Comme si le fléau du Covid-19 ne suffisait pas, il faut aussi, en ces temps de crise sanitaire, renoncer à dire au revoir à un proche décédé.
L'enterrement à distance rend le processus de deuil plus difficile
À l’hôpital, il est ainsi interdit de voir le corps du défunt une dernière fois.
Concernant la cérémonie religieuse, d'après un arrêté promulgué le 15 mars 2020, elle doit se limiter à 20 personnes et cela jusqu'au 15 avril 2020. Mais les personnes âgées de 70 ans et plus ne peuvent pas y participer par précaution pour leur propre santé. En cette période épidémique, il s'avère donc courant de ne pas assister à un enterrement.
Pourtant, faire son deuil à distance s'avère très difficile selon le psychothérapeute Pierre Nantas.
Le fait de ne pas pouvoir assister physiquement aux obsèques et de ne pas pouvoir retrouver ses proches rend le processus de deuil plus compliqué, révèle-t-il.
En effet, dans un moment aussi douloureux que représente la perte d'un être cher, les hommes ont besoin de se retrouver ensemble, de se soutenir et de s'échanger leurs condoléances.
Tous les rituels, religieux ou non, comme le fait de toucher le cercueil, de jeter de la terre ou une fleur dans le caveau sont également supprimés, de part cette distance.
Une vidéo virtuelle d'un enterrement ne remplace donc en rien tous ces gestes où l'on a besoin de rendre physiquement hommage au défunt.
On ne peut plus embrasser le mort, lui dire au revoir, ni effectuer tous ces gestes et rites symboliques qui sont si importants pour la phase de reconstruction, regrette l'expert.
Ne pas pouvoir assister physiquement à cette cérémonie fragilise donc la personne concernée.
À tel point, que le psychothérapeute compare cette épreuve à la perte d'un être cher dans un naufrage ou dans un accident d'avion.
"Lorsque l'on ne voit pas le corps, on est dans une forme de déni". Le problème ? "Ce déni bloque de nombreuses personnes dans leur processus de deuil. Ils n'avancent pas", explique l'expert.
Par ailleurs, cette situation "de deuil à distance" est presque pire qu'un accident en mer ou dans les airs "car on sait que la personne est décédée, qu'elle n'a pas pu s'en sortir (il n'y a donc plus d'espoir comparé à l'accident, ndlr) mais on ne peut tout de même pas voir le défunt.
Or, ceci pose un problème "d'appropriation de la disparition". S'ensuit ensuite une période bien plus longue pour admettre la mort de l'être cher.
Les personnes qui ont peur de la mort et de l'abandon sont plus impactées
À la question "qui va être impacté par ce non-deuil ?", le psychothérapeute l'affirme de suite : tout le monde. Mais certains profils de personnes vont tout de même plus mal le vivre que d'autres.
Il s'agit des personnes "qui ont une peur de l'abandon et de la mort". Ils peuvent davantage mal vivre cette perte d'un proche, tout en ayant généralement un fort sentiment de culpabilité. Ils peuvent ainsi se dire "Je n'ai pas bien fait les choses", "j'aurais du être là" ou encore "je ne lui ai pas assez dit que je l'aimais".
Ce sentiment de culpabilité est déjà présent habituellement, mais le confinement l'accentue, précise l'expert.
Les personnes qui ont eu en charge la personne décédée pendant un certain temps et qui "ont promis de revenir le jour J" seront également plus enclins à cette notion de culpabilité.
Autre profil particulièrement "à risque" : les personnes qui ne ressentent rien.
L'annonce de la mort provoque un court-circuit émotionnel qui peut durer plusieurs années. La personne ne réalise pas vraiment ce qu'il s'est passé. Mais cet état est très dangereux : "lorsque la personne réalise la mort de son proche, des mois voire des années après, c'est le choc. Il faut alors prendre en charge la personne pour l'aider à faire un travail sur elle-même", souligne le psychothérapeute.
Autre cas de figure : lors qu'un proche meurt, qu'il s'agisse d'un ami, d'un conjoint ou d'un membre de la famille, ce décès peut nous renvoyer à "notre propre mort".
"Avec le confinement, nous réalisons, que nous aussi, nous pouvons mourir seuls, et parfois dans d'atroces souffrances (comme les personnes gravement infectées par le virus, ndlr)", souligne le spécialiste.
Comment faire disparaître ce sentiment de culpabilité ?
Une seule chose à faire, d'après l'expert : discuter.
"Il faut échanger avec ses proches et renforcer le sentiment de lâcher-prise, comme quoi on n'est pas "coupable" de n'avoir pas été présent le jour de l'enterrement. Remémorer les bons souvenirs et les bons moments est également efficace", conseille Pierre Nantas. "Vous pouvez aussi vous promettre que dès que le confinement sera terminé, vous irez rendre hommage à cet être cher".
Cette phase se nomme la reconstruction. Elle est très importante pour faire son deuil et l'accompagnement, qu'il soit familial ou amical, aide beaucoup.
En revanche, si vous êtes seul, "tournez-vous vers un psychologue pour échanger sur cet événement traumatisant", conseille l'expert. Le but ? Arriver à mettre des mots sur vos émotions et extérioriser votre sentiment de colère ou de tristesse.
Et du côté des enfants ?
"A partir de 7-8 ans, les enfants savent ce qu'est la mort. Or, en pensant bien faire, les parents ne veulent pas emmener leurs enfants à l'enterrement ce qui est fort dommage, puisque les enfants, eux aussi, ont besoin de faire leur deuil", confirme le spécialiste.
Si votre enfant n'a pas fait son cheminement de deuil, il est ainsi possible qu'il se retrouve en thérapie plus tard, afin d'évoquer cette douleur encore béante.
Car qu'on le veuille ou non, ce confinement sanitaire et toutes les conséquences qui s'ensuivent (décès, maladies, souffrances) "est aussi douloureux que la période des attentats en France", conclut l'expert.
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