Tous les soirs à 20 h, les Français sont au rendez-vous et applaudissent les soignants à leur fenêtre. Mais en parallèle, ces derniers sont aussi victimes de pressions de la part de leur voisinage, en proie à la panique d’être contaminés par le coronavirus. Au point que le Premier ministre Edouard Philippe a dénoncé samedi ces "mots scandaleux" laissés au personnel médical. Ces craintes sont-elles vraiment fondées ? Medisite a tenté d’y voir plus clair.
Des lettres anonymes blessantes envers les soignants
Scotchées sur leur porte d'entrée, glissées sous l'essuie-glace... Depuis le début du confinement, les lettres anonymes adressées au personnel hospitalier se succèdent, comme en témoignent de nombreuses publications sur les réseaux sociaux. Si vous pensez qu’il s’agit de remerciements, détrompez-vous : elles font plutôt dans la menace.
Lucille, infirmière, fait partie de ces malheureux destinataires. Dans sa boîte aux lettres, elle a découvert un courrier lui demandant de quitter son logement de Vulaines-sur-Seine, de faire ses courses “en dehors de la ville” et lui reprochant de promener son chien. Non signé.
Contactée par l’AFP, elle se dit “en colère”. “On met déjà notre vie de côté pour s'occuper des autres, alors qu'on nous traite comme des pestiférés, ça ne passe pas”. Dans l’hôpital de banlieue parisienne où elle travaille, la jeune femme porte des gants, un masque, des lunettes et une surblouse de protection.
Elle indique aussi avoir les "mains défoncées" par le double lavage - savon, puis gel hydroalcoolique - imposé entre chaque patient. "Cette personne prend sûrement beaucoup moins de précautions que moi”. Malgré un “coup au moral”, l’infirmière a décidé de réagir : elle a transmis la fameuse lettre au maire de sa commune, qui a saisi le procureur... et n'a pas hésité à la partager sur les réseaux sociaux.
Une étudiante infirmière chassée de son logement par sa propriétaire
La peur du virus peut même aller encore plus loin, la preuve en est à La Rochelle, où une étudiante infirmière a été chassée de sa chambre par sa propriétaire. Logée sans bail par une septuagénaire depuis septembre, elle explique à Sud Ouest ne pas avoir eu de problème jusque-là. Mais lorsque l’épidémie a commencé à arriver en France, sa logeuse s’est montrée de plus en plus intrusive.
“Elle triait mon linge, entrait dans la chambre en mon absence… Elle a mis en place un protocole de désinfection à la Javel après mon utilisation de la douche, des toilettes, ce que je peux comprendre”, explique la jeune femme.
Mais samedi dernier, coup de théâtre : après un malheureux éternuement, la propriétaire demande à Isabelle (le prénom a été changé) de quitter son domicile. Plus encore, elle envoie ses deux fils la déloger de force, avant l’intervention de la police qui a recadré la propriétaire. Temporairement hébergée par une amie, l’étudiante infirmière a déposé une main courante contre la septuagénaire.
Les soignants ne transmettent pas plus le virus que d’autres
Une indignation partagée par Pierre Boquého, infirmier en libéral, que nous avons interrogé. “On a l’impression d’être des pestiférés, on nous met à l’écart par peur du virus”, déplore-t-il. Si lui n’a pas (encore) été la victime d’un corbeau, il n’en trouve pas moins cette action condamnable. “C’est très blessant. En plus, ces gens n’ont même pas le courage de leurs propos et se cachent sous l’anonymat, je trouve ça scandaleux”.
Selon lui, le problème vient du manque de connaissances quant à la propagation du virus. Celle-ci se fait par les gouttelettes de salive (lorsqu’on parle, tousse ou éternue), mais aussi, dans une moindre mesure, de façon manuportée : si l’on met sa main devant sa bouche en toussant, puis qu’on touche une poignée de porte par exemple. Aussi, n’importe qui peut vous transmettre le virus, et pas seulement le personnel soignant. “À l’heure actuelle, il faut tous se considérer comme porteur potentiel".
