
- 1 - Une encyclopédie de l’intime qui aborde le plaisir sans tabou
- 2 - Nymphomanie, mythe ou maladie ?
- 3 - La frigidité et l’étoile de mer, ou l’art de ne pas se remettre en question
- 4 - Qui peut avoir une “émission fontaine” ?
- 5 - Pourquoi parler de “zone” G plutôt que de “point” G ?
- 6 - L’abstinence ou la hiérarchisation des relations sexuelles
- 7 - Le fétichisme, plaisir sain ou déviance ?
Le sexe, tout le monde a un avis sur la question, mais sait-on vraiment comment en parler ? Tabou pour certains, symbole d’émancipation pour d’autres, une chose est sûre : il est omniprésent dans notre société. Pourtant, entre registres de blagues graveleuses et manuels médicaux aussi assommants qu'austères, difficile de trouver des ressources accessibles et bienveillantes sur le sujet. Pour combler ce manque, Edwige Fleury, 40 ans, a pris le problème à bras-le-corps. Dans son livre Cul.tivez-vous - Encyclopédie de l’intime (ed. Albin Michel), elle propose une véritable base de définitions autour du sexe et de ses nombreuses implications.
Au cours de sa carrière dans la fonction publique hospitalière, l’infirmière spécialisée en psychiatrie et sexothérapeute s’est rendu compte que la sexualité était la “patate chaude dont personne ne voulait s’occuper”. “Je ne voyais pas en quoi la sexualité était plus tabou que les sujets psychiatriques que l’on traitait”, explique-t-elle à Medisite. Elle a pris le sujet en main et est devenue la référente du service en matière d’intimité. “Puis le Covid-19 est arrivé, et mon burn-out avec…”, soupire la spécialiste.
Intéressée par le sujet et désireuse de transmettre son savoir, elle a décidé de créer un compte Instagram dédié à la sexualité, “juste pour les copains”. C’est à ce moment charnière que “Wiculpedia”, aujourd’hui Wicul (@wicul_) est né. “Contre toute attente, ce compte a pris une ampleur non maîtrisée : je me suis lancée dans l’aventure des réseaux sociaux dans l’idée de vulgariser, rassurer et éduquer autour de la sexualité”, articule Edwige Fleury.
Une encyclopédie de l’intime qui aborde le plaisir sans tabou
Quelques années plus tard, l’idée de créer une encyclopédie de l’intime fait son chemin. “Il existe déjà des bouquins d’argot qui font rire tout le monde, mais ne parlent pas vraiment de sexualité. Les ouvrages médicaux sont souvent pompeux, peu accessibles”, regrette Edwige Fleury. L’autrice a souhaité proposer un livre facile à lire, que l’on poserait à côté de son vieux dictionnaire pour le consulter quand on en a besoin ou envie. “Je voulais quelque chose de didactique et pédagogique, accessible à tout le monde !”, explique-t-elle.
Un pari réussi : Cul.tivez-vous - Encyclopédie de l’intime, paru le 5 février 2025, est un glossaire pratique et éducatif sur l’intimité qui aborde sans détour le plaisir, le consentement et l’anatomie.
Au-delà de l’aspect éducatif, Edwige Fleury s’est donné une autre mission : réhabiliter des termes sexuels souvent mal compris ou utilisés à mauvais escient. Le vocabulaire médical, par exemple, a souvent été utilisé pour stigmatiser la sexualité féminine. “Aucun terme sexuel ne devrait jamais être associé à un genre ou à un sexe”, martèle la sexothérapeute. De nombreux termes ont été utilisés pour “pathologiser, discriminer les femmes pour que leur sexualité ne leur appartienne plus”, note-t-elle.
Nymphomanie, mythe ou maladie ?
Parmi ces mots, nous pouvons citer la nymphomanie : “Tout le monde peut vivre une hypersexualité : à partir du moment où il n’y a pas de détresse, il n’y a pas de problème ! La nymphomanie est un terme obsolète, jamais entendu dans la sphère médicale : soit on a une hypersexualité dans laquelle on s’épanouit, soit on souffre d’une addiction”, détaille Edwige Fleury. Avant de poursuivre : “C’est à distinguer du genre et du sexe de la personne, et cela montre une méconnaissance de la problématique : ce terme est très mal utilisé, les personnes qui se définissent elles-mêmes comme nymphomanes émettent un jugement sur leur propre sexualité”.
La frigidité et l’étoile de mer, ou l’art de ne pas se remettre en question
Dans le langage courant, on dit d’une femme qui n’a pas de désir sexuel qu’elle est “frigide”. “C’est un terme utilisé pour stigmatiser les femmes sur leur sexualité… Et pour éviter de se remettre en question ! Dire d’une femme qu’elle est frigide, c’est la facilité : tout le monde a un potentiel orgasmique, il suffit de le trouver”, assure Edwige Fleury. Un mot souvent associé au charmant terme “étoile de mer”, qui fait référence à une femme passive pendant l’acte sexuel. “Les personnes qui utilisent ces termes se posent-elles la question du plaisir qu’elles ne donnent pas, ou du consentement ?”, questionne l'autrice. Dans son encyclopédie, elle rappelle que l’absence de plaisir ou d’orgasme chez la femme est très courante, et peut être causée par plusieurs facteurs : anxiété, stress, problèmes psychologiques ou physiques… Ou, plus simplement, par l’incapacité de leur partenaire sexuel à leur donner du plaisir.
