
“Ces démangeaisons nous dévorent le cerveau” : par ces mots, Stéphanie Merhand décrit le mal-être psychologique associé à l'eczéma. Fondatrice de l’Association Française de l’Eczéma, elle sensibilise sur les risques de cette maladie inflammatoire chronique de la peau sur la santé mentale.
L'eczéma se caractérise par des poussées de plaques irritées sur la peau, à n’importe quel endroit. Bénignes, ces plaques gâchent tout de même la vie des personnes atteintes. En cause ? Les démangeaisons, souvent très désagréables, parfois insupportables, et surtout imprévisibles. Les résultats d’une étude menée par l'association illustrent ce phénomène : le risque dépressif concerne 40 % des femmes atteintes d’eczéma atopique, et 30,54 % des hommes. Pour en savoir plus, Stéphanie Merhand répond à nos questions.
PB : En quoi l’eczéma pèse-t-il sur la santé mentale ?
SM : Ce qu’il faut comprendre avant tout sur l’eczéma, c’est que c’est une maladie affichante. On peut tenter de tricher, de mettre du maquillage correcteur, mais elle reste difficile à cacher. Lorsqu’on se réveille après une nuit à lutter contre les démangeaisons, on voit bien dans le miroir que notre visage est marqué. Malgré ça, on arrive à sirtir, et on fait alors face au regard des autres, et à des remarques comme “tu as une petite mine aujourd’hui, tu as fait la fête ?”. C’est difficile moralement.
Le deuxième problème, c’est son imprévisibilité. Les poussées peuvent apparaître partout, et à tout âge. On essaie d’adapter son quotidien au maximum, en se privant de possibilités et de moments agréables pour éviter une crise. Cette charge mentale constante est non seulement pesante, mais aussi insuffisante : parfois, on n’arrive pas à prévoir, et la crise survient quand même.
PB : Quel lien y a-t-il entre eczéma et sommeil ?
SM : Il faut savoir que l’eczéma s'accentue souvent le soir, alors que le cerveau n’est plus occupé par le stress des événements de la journée. Il arrive donc qu’on passe la nuit entière à se gratter, car la démangeaison est insupportable. Cela génère des angoisses chez certaines personnes, qui redoutent le moment du coucher, voire le retardent. C’est ainsi que l’eczéma pèse sur la quantité et la qualité du sommeil, qui va, à son tour, jouer un rôle dans l’apparition de symptômes dépressifs.
Mais l’inverse est également vrai. Déjà, le sommeil joue un rôle sur la sensibilité de la peau : une mauvaise nuit est donc un facteur de risque et de poussée d’eczéma. Aussi, le stress et autres émotions fortes peuvent l’exacerber. Non pas que l’on constate plus de crises à cause d’une mauvaise santé mentale, mais ces émotions peuvent nous pousser à nous gratter davantage. C’est un réflexe, lorsque l’on est en colère ou triste : on déplace la douleur, ce qui abîme encore plus la peau. C’est un cercle vicieux.
PB : Quelles sont les conséquences ?
SM : À cause de toutes ces difficultés du quotidien, il arrive que des personnes touchées par l’eczéma s’isolent, ou qu’elles s’interdisent plein de choses à cause de la maladie. D’autres développent une forme de culpabilité, envers eux-mêmes à force de se gratter, mais aussi envers leurs proches. Ces derniers se sentent impuissants et s'inquiètent. Il est parfois compliqué de communiquer et de leur faire comprendre ce que l’on vit.
C’est pourquoi, avec l’Association Française de l’Eczéma, nous mettons à disposition des ressources pour ces patients. S’informer, et sensibiliser son entourage est essentiel et peut vraiment aider. Il existe une multitude de vidéos, livres, podcasts et autres supports.
PB : Quels conseils donneriez-vous aux personnes dont l’eczéma impacte le quotidien ?
SM : Encore une fois, en parler ! Parfois, les patients vont en consultation avec leur conjoint, par exemple. Aussi, mon expérience m’a fait me rendre compte que lorsqu’on était face à une difficulté liée à la maladie, l’expliquer aux personnes présentes sur le moment était plus efficace que d’essayer de la cacher.
Je conseille aussi aux patients de travailler sur leur confiance en eux en se fixant des petits objectifs atteignables. Par exemple, moi, c’est le sport : avec la transpiration, c’est une pratique parfois compliquée quand on a de l’eczéma. Mais je tente de nouvelles choses, et dernièrement, c'était le rugby ! En prévenant les autres joueurs de mon eczéma, j’ai réussi à intégrer l’équipe sans souci. Le sport, c’est bon pour le moral, à chacun de trouver celui qui s’adapte à son cas. Le yoga, ça peut aussi aider !
Au niveau pratique, je conseille aux personnes atteintes d’eczéma de conserver leur crème hydratante au frigo, car le froid anesthésie la peau et atténue les démangeaisons. Il faut bien hydrater sa peau, mais aussi boire de l’eau, surtout avant le coucher. Enfin, je recommande toute activité qui permet d’occuper sainement le cerveau : méditation, lecture, balade, musique, journal de pensée… Tout est bon à prendre pour se détendre et éviter d’angoisser, surtout le soir.
Interview de Stéphanie Merhand, fondatrice de l’Association Française de l’Eczéma