Christopher, 31 ans : “Je n’ai que 12 centimètres d’intestins mais je continue de voyager ”Istock
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Mes maux de ventre ont commencé en 2015. J’avais 24 ans. Une douleur soudaine et intense apparaît après un repas, sans raison. Mais au bout d’une heure et demie, elle s’estompe, donc je ne m’inquiète pas. La même chose m’arrive à nouveau six mois plus tard, puis chaque mois, puis chaque semaine…

Je suis aide-soignant, donc je sais que quelque chose n’est pas normal. Pourtant, je suis en bonne santé, je fais du sport, je ne fume pas et ne bois pas d’alcool. Mon médecin me conseille de ralentir la malbouffe et les boissons gazeuses, ce que j’essaie. Un gastro-entérologue pratique une fibroscopie et ne voit rien. Aux urgences, on me dit que je suis constipé et on me prescrit du Movicol.

Seulement, le problème continue, et devient vraiment contraignant au quotidien ! Dès que je mange, je me plie de douleur pendant deux ou trois heures. Mais je m’adapte : une soirée pizza entre amis ? Je viens mais je ne touche à rien.

“Au bout de deux heures, on me donne du Spasfon, je me dis que je vais mourir”

C’est le 5 mai 2017 que tout bascule. En route pour le cinéma avec un ami, j’ai déjà mal au ventre, mais je me dis naïvement qu’il me suffit de ne pas manger de popcorn pour que ça passe. J’avais tort ! Au bout de 10 minutes de film, la douleur est insoutenable, mon ventre est bloqué. Je file aux toilettes pour essayer de me soulager, mais ne vomis que de la bile. Je me rappelle avoir laissé la porte ouverte “au cas où”.

Et j'ai bien fait ! J’ai chaud, je transpire, ma montre indique que ma fréquence cardiaque est inquiétante. Je n’arrive pas à me tenir droit, je suis plié en deux et m’allonge même au sol. Étant soignant, je sais qu’il y a quelque chose de grave. Je suis obligé de ramper pour chercher de l’aide, mais même à ce moment, j’ai un regain de timidité et n’ose pas crier… Heureusement, j’arrive quand même à interpeller un vigile.

Les secours arrivent enfin et m'emmènent aux urgences. Mon ventre est vraiment très gonflé, la douleur est atroce, je supplie les médecins de m’ouvrir… Quand ils me proposent du Doliprane et du Spasfon, je me dis que je vais mourir.

J’ai 15 % de chances de survie, mais je me dis qu’il n’y aucune raison que je ne fasse pas partie de ces 15 %

Je passe la nuit aux urgences, mais je ne m’en souviens pas vraiment. Apparemment, une infirmière passe vers 4 heures du matin et je lui dis que je n’ai pas de douleurs. Je comprendrais après que comme mon intestin avait totalement pourri, il n'envoyait même plus les signaux de douleurs à mon cerveau.

Par la suite, on me fait passer un scanner. Lorsque les résultats arrivent, je vois que la tête des médecins est bizarre… On me met sur un brancard et on court au bloc, comme dans les films. On me dit que j’ai 15 % de chances de survie, mais étrangement, cela ne m’inquiète pas : je suis jeune et j’ai une bonne hygiène de vie, il n’y a aucune raison que je ne fasse pas partie de ces 15 % ! En plus, la chirurgienne a l'air compétente, j'ai confiance. Je suis rassuré qu’on m’opère enfin.

“Je pesais 41 kg pour 1 mètre 91”

L’opération dure 14 heures et je ne me réveille que deux ou trois jours plus tard. J’ai deux poches accrochées au corps avec des drains, mais je sais que c’est une étape normale lors de ce type d'opérations. Par contre, je vois alors tous mes proches défiler deux par deux : je me dis que c’est la fin. Comme je ne peux pas parler car j’ai été intubé, j’écris sur une ardoise : “dead ?”. On me rassure. On m’a enlevé la moitié de mes intestins, je ne suis pas au top, mais à ce stade, je pouvais encore espérer vivre normalement.

Seulement, je subis complication sur complication. Je suis transféré à un autre hôpital. Commencent alors un an et demi d’allers-retours avec le service nutrition d'un troisième hôpital. Le problème, c’est que j’ai besoin de plusieurs opérations, mais certaines échouent et il faut attendre trois mois avant de retenter. Je pèse alors 41 kg pour 1,91m. Heureusement, on arrive à me remettre sur pieds, et je sors enfin en octobre 2019. Mais je n’ai plus que 12 cm d’intestins.

“Je ne veux pas adapter ma vie aux soins, mais adapter les soins à ma vie”

C’est très difficile de me réhabituer à la vie quotidienne. Je ne sais même plus où sont les interrupteurs chez moi. Je dois désormais rester branché à mes poches de nutrition 12 heures par jour. Je fais des siestes tous les jours, et même faire des courses est une épreuve physique. Mais je me pousse, jour après jour, et je reprends des muscles. Je m’efforce de garder un état d’esprit positif, je ne veux pas adapter ma vie aux soins, mais adapter les soins à ma vie.

J’ai toujours été un grand rêveur, et aussi très obstiné. Alors quand on me dit que je ne pourrai plus voyager, je refuse. J’avais des projets et je compte toujours les réaliser ! Quelle est l’utilité de vivre sinon ? Alors, je fais mes recherches et je me débrouille ! J’apprends à faire mes soins seul plutôt que de dépendre des soignants, et je réduis leur temps de moitié. Je me débarrasse de mon pied à perfusion et achète un joli sac à dos pour mes poches. Je transforme ma valise en glacière et place des capteurs dedans, pour pouvoir prendre l’avion sans risque avec ces mêmes poches.

Aujourd’hui ? Je vis normalement dans la vie de tous les jours. Ma seule difficulté est de prévoir des choses à la dernière minute. Si on me dit “on part au Mexique ce soir ?”, c’est compliqué… Mais dans une semaine, c’est possible ! J’ai rencontré Laurine, ma compagne, avec qui je vais me marier. Elle m’aide énormément à m’organiser. Et surtout, elle m’a permis de devenir beau-père, et en m’occupant de ses enfants, j’ai retrouvé l’espoir de pouvoir en avoir aussi. Récemment, j'ai raconté mon histoire dans le livre Du vide dans le ventre, co-écrit avec Benjamin Jérôme et sorti aux éditions du Rocher.

Mon état d’esprit positif a beaucoup joué. Je ne sais pas si c’est quelque chose avec lequel on naît ou s’il est possible de l'acquérir ou de le transmettre, mais ça m'intéresse beaucoup. Ce que je conseillerais, devant chaque problème rencontré, c’est d'établir un plan. Pourquoi ? Que faire ? Dans combien de temps atteindre mon objectif ? Je repense souvent à cette phrase de Coluche, que j’ai lu petit : “La vie mettra des pierres sur ta route. A toi de décider d'en faire des murs ou des ponts.”

Sources

Témoignage de Mickael (le prénom a été modifié)