Qui peut avoir une “émission fontaine” ?
Encore un mythe qui mérite d’être déconstruit : l’émission fontaine ! “Il y a beaucoup de fascination autour de cette pratique toujours assimilée aux femmes : en vérité, tout le monde peut être fontaine”, explique Edwige Fleury. “À partir du moment où il y a une vessie, il peut y avoir émission fontaine”, affirme-t-elle. Des recherches récentes ont montré que le liquide expulsé lors d’une émission fontaine, aussi appelée squirt, est essentiellement composé d’urine. Elle peut également contenir “une faible quantité d’éjaculat des glandes para-urétrales (glandes de Skene)”. Une émission fontaine se produit mécaniquement lorsque la zone G est stimulée, mais elle peut aussi avoir lieu sans stimulation au moment de l’orgasme. On parle alors d’émission autonome.
Pourquoi parler de “zone” G plutôt que de “point” G ?
Ah, le point G… Qui n’a jamais entendu personne se targuer d’avoir effleuré cette chimère du plaisir ? Ce terme a été popularisé par Ernst Gräfenberg, un gynécologue allemand qui a découvert qu’une zone située sur la paroi antérieure du vagin donnait un plaisir particulièrement intense à certaines femmes. Si Edwige Fleury admet un certain intérêt à situer les zones de plaisir pour que les rapports avec pénétration soient jouissifs pour tout le monde, elle regrette l’utilisation du terme “point” plutôt que “zone”.
“Un cinquième de la surface du vagin est sensible, c’est peu, certes, mais c’est plus qu’un point ! Cela donne l’impression qu’il faut le chercher alors que la zone G fait environ la taille d’une pièce de deux euros. C’est accessible, pas seulement avec un pénis mais aussi avec les doigts ou avec un jouet adapté. C’est un rond-point d’organes qui s’entremêlent et qui, quand ils sont bien stimulés, peut être très agréable pour la personne pénétrée”, détaille-t-elle. Pour trouver cette zone plus facilement, la sexothérapeute conseille de stimuler le clitoris : comme le pénis, cet organe érectile se gorge de sang lorsqu’il est excité.
La stigmatisation des femmes n’est pas le seul écueil du vocabulaire lié à la sexualité. D’autres notions fondamentales souffrent d’un usage approximatif ou biaisé, alimentant ainsi des idées reçues tenaces. Autant de mots mal compris que l’autrice s’attache à remettre en perspective.
L’abstinence ou la hiérarchisation des relations sexuelles
Certains termes peuvent être considérés comme des “gros mots ”, car on méconnaît ses implications. Qui, par exemple, n’a jamais entendu un ami se plaindre de son “abstinence” après une longue période sans relation sexuelle ? En réalité, l’abstinence est définie comme l’absence de toute activité sexuelle, y compris la masturbation. “Dans l’imaginaire collectif, les personnes abstinentes sont esseulées et victimes de leur célibat. C’est faux ! On peut très bien se faire l’amour à soi-même”, souligne la sexothérapeute. Certaines personnes célibataires peuvent se sentir jugées ou culpabiliser de ne pas avoir une vie sexuelle “active”. Pourtant, se masturber, c’est avoir une vie sexuelle : “on explore son corps, on ouvre le champ des possibles du circuit du plaisir et des zones érogènes”, ajoute-t-elle.
Selon Edwige Fleury, il est même indispensable de se connaître soi-même avant de se donner du plaisir à deux (ou plus !). D’après elle, le problème réside dans la sacralisation du schéma de couple actuel : “Le statut de couple est bien au-dessus des relations amicales ou familiales qui peuvent aussi être source d’épanouissement et suffire à rendre heureux. On hiérarchise souvent les relations, et c’est la même chose pour le sexe : le sexe à deux a tendance à prévaloir sur le sexe en solo, qui est pourtant souvent plus satisfaisant qu’à plusieurs !”. Pour conclure, l’autrice rappelle que l’abstinence concerne en réalité très peu de monde : “Cela peut être le cas pour des raisons médicales, religieuses ou personnelles, mais ce n’est jamais une conséquence du célibat !”.
Le fétichisme, plaisir sain ou déviance ?
Le terme “fétichisme” est lui aussi mal maîtrisé et empreint de jugement, car injustement relié à quelque chose qui serait déviant. “Nous avons catégorisé certaines parties du corps comme des zones érogènes légitimes et d’autres pas. Il n’y a aucune raison que toutes les parties du corps ne soient pas une source d’excitation. Nous sommes biaisés par ce qu’on estime être normal ou non et par la pornographie”, analyse Edwige Fleury.
La peau est notre plus grand organe érogène ! - Edwige Fleury
Mal utilisées, ces notions alimentent des attentes irréalistes autour du plaisir sexuel, et imprègnent de jugements des actes pourtant sources de complicité et de plénitude. Pour en apprendre davantage sur votre plaisir, n’hésitez pas à feuilleter Cul.tivez-vous - Encyclopédie de l’intime, écrit par Edwige Fleury (@wicul_) et illustré par Simon Frankart (@petitesluxures).