des antiépileptiques, des antihypertenseurs, des anxiolytiques, des antidépresseurs, des diurétiques ou encore des antihistaminiques. Leur principe d’action repose sur l’inhibition de l’activité de l’acétylcholine, un neurotransmetteur qui joue un rôle important au niveau de la mémoire et de la contraction musculaire notamment.
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Alzheimer : 9 conseils pour l’éviterPuisqu’ils agissent sur le cerveau et qu’ils comptent parmi leurs effets indésirables des troubles de la mémoire, la question d’une possible association avec le déclin cognitif s’est rapidement posée pour les chercheurs.
Et deux études présentent des résultats significatifs. La première, publiée en mars 2015 dans la revue JAMA Internal Medicine, a suivi pendant sept ans 3434 personnes âgées de 65 ans et plus – cette population étant plus exposée aux anticholinergiques – sans diagnostic de démence au début de l’étude. Les chercheurs ont pris en compte le fait que les participants avaient tous été exposés à des anticholinergiques (le plus souvent des antidépresseurs tricycliques, des antihistaminiques de première génération et des antimuscariniques) au cours des dix dernières années, que les traitements soient continus ou non. Ils ont également veillé à exclure de l’analyse les douze derniers mois d’exposition, afin d’éviter tout biais.
Finalement, 797 participants (soit 23,2%) ont développé une démence, dont 637 la maladie d’Alzheimer. Des résultats qui suggèrent, selon les chercheurs, qu’"une exposition cumulée aux anticholinergiques comme l’oxybutynine (Ditropan®) ou la doxépine (Sinequan®) est associée à un risque accru de démence".
La deuxième étude, publiée en avril 2018 dans le British Medical Journal, a porté sur une plus grande cohorte (40 770 personnes) et a montré des résultats similaires. Avec cependant une spécificité : plus les anticholinergiques auxquels les patients étaient exposés étaient forts (ces médicaments étant classés selon leur force d’action sur une échelle allant de 1 à 3), plus le risque de démence était accru.
Si le mécanisme impliqué n’a pas encore été élucidé, les chercheurs penchent pour une plausibilité biologique : les anticholinergiques pourraient augmenter le taux de protéine bêta-amyloïde dans le cerveau, phénomène caractéristique de la maladie d’Alzheimer. Quoi qu’il en soit, les scientifiques suggèrent aux médecins et pharmaciens de "considérer des alternatives à ces médicaments chez les patients âgés, quand cela est possible. Sinon, la dose efficace la plus faible et un traitement discontinu doivent être privilégiés."
Oméprazole®, Pantoprazole® : les IPP liés à un risque accru de démence
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont des médicaments utilisés dans le traitement du reflux gastro-œsophagien (RGO), de l’œsophagite et de l’ulcère gastroduodénal. En agissant sur une protéine transmembranaire, la pompe à protons, ils permettent de réduire l’acidité gastrique. Difficile jusque-là de comprendre leur éventuel lien avec l’apparition de la maladie d’Alzheimer ; pourtant, plusieurs études ont pointé du doigt leur rôle dans le déclin cognitif.
Parmi elles, celle menée par des chercheurs allemands et publiée en avril 2016 dans la revue JAMA Neurology. De 2004 à 2011, ils ont analysé les données de 73 679 personnes, âgées de plus de 75 ans, sans diagnostic de démence au début de l’étude. Après avoir pris en compte certains facteurs confondants comme l’âge, le sexe, les comorbidités et la polypharmacie (prise de quatre médicaments ou plus par un patient), ils ont pu observer que les 2950 personnes qui recevaient régulièrement des IPP – Oméprazole®, Pantoprazole®, Lansoprazole®, Esoméprazole® ou Rabéprazole® – avaient un risque accru de démence comparés à ceux qui n’en prenaient pas.
Là aussi, le lien de cause à effet n’est pas avéré mais pourrait être expliqué par le fait que les IPP, par un mécanisme inconnu, augmentent le taux de protéine bêta-amyloïde dans le cerveau et interagissent avec la protéine tau, d’après des tests menés sur des souris.
