Dans le noir ? : le concept
En entrant dans la petite cabine de massage aux lumières tamisées, à l’étage du Spa Dans le noir ?, dans le deuxième arrondissement parisien, rien ne nous laissait présager l’expérience sensorielle qui allait suivre.
Au programme de cette séance : un modelage de 50 minutes dans l’obscurité totale, effectué par les mains expertes de Mariame, praticienne malvoyante de l’institut parisien (il existe également une maison à Bordeaux).
C’est le concept de ce spa unique au monde, lancé en 2011 par Didier Roche, directeur général et associé du groupe d’investissement Ethik Investment également à l’origine de la chaîne de restaurant internationale "Dans le noir ?". Mariame nous invite à nous déshabiller. Une petite lueur près du placard permet de ne pas trop tâtonner. Elle disparaît bien vite derrière un épais rideau. Dans un bruit de cascade et de flute de pan, le massage peut commencer
Des massages sur-mesure sans tabou
Il sera "sur-mesure", la marque de fabrique du spa. "Beaucoup d’autres maisons ont des protocoles tout faits. De notre côté, nous proposons un "modelage découverte" ou la personne se remet entièrement à l’instinct de son masseur", explique le fondateur. En dehors, l’offre est plutôt classique : massages en solo, en duo ou pour couples, pour femme enceinte, passage au hammam "ciel étoilé" pour ceux qui le souhaitent, gommage, soins du visage et du corps... Mais le déroulé l’est moins.
Dans le noir absolu, Mariame devient notre guide. La spécialiste du toucher prend rapidement ses marques en contournant le corps du bout des doigts. Elle effleure, glisse, frictionne d’une main sûre, lit la peau comme un livre ouvert. Ses mains suivent les lignes de tensions, s’attardent un instant au niveau des omoplates où elles sentent un nœud, repartent de plus belle. La rencontre n’est ni visuelle, ni vocale, mais uniquement tactile.
"Dans une société où le toucher est tabou", spécifie le fondateur, "la communication s’installe par lui sur la table de massage. La main transmet et capte des choses". La maison s’inspire d’un savoir-faire rare, issu de la tradition des "blind massages", spécialité des personnes handicapées visuelles en Asie du Sud-Est.
A la sortie de leur massage, Florence et sa mère Rolande sont détendues et surprises : "Le fait que les masseurs soient non-voyants ne peut être qu’un atout. Mieux que quiconque, leurs mains expertes sentent les résistances sur certaines zones. Ils voient réellement avec les doigts", témoignent la fille. "On entre en total communion avec la personne qui nous masse, une grande confiance s’installe", affirme de son côté Rolande.
Fini les complexes et la retenue...
La confiance est d’autant plus forte qu’aucun complexe ne vient troubler ce moment d’abandon. "Il n’y a aucun jugement physique de l’individu", souligne Didier Roche. Le centre accueille d’ailleurs beaucoup de personnes complexées ou pudiques, des femmes opérées d’un sein... "Une femme de 88 ans m’a confié un jour qu’elle n’avait jamais osé se faire masser avant", raconte le fondateur.
Tandis que Mariame progresse vers le sommet du crâne, on se sent lâcher-prise doucement, en respirant le parfum délicieux des huiles essentielles répandues dans la cabine. Dans l’obscurité, les odeurs se développent encore plus. On peut même personnaliser son environnement olfactif : "J’ai choisi jasmin", annonce Rolande en sortant. Quant au hammam, il sent bon l’eucalyptus...
La décontraction est telle que certains couples privatisent même le hammam... pour profiter de moments intimes. "On a déjà dû reprendre plusieurs fois l’homme qui vient tout juste d’entrer avec sa compagne. C’est un habitué", raconte Sophia responsable du spa parisien depuis janvier 2017. "Nous sommes toujours vigilants avec ce genre de comportements, les gens pensent qu’ils peuvent tout faire, car on ne peut pas les voir." Le massage touche à sa fin. Doucement, le corps se réveille et se met en mouvement. Mariame ouvre le rideau pour laisser passer la lumière tamisée. Après 50 minutes dans le noir, l’éclat est presque trop fort.
Intégrer les non-voyants dans le monde du bien-être
Au rez-de-chaussée, on reprend pieds peu à peu. Entre deux appels, Sophia propose un thé à la menthe. C’est elle qui prend les commandes, coordonne et gère la maison parisienne. Elle s’aide d’un logiciel de synthèse vocale et tape si rapidement sur son clavier qu’on n’imagine pas qu’il lui est invisible. De praticienne, elle est progressivement passée au management de l’institut et de ses 9 salariés handicapés visuels. Son évolution est importante aux yeux de Didier, dont l’un des principaux objectifs était d’intégrer les non-voyants dans le monde du bien-être. "Nous voulions faire de la différence un atout. Avec ce spa dans le noir, nous avons créé un modèle économique nouveau", souligne-t-il.
Pour que tout fonctionne correctement, les lieux sont totalement adaptés aux non-voyants. "Entre nous, on sait qu’on ne doit rien laisser traîner et que chaque objet à un emplacement spécial", indique Mariame. Rien n’est en effet laissé au hasard. Tasse de thé en main, nous observons les murs réguliers et les angles droits : "il est plus difficile de se déplacer sur une courbe", explique Didier.
L’objectif futur du fondateur ? Former des déficients visuels dans ses "spas école" (en alternance), puis les envoyer dans des maisons "ordinaires" (c’est déjà le cas pour une élève, en alternance dans un spa de luxe à Annecy). "Comme les 6 dernières années ont commencé à le prouver, les choses sont en train de bouger !", conclut-il, optimiste.
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