“Je n’irai plus jamais chez le médecin” - Épisode 5Adobe Stock
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Nous sommes en octobre 2022. Mathieu*, 39 ans, a porté plainte 2 fois contre ses parents. La première fois pour des viols et des maltraitances pendant l’enfance, la seconde pour des faits de harcèlement et de piratage de la part de ses parents contre lui, à l’âge adulte. Les 2 affaires sont en cours, et le trentenaire doit se rendre à une expertise psychiatrique sur réquisition du Parquet. “Le harcèlement que je dénonce concerne des coups de fil malveillants passés par mes parents, des appels et des mails à mes employeurs, à mes amis, de la diffamation auprès de tout le monde”, précise Mathieu. Celui-ci est donc surpris de la tournure que prend l’entretien avec l’expert psychiatre dans le cadre de cette affaire.

“Il n'y a que les viols incestueux qui l'intéressaient”

À peine entré dans la pièce, le psychiatre demande au plaignant s’il est “connu comme auteur” de violences sexuelles. Mathieu manque de tomber de sa chaise : il lui répond que non, mais qu’il est victime. L'expert commence l'entretien en indiquant n'avoir aucune connaissance du dossier et sollicite Joachim pour appeler l'enquêteur. Il comprendra plus tard que ce psychiatre a pour habitude d’expertiser les personnes accusées de violences, et non les victimes présumées. Il est très régulièrement mandaté pour faire des exercices de mis en cause dans le cadre de gardes à vue. D’où son attitude complètement inadaptée à la situation. Tout au long de l’entretien, le médecin prendra Mathieu de haut, remettant sans arrêt en cause sa santé mentale.

En effet, bien que cette expertise ne concerne pas les faits de violence sexuelle de ses parents, mais bien leur harcèlement, le psychiatre évoque sans arrêt les viols dont ils sont accusés. ‘“Il n'y a que ça qui l'intéressait”, se souvient Mathieu. Le psychiatre va toujours plus loin dans le questionnaire sur les faits incestueux dont Mathieu a été victime, demandant des détails sordides. Mathieu indique qu'il est en possession de 5 vidéos établissant un climat et des faits incestueux. Le psychiatre dit qu'il veut les visionner. S'ensuivent d'interminables minutes pendant lesquelles le trentenaire doit tout regarder de nouveau avec l'expert.

“Avez-vous remarqué des objets qui bougent seuls chez vous ?”

Le médecin essaie en parallèle de déstabiliser l’homme qu’il a en face de lui et lui demande, entre autres : “Est-ce que vos parents ont essayé de prendre le contrôle de votre cerveau avec des ondes ?” ou “Avez-vous déjà eu l'impression que des gens étaient rentrés chez vous et que des objets s'étaient déplacés ?”

Des questions absurdes qui laissent Mathieu pantois et impuissant. Il demande au psychiatre l'intérêt de cet interrogatoire, et celui-ci lui rétorque que ce sont "des technologies qui existent".“Il essayait de me faire passer pour un fou”, réalise-t-il, amer. À aucun moment l’expert psychiatre n’essaie de comprendre l'impact psychologique du harcèlement dont Mathieu accuse ses parents. Au lieu de cela, il pose toujours plus de questions, toujours plus précises, sur les viols incestueux.

Quand vous parlez de viol, vous parlez d’un viol de quoi, d'un viol de données ?” demande le médecin. Mathieu lui donne, interloqué, des précisions concernant les viols, et lui fait remarquer qu'à 38 ans, on ne peut raisonnablement pas porter plainte pour des viols de données datant d'il y a 3 décennies. Mais cela ne suffit pas : l’expert lui demande toujours plus d'informations sur le déroulé des viols. Mathieu, qui n’est pas du tout venu pour cette affaire, doit donc lui relater les maltraitances en détail.

Une remise en question de l’amnésie traumatique

Le trentenaire décrit par ailleurs la psychothérapie qu’il suivait au quotidien et les symptômes qui découlent de son traumatisme, comme des poussées d'eczéma fréquentes, mais aussi des angoisses et un mal-être global. Mais cela ne change en rien l'attitude du psychiatre, qui essaie même de le faire douter. “Lorsque j’ai indiqué que mes souvenirs étaient très partiels, il m’a dit : “Vous ne trouvez pas ça bizarre, vous, de ne pas vous en souvenir ?””

Pour rappel, il est fréquent chez les victimes de violences sexuelles d’avoir des souvenirs incomplets des événements : on parle alors d’amnésie traumatique ou d’amnésie dissociative. “L’amnésie consiste en une incapacité totale ou partielle de se remémorer des expériences récentes ou éloignées dans le passé. Lorsque l’amnésie est induite par une perturbation psychologique plutôt qu’un trouble médical général, on parle d’amnésie dissociative”, précise le manuel médical MSD.

2 plaintes auprès du Conseil national de l’Ordre des médecins

À la suite de cet entretien, Mathieu a envoyé une doléance au Parquet et au Conseil national de l’Ordre des médecins. Il précise avoir connaissance d'une plainte déposée au Parquet de Paris pour faux contre le psychiatre.

Aujourd’hui, il essaie de se reconstruire tant bien que mal, en attendant que les 2 procédures judiciaires aboutissent. “Pour l'instant, il n'y a pas de classement sans suite. Il n’y a pas d'ouverture d'information judiciaire non plus. C'est encore en phase d'enquête préliminaire, le Parquet n'a pas statué.” Les plaintes ont été déposées fin 2020. Auparavant dans le secteur de la finance, Mathieu considère se réorienter afin de trouver plus de sens dans son activité professionnelle.

*Le prénom a été modifié.

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