"Eviter la prise d’IPP pourrait contribuer à la prévention de la démence", concluent les chercheurs, d’autant qu’ils seraient dans 60% des cas prescrits de manière inappropriée, "sans documentation adéquate menant à un diagnostic de trouble gastro-intestinal". A noter toutefois que ce possible lien fait débat : les études se contredisent à ce sujet, certaines attribuant même aux IPP un effet protecteur sur le cerveau.
Valium®, Lexomil® : à long terme, ils accélèreraient l’apparition d’Alzheimer
Largement consommées en France, les benzodiazépines sont des médicaments indiqués dans le traitement de l’anxiété, des troubles du sommeil et de l’épilepsie. Elles agissent sur le récepteur GABA du cerveau, dont le rôle est d’inhiber le système nerveux central. Cette zone étant le siège de bon nombre de maladies neurologiques et l’usage des benzodiazépines entraînant des effets indésirables comparables aux symptômes de démence (troubles mnésiques, etc.), les chercheurs ont souhaité explorer la possibilité d'un lien entre la prise de ces molécules et l’apparition de la maladie d’Alzheimer.
Une dizaine d’études ont été menées à ce sujet, dont une particulièrement importante publiée en septembre 2012 dans le British Medical Journal. Le professeur Bernard Bégaud, pharmacologue, et son équipe ont suivi pendant 15 ans 1063 personnes âgées de 78 ans en moyenne, sans symptômes de démence. Parmi elles, 95 avaient commencé à prendre des benzodiazépines à la cinquième année de suivi. Il a alors pu être observé que l’incidence de la démence chez les personnes exposées à ces médicaments était de 4,8 personnes sur 100 par an, contre 3,2 personnes sur 100 par an chez celles non exposées, soit un risque accru de 50%. Deux ans plus tard, les chercheurs consolident leurs résultats au travers d’une seconde étude et précisent que le risque de démence lié aux benzodiazépines n’est observé que lorsque la durée d’exposition au traitement est supérieure à trois mois, soit la durée maximale fixée par les autorités sanitaires.
Ces études ont été vivement critiquées, plusieurs professionnels de santé dénonçant un biais protopathique : la prise de benzodiazépines n’induirait pas Alzheimer, mais serait au contraire motivée par l’apparition des premiers signes de la maladie dont l’anxiété et l’insomnie font partie. Mais pour le Pr Bégaud, cette hypothèse est peu convaincante : "On connaît à peu près les délais dans lesquels l’anxiété ou la dépression liées à la future maladie d’Alzheimer surviennent, c’est-à-dire quelques années avant le diagnostic, explique-t-il à Medisite. On a pu travailler sur des cohortes où il y avait tous les profils de sujets, y compris des personnes qui ont commencé les benzodiazépines 10, 15, voire 20 ans avant le diagnostic. Dans ce cas, cela ne peut pas être les premiers symptômes de la maladie !"
Selon le pharmacologue, il ne s’agirait pas d’un lien de cause à effet mais plutôt d’une association, les benzodiazépines pouvant être suspectés d’accélérer l’apparition de la démence chez les personnes déjà à risque : "On sait que l’une des fonctions des benzodiazépines, c’est de mettre des neurones au repos. On pense que la prise de ces médicaments empêcherait la mobilisation de la réserve neuronale, qui permet de rétablir des circuits parallèles lorsque des premières lésions sont déjà présentes." Si ces risques ne sont pas avérés, le Pr Bégaud souhaiterait que l’on "lutte contre les usages prolongés", au moins "par principe de précaution".
Cumulative Use of Strong Anticholinergics and Incident Dementia, en mars 2015 dans la revue JAMA Internal Medicine
Anticholinergic drugs and risk of dementia: case-control study, en avril 2018 dans le British Medical Journal
Association of Proton Pump Inhibitors With Risk of Dementia. A Pharmacoepidemiological Claims Data Analysis, en avril 2016 dans la revue JAMA Neurology
Benzodiazepine use and risk of dementia: prospective population based study, en septembre 2012 dans le British Medical Journal.