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Une présence physique mais plus affective

Le deuil blanc n’est pas le même qu’un deuil classique lorsqu’une personne décède. C’est un deuil qui intervient lorsqu’une personne est encore présente physiquement mais perd petit à petit toutes ses capacités affectives, émotionnelles et mémorielles au point de ne plus ressembler à la personne qu’elle était auparavant. C’est au moment où l’on voit une personne perdre la mémoire, changer de personnalité des suites d’une maladie, la plus courante concernée étant la maladie d’Alzheimer.

Des changements majeurs vont bousculer la relation de départ entre l’aidant et le malade et ils peuvent rendre difficile la situation. Les proches qui en sont témoins sont en très grande souffrance, celle de voir un être cher lentement se détériorer. C’est là que le deuil blanc commence. Ils doivent apprendre à envisager une nouvelle vie aux côtés de leur proche même si ce dernier est encore présent physiquement.

"Le deuil blanc comme bien d’autres types de deuil est méconnu par notre société et parfois ceux qui n’ont pas à en apprivoiser les impacts au quotidien", explique Lynne Pion, spécialiste en gestion de deuil.

Pour le Dr Pascal Anger "il faut que l’aidant apprenne comment il est possible d’établir une autre forme de relation en prenant en compte cette épreuve de la transformation psychologique due à la maladie". Le deuil blanc est une forme de chagrin intense qui est épuisant pour l’accompagnant.

Une présence physique mais plus affective© Istock

Un "blanc" qui s'installe

Pour le Dr Anger, si le blanc a été choisi c’est surement car "il y a un blanc dans l’histoire. Tout à coup dans cette histoire, il y a quelque chose d’incompréhensible, d’inexplicable". C’est comme si tout à coup le temps s’était arrêté. Ce n’est pas un deuil facile car il n’est pas vraiment réel. "On est dans un deuil qui n’en n’est pas un. Je dirai même qu’il s’agit plus d’un accompagnement difficile et douloureux plutôt qu’un deuil blanc", ajoute-il.

Lynne Pion a longuement cherché l’explication. "J’en ai conclu que c’est en
raison de l’expression "Blanc de mémoire" que l’on peut aussi associer à la maladie d’Alzheimer, une maladie neurovégétative qui touche environ 50% de la population".

Des maladies qui obligent à modifier sa relation

On parle beaucoup de la maladie d’Alzheimer lorsque prononce "deuil blanc". Cependant, il y a aussi tous les "accidents qui peuvent provoquer de gros traumatismes ayant comme conséquences : un état végétatif avec la mort cérébrale, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) avec la perte de la parole par exemple", explique notre psychologue.

Pour Lynne Pion, cependant on peut aussi en parler lorsqu’une personne est "atteinte de démence ou d’une maladie dégénérative comme la sclérose latérale amyotrophique ou un coma prolongé",
par exemple. Ce sont en soi, toutes les maladies qui vont nous obliger à transformer notre relation à l’autre. Il reste un lien physique mais plus affectif. "Même si la personne malade est mobile mais que sa tête n’est plus en mesure de vous reconnaître, plus de souvenir là ça va être compliqué", ajoute-il.

Les difficultés observées par un patient atteint d’une maladie neurocognitive établies par la Haute Autorité de Santé (HAS) :

  • Difficulté à effectuer deux tâches simultanées.
  • Difficultés dans le repérage dans le temps et l’espace
  • Difficulté à former de nouveaux souvenirs (mémoire épisodique)
  • Difficulté à se souvenir des faits anciens (vie personnelle)
  • Difficultés à nommer et à identifier les objets (le manque de mots)
  • Difficultés à comprendre les consignes verbales
  • Difficultés dans la reconnaissance d’images, de visages, des couleurs, et le recopiage d’une figure
  • Difficultés dans l’utilisation d’un outil ("Montrez-moi comment utiliser un marteau")
  • Perte de la reconnaissance des émotions de l’autre, difficulté à prendre en compte l’état mental d’autrui : "Pourquoi le garçon est-il triste sur cette photo ?"

Des maladies qui obligent à modifier sa relation© Istock

D'autres échanges sont possibles

Le plus douloureux à travers le deuil blanc est le fait d’accepter le côté irréversible de la maladie. Il faut renoncer aux projets communs, aux échanges qui vont radicalement changer etc. Renoncer à un proche, lui dire adieu alors qu’il est toujours présent est une étape douloureuse, qui peut générer de la sidération, colère, de la frustration, de la culpabilité, du désespoir, une grande solitude, un fort sentiment d’impuissance ou même la dépression.

Pour le Dr Anger, "il ne faut pas oublier que le proche est autant touché psychologiquement que le patient par sa maladie. Cela peut engendrer de terribles problèmes psychologiques. L’aidant doit être autant soutenu que le malade. Il aide tellement l’autre qu’il ne pense pas forcément à lui".

