Conduites addictives -2-

Début de l’addiction

Classiquement les addictions surviennent lors du passage difficile de l’adolescence vers l’âge adulte mais elles peuvent commencer à tout âge et particulièrement, on l’oublie trop souvent à la période dite du 3e âge où se conjuguent l’arrêt de la vie professionnelle, le départ des enfants du foyer parental, l’éclatement de la famille souvent la mort d’un des membres du couple.

En réalité, l’addiction préexistait mais était, soit socialement acceptable (addiction au travail ou au sport) soit étayée par un anaclitisme1 rassurant (avec le conjoint le plus souvent) et de ce fait n’apparaissait pas et passait inaperçue. Ce n’est que lors de la perte de l’étayage (mise à la retraite) ou de l’anaclitisme (mort ou conjoint) qu’il y a menace pour le MOI, qu’apparaît et devient manifeste l’addiction.

Il convient de ne jamais confondre le ou les traumatismes secondaires déclenchants, second temps du Traumatisme, et le ou les traumatismes Primaires qui créent la prédisposition en fragilisant le Moi du sujet. Ce premier temps du Traumatisme est précoce, archaïque comme nous allons le voir.

Psychogenèse des addictions

Une addiction s’installe le pus souvent progressivement et insidieusement comme un comportement protecteur destiné à préserver le MOI, vécu en danger, du sujet.

L’observation clinique montre chez ces sujets une difficulté à utiliser la parole pour communiquer et représenter les souffrances existentielles, les angoisses communes aux humains. Tout se passe comme si les difficultés à mentaliser et à représenter se déplaçaient vers un comportement substitutif ou médiateur de parole. Progressivement, ce comportement devient très vite la seule manière de panser la souffrance et enferme le sujet dans la répétition compulsive.

Nous pouvons également observer des carences narcissiques primaires souvent importantes qui amènent à rechercher des relations anaclitiques de dépendance, faisant fonction d’étayage du MOI fragile. Lorsque ces étayages s’effondrent ou disparaissent, l’addiction peut advenir. Dans certains cas il peut y avoir somatisation plus ou moins grave, parfois mortelle.

Il y a presque toujours vécu carentiel innommable et irreprésenté de manque originel, un sentiment auto dépressif d’incomplétude. Le fonctionnement imaginaire est souvent pauvre, le Surmoi fragile, et il y a une relation exigence de satisfaction immédiate du désir, constitutive de la compulsion.

L’histoire infantile est marquée par des repères identificatoires parentaux défaillants ou carencés, des inter-relations de mauvaise qualité, un milieu familial que l’on peut qualifier de toxique au sens où l’amour ne se dit pas, où la parole ne sert que peu à communiquer. Souvent, ce milieu dépressif mal libidinisé n’a pas joué un rôle efficace de pare-excitation. Parfois même le climat peut être qualifié d’incestuel2 mais il est aussi d’autres fois incestueux.

Ce rapide tour d’horizon, à partir de la clinique, nous ramène à la difficulté de communication, à des liens inter-relationnels insuffisants et/ou de mauvaise qualité. La bonne organisation d’un sujet dépend de la qualité des inductions et des intercommunications avec l’environnement familial et de la sécurité affective de ce milieu.

L ‘épigenèse interactionnelle décrite par les éthologues montre que si le nouveau-né apporte dans son équation génétique, d’ordre phylogénétique, des éléments pré symboliques, ils ne peuvent devenir efficients que s’ils sont stimulés par des modèles imaginaires environnementaux pour donner les premières formations fantasmatiques. Ces premiers fantasmes induits par l’environnement sont renvoyés par le nouveau-né sur cet environnement et déclenchent des réactions imaginaires de l’entourage qui renvoie à son tour au nouveau-né des stimulations génératrices d’autres formations fantasmatiques et ainsi de suite.

Mélanie Klein à propos de l’identification projective a insisté déjà sur l’influence des inductions environnementales et des réponses de cet environnement. Elle montre que les premiers modèles imaginaires actives ne sont pas érotiques mais violents et que la première relation d’amour est de l’ordre de la réparation donc secondaire.

Jean Bergeret nous a montré que cette violence constitutive de notre élan vital, qu’il a appelé la violence fondamentale, est dans le meilleur des cas mise au service de la libido dans un but intégratif et maturatif.

Les scientifiques ont montré que le système nerveux obéissant à la sélection darwinienne. Quand un petit humain ou un animal grandit, ses neurones se câblent ou obéissent à un plan déterminé par les gènes. Mais la soudure entre deux neurones ne substitue que s’ils sont sollicités par l’environnement et fonctionnent dans un circuit. Par exemple, les neurones visuels d’un nouveau-né ne se connecteront pas s’il est plongé en permanence dans l’obscurité pendant 2 à 3 mois. Il demeurera définitivement aveugle. Il y a dont une sélection qui ne retient que les circuits pertinents et sollicités pour l’individu. Ce qui a fait dire à Joël de Rosnay: «Apprendre c’est éliminer...».

C’est donc très précocement, avant l’acquisition du langage, avant la capacité d’accès au symbolique, que quelque chose est advenu, a été vécu corporellement sans possibilité de représentation, laissant une cicatrice, une vacuole, un trou irreprésentable qui deviendra une menace permanente pour le MOI du sujet. Le reste de la maturation affective se déroulant, par ailleurs, normalement. Comme nous l’avons dit, nous sommes dans une faille de l’accession au symbolique, une défaillance des liens primaires que les mots ne peuvent ni exprimer, ni représenter.

La fonction de relation a été perturbée par insuffisance ou défaillance de l’intercommunication avec le milieu familial, par une mauvaise qualité des liens interrelationnels. Mais il peut s’agir aussi d’événements extérieurs suffisamment importants pour détourner pendant un temps le «regard parent» et entraîner une rupture dans la continuité du lien primaire. Cet événement n’est traumatique qu’à travers l’incidence qu’il représente chez le parent et la rupture de la continuité du lien, le détournement de l’attention (holding et handling) qu’il entraîne. C’est, en effet, de la manière dont l’enfant est porté, de la qualité de la présence affective du parent, de la présence corporelle, des échanges charnels que l’enfant se libidinalise. Les premiers liens sont corporels. C’est à partir des éprouvés, du vécu corporel, que la psyché s’organise. L’enjeu est l’organisation du narcissisme primaire.

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