Dans le film Hantise, ou Gaslight en anglais, le personnage incarné par Ingrid Bergman est persuadé que sa santé mentale se dégrade. Tous les jours, son mari nie ses perceptions et ses souvenirs, jusqu’à la convaincre de sa propre folie. À mesure qu’elle perd pied, elle coupe les ponts avec son entourage et devient de plus en plus dépendante de son époux.
Chaque nuit, seule dans sa chambre, elle voit la lumière au gaz s’atténuer. Quand elle s’en ouvre à son mari, celui-ci lui fait croire qu’elle imagine des choses. Et pour cause : si la lumière de sa chambre se fait plus faible, c’est que le manipulateur est en train d’utiliser la lampe de la pièce du dessus, affairé à des magouilles secrètes.
Gaslighting : une “manipulation psychologique d’une personne sur une longue durée”
Aujourd’hui, par extension, le terme de gaslighting est utilisé en psychologie dans le monde anglo-saxon et commence à se faire connaître en France. Le dictionnaire américain Merriam-Webster le définit comme la “manipulation psychologique d’une personne sur une longue durée, qui l’amène à se questionner sur la validité de ses propres pensées, de sa perception de la réalité et de ses souvenirs”. Cette manipulation “entraîne généralement chez la victime une confusion, une perte d’estime de soi, une incertitude par rapport à sa stabilité émotionnelle et mentale et une dépendance envers la personne manipulatrice”.
Cette forme de violence conjugale reste cependant assez peu étudiée dans le domaine de la psychologie. Partant de ce constat, des chercheurs de l’Université de Toronto ont réuni une cohorte de 65 victimes de gaslighting afin de les soumettre à un sondage de 15 questions ouvertes sur leurs expériences, la trajectoire qu’a prise leur relation abusive, les formes qu’a prises le gaslighting, les conséquences de cet abus sur leur vie personnelle, leur perception d’elles-même depuis cet abus et leur résilience depuis la fin de la relation.
Gaslighting : quel est l’objectif des conjoints violents ?
Les chercheurs, dont l’étude a été publiée le 24 juin 2023 dans la revue scientifique Personal Relationships, ont cherché à évaluer la véracité des affirmations faites sur le sujet au sein de la littérature de développement personnel, en particulier sur les supposés différents stades de gaslighting (comme le love bombing). Les scientifiques ont par ailleurs tenté de déterminer si la sortie de la relation abusive permettait la guérison des victimes.
Note : on appelle love bombing (littéralement “bombardement d’amour”) les déclarations d’amour excessives arrivant très rapidement en début de relation. Le gaslighter met sa victime sur un piédestal pour la faire se sentir unique, adorée, voire vénérée. Le love bombing ne dure qu’un temps, avant que n’arrivent les violences psychologiques. Ce mécanisme de manipulation permet de mettre la victime sous emprise.
Le gaslighting est un moyen de contrôle coercitif
Les chercheurs ont réalisé que la motivation principale du gaslighter était le contrôle coercitif de la victime. Cela passe par plusieurs actions : l’instauration de règles, l’abus verbal, le dommage aux biens et les menaces. Psychologiquement, la victime se retrouve isolée, coupée de son entourage et dévalorisée intellectuellement. D’après les réponses au sondage mené par les chercheurs canadiens, cet isolement commence par des remarques négatives sur les amis et les membres de la famille de la victime. Le fait d’isoler la personne permet de la rendre complètement dépendante. Cela entraîne, chez de nombreuses victimes, la sensation de “perdre contact” avec la réalité.
Les participants à cette étude ont par ailleurs indiqué avoir souffert de remarques négatives sur leurs capacités cognitives ainsi que sur leur stabilité émotionnelle. Ils ont noté avoir été qualifiés de personnes “beaucoup trop émotives”, souvent par le biais d’insultes. Ces remarques constantes permettent à la personne violente de faire douter sa victime de ses propres perceptions du réel. Les volontaires ont également rapporté avoir été empêchés par leur conjoint d’accomplir certains objectifs, notamment en termes d’études ou de carrière.
Faible estime de soi, hypervigilance et peur de l’autre
Les personnes ayant réussi à sortir de ces relations violentes affirment souffrir désormais d’une perception faussée d’elles-mêmes, d’hypervigilance et d’un manque de confiance global dans l’autre. Certains participants ont indiqué n’avoir jamais guéri psychologiquement de cette relation.
L’étude publiée dans Personal Relationships note toutefois un point positif : les victimes de ces relations violentes déclarent que le fait d’interagir avec autrui, voire de reconnecter avec certaines personnes, les aide à aller de l’avant et à regagner confiance en leurs capacités cognitives. Les loisirs créatifs comme l’art ou l’écriture sont également cités comme des moyens d’aller de l’avant et de renouer avec son identité. Cette étude conclut que le gaslighting est une expérience traumatique et que la guérison passe par l’entretien de relations saines et l’établissement de certaines limites.
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