On peut considérer que le deuil blanc est fini lorsque l’entourage va nous alerter par rapport à ce qu’il se passe et que l’on va pouvoir changer notre relation avec la personne malade, que de nouveaux échanges sont possibles comme des gestes, des sourires etc. Si la relation n’est plus la même et qu’on essaie encore de l’avoir, c’est que le deuil n’est pas fait". Le mieux pour essayer de traverser au mieux cette épreuve est d’en parler.

De mettre des mots sur cette douleur afin de pouvoir diminuer la tristesse face à la maladie. "Faire son deuil blanc peut être aidé par des groupes de paroles qui comprennent la situation ou bien se tourner vers des psychologues. Il ne faut pas rester seul et penser aussi à soi", conclut notre expert.

Créer de la magie autour de la situation

Comment y faire face ? Ici plusieurs possibilités existent selon où se situe dans sa propre vie la personne qui vit ce deuil. Explications avec Lynne Pion .

  • Il est impératif de se permettre du temps pour soi pour refaire le plein d’énergie et évacuer la culpabilité qui pourrait devenir envahissante. Que ce soit pour voir des amis, faire du sport, une sortie spéciale, etc. Trop de proches aidant perdent leur santé au détriment de la personne malade ou meurt avant elle, car ils se sont oubliés.
  • Certaines personnes pourront ouvertement en parler facilement et exprimer leurs doutes, leurs craintes, leurs émotions, leurs besoin car ils ont su au fils des ans se créer un réseau familiale et d’amis, en qui ils ont confiance.
  • D’autres consulteront des organismes, livres, blog, vidéos, spécialistes et professionnels pour mieux comprendre la maladie et pour s’outiller à y faire face.
  • Créer de la magie dans la vie de la personne atteinte en accueillant et acceptant la situation. Répondre aux questions répétitives avec constance en créant un nouveau monde imaginaire qui leurs permet de conserver de doux souvenirs et des fou rire inattendus.

Créer de la magie autour de la situation© Istock

S'adapter à de nouvelles réalités

Le deuil blanc se vit au quotidien avant le décès de l’être cher. La personne aimée est toujours vivante mais ne sera plus jamais comme elle était connue.

Au fils du temps le proche aidant constatera et aura à s’adapter à ces nouvelles réalités.

  • Pertes de mémoires;
  • Perte de l’autonomie de plus en plus lourde;
  • Modification de la personnalité (isolement, colère, fatigue constante);
  • Présente dans le lit mais dans un coma prolongé.

Lynne Pion, spécialiste en gestion de deuil, suggère fortement à la famille touchée par ce deuil "d’oser demander de l’aide pour mieux comprendre les différents deuils qu’ils auront à vivre. Ce processus du deuil comprend les différents états du deuil connus comme des montagnes russes et en plus souvent dirais-je, soit à
chaque constat d’une nouvelle perte".

  • Le choc qui survient lors de la découverte de la maladie.
  • Le déni arrive ensuite très rapidement; on ne croit pas que ça peut être possible par dans notre famille, pourquoi elle?
  • La culpabilité de ne pouvoir en faire plus, de ne pas en avoir assez fait, de ne pouvoir être plus présent, de ne pas se sentir à la hauteur...
  • La colère, l’incompréhension, le marchandage, une douleur immense et viendra l’acceptation de la situation réalisant qu’aucun contrôle de votre part ne pourra y changer quoi que ce soit.
  • Comment faire avec?
  • Comment donner un sens à ce qui est?

Apprendre à vivre avec

Difficile d’être la personne endeuillée et le proche aidant à la fois. Ceci demande beaucoup d’énergie et chamboulent énormément les émotions. Selon Jacques Languirand lors de sa dernière émission "Par quatre chemins", lui-même atteint de la maladie d’Alzheimer, il faut réaliser qu’une personne aimée "retourne dans ses terres profondes, dans le labyrinthe de sa mémoire".

Difficile d’accueillir et d’apprivoiser l’emprise que la maladie peut avoir sur cette personne qui était auparavant si pétillante, aimante, active et constater son regard s’assombrir, ne plus savoir, de moins en moins reconnaître, ne plus pouvoir vaquer à ses activités, passions, etc.

Pour ces raisons, les proches aidants peuvent ressentir:

  • De la culpabilité voire même de l’incompétence
  • De l’incompréhension tant personnellement que de la part de la famille, amis, collègue de travail
  • De l’essoufflement car difficile d’être endeuillé et proche aidant à la fois
  • De l’épuisement
  • Du jugement
  • Un manque de soutien social
  • Un déséquilibre au niveau de la santé, voire même du désespoir
  • Un manque financier ou un déséquilibre

L’important est d’oser demande de l’aide parce que chacun a le droit de vivre sereinement sa vie même avec les "malgrés" et les "à cause" ou "parce que"

Sources

Remerciements au Dr Pascal Anger, psychologue et Lynne Pion, spécialiste en gestion de deuil

Comment faire face au deuil blanc ?, France Alzheimer

Qu’est-ce que le deuil blanc?, Société Alzheimer

Patients présentant un trouble neurocognitif associé à la maladie d’Alzheimer ou à une maladie apparentée, HAS

Fondation Vaincre Alzheimer

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Vidéo : La maladie d'Alzheimer