Les soignants sont très conscients des risques et redoublent de prudence
Par ailleurs, Pierre Boquého distingue les soignants de ville d'une part et le personnel hospitalier d’autre part. Et parmi ces derniers, “il y a ceux qui traitent les patients du Covid-19 et ceux qui s’occupent des patients habituels”. Il précise que ceux qui traitent des patients “classiques” ne présentent pas nécessairement plus de risques de transmettre le coronavirus.
Quant aux soignants de cas confirmés de Covid-19, ils sont très conscients de la "menace" qu’ils représentent, si bien qu’ils déménagent parfois pour ne pas contaminer leur famille : “parce qu’en famille, on ne porte pas de masque”, précise l’infirmier. Toutefois, ils ne représentent guère un danger pour leurs voisins, en raison des stricts protocoles d’hygiène qu’ils suivent.
“On se lave tellement les mains qu’elles finissent par saigner”
Au quotidien, le personnel soignant redouble donc de vigilance. “Comme la plupart de mes collègues, quand je rentre chez moi, j’enlève mes chaussures et me déshabille dans l’entrée, puis je vais directement prendre une douche. Parce que la meilleure façon d’inactiver le virus, c’est le savon. À partir du moment où on a pris cette douche, on est comme tout le monde”.
Quant aux halls d’immeuble et cage d’escaliers par lesquels il pourrait passer, il précise faire très attention. “On se lave les mains en quittant le travail, on se les frictionne avec du gel hydroalcoolique en sortant des transports, on ne se touche pas le visage…” De telle sorte que le risque de transmission du virus par les mains est réduit à néant.
“C’est lorsqu’on s’est souillé les mains en toussant ou éternuant et qu’on ne les a pas lavé que l’on peut propager le virus. Dès lors qu’elles sont lavées, il n’y a plus de risque”, explique Pierre Boquého. “Et on se lave tellement les mains qu’elles finissent par saigner”.
Plus de risques en allant faire ses courses qu’en croisant son médecin
Cet infirmier en libéral regrette toutefois le manque de moyens mis à disposition des soignants, et plus particulièrement des praticiens qui exercent en ville. “On commence à avoir des masques qui arrivent, j’ai été chercher mes 20 masques auprès de la police municipale hier. Mais on n’a pas de surblouse, de lunettes, de surchaussures... Notre circuit propre et circuit sale, nous devons l’établir nous-mêmes.
Ce qui, bien sûr, ne les empêche pas d’appliquer tous les gestes barrières pour assurer leur sécurité et celle de leur entourage. “Quelques collègues ont eu des cas de Covid-19 dans leur entourage, pour autant, nous n’avons eu aucun patient contaminé !”, se félicite le soignant. Ce dernier a d’ailleurs acheté du matériel (tensiomètre, saturometre,...) qu’il réserve exclusivement aux soins de patients Covid. “On fait aussi en sorte que dans la salle d’attente, il n’y ait qu’un seul patient à la fois”.
L’infirmier conclut : “oui on voit le virus régulièrement, mais on fait en sorte de ne pas l’attraper ni le transmettre”. Il considère qu’il y a “quelque chose d’irrationnel” dans le propos des auteurs de ces lettres anonymes, ou de toute personne qui redoute d’être contaminée par les soignants. “Certains patients ont peur d’aller chez le médecin, mais ils n’hésitent pas à faire des petites courses tous les jours. Pourtant, le risque est bien plus grand au supermarché !”
Merci à Pierre Boquého, infirmier en libéral.
Pressions, cambriolages : le sale quotidien de certains soignants en France, AFP médecine, 30 mars 2020.
La Rochelle : une étudiante en soins infirmiers expulsée de son logement, Sud Ouest, 30 mars 2020.
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