Une détérioration inquiétante
En 2004, l’hôpital français était encore considérés comme le meilleur au Monde. En une décennie, il s’est détérioré n’épargnant pas les établissements prestigieux, une situation subie par les patients, comme les personnels soignants. Pourtant, durant la même période, les nouvelles technologies, les innovations des laboratoires et les cliniques privées n’ont jamais drainé autant d’investisseurs, mais les effets de décisions antérieures ont lentement gangrené l’univers hospitalier…
L’acharnement à libérer des lits, les internes paresseux, les petites économies, l’impossibilité de changer de blouse, d’avoir des gants ou le matériel de base, les pompes à morphine en panne ; le film Hippocrate débusque le diable caché dans ces détails. Un tableau sombre mais qui, selon Eugénie en deuxième année d’internat à Lille, correspond à sa réalité quotidienne. Ce délabrement des coulisses de l’hôpital est aussi perçu par les malades. Au lendemain de son opération de la vésicule biliaire au CHU de Clamart, Annick fut témoin d’une infirmière reprochant à sa collègue la perfusion généreuse soulageant la douleur post-opératoire, au motif que le stock de morphine s’épuisait. Le traitement de la souffrance devient une affaire comptable et la multiplication de ce que les juristes nomment “l’accident médical“ découle de la somme de ces constats.
Les chiffres de l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux) donnent un indicateur éloquant. En 2003, les dossiers d’indemnisations pour faute étaient de 1.719. En 2013, ils sont 4.394. Le montant des dommages pour accidents médicaux représente aujourd’hui 78,5% du budget hors fonctionnement de l’ONIAM, contre 18,4% pour les autres contentieux. En 2004, l’organisme reconnaissait 19 décès ou handicaps permanents causés par une infection nosocomiale , il en validait 82 en 2012.
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L’hôpital public, toujours perdant
L’autre indicateur est la réduction du nombre de blocs opératoires actifs dans les grands hôpitaux. Faute d’équipes de chirurgie, ils entassent des équipements coûteux dans des blocs désaffectés servant de débarras. Comment en est-on arrivé là ? Plusieurs facteurs, et des choix calamiteux accumulés depuis ces trente dernières années, sont en cause…
L’hôpital public est le reflet du contexte socio-économique. Une nuit aux urgences suffit à mesurer l’accroissement des populations pauvres qui n’ont plus que l’hôpital pour accéder aux soins. En plus d’accueillir la détresse sociale, l’hôpital subit le délestage des cliniques privées qui réexpédient sans état d’âme les indigents et les toxicomanes, disqualifient les “mauvais patients“. Invalides, trop âgés, obèses, insuffisants cardiaques ou pulmonaires, sujets infectieux, sont les patates chaudes dont elles se débarrassent au profit d’actes sans risques mais facturés au même tarif à la sécurité sociale.
En septembre 2013, une femme se présente à clinique de Vitry-sur-Seine. Elle est atteinte de la gangrène de Fournier, affection rare et souvent fatale. Sans pousser plus loin le diagnostique, le médecin de la clinique renvoie cette personne sous un prétexte hallucinant : « Madame, vous êtes une alcoolique ! ». Deux jours plus tard, elle finit aux urgences, son diagnostic vital engagé…
Au jeu subtil de la médecine lucrative, l’hôpital public est toujours perdant. Dès lors, les classements des hôpitaux publiés dans la presse sont absurdes et leurs critères posés hors de ces contraintes n’ont aucune signification.
Une formation médicale déficiente en quantité et qualité
La formation médicale est déficiente en quantité et en qualité pour l’ensemble des personnels soignants. Il est fréquent de croiser dans un même service une infirmière plus compétente que l’interne et sa collègue incapable de poser une perfusion. Un numerus clausus archaïque éjecte toujours du cursus 80% des inscrits en Faculté. Aujourd’hui, même si la sélection entre la première et la troisième année de médecine et le concours de l’internat étaient plus ouverts, l’encadrement des CHU serait incapable d’assurer la formation de l’afflux d’étudiants.
L’hôpital s’installe dans un déficit structurel de médecins, impliquant le recours systématique aux médecins étrangers formés ailleurs pour combler cette carence. Quant aux internes admis en CHU, leur évaluation dépend surtout des pathologies qu’ils ont à traiter. L’interne valorise son cursus en accordant du temps et toute son attention aux maladies rares ou aux cas intéressants, négligeant les affections banales.
On peut aussi s’étonner que l’anatomie ne soit plus enseignée après l’examen de deuxième année de médecine et se demander si la matière est revue par nos praticiens. Sur un compte-rendu opératoire, un chirurgien hospitalier a écrit noir sur blanc : « Nous devons couper le nerf radial pour mieux voir la fracture… Nous adresserons le patient à un spécialiste pour réparer son nerf. » Connaître l’anatomie évite notamment de devoir couper un nerf important pour seulement : “mieux voir !“
Des personnels soignants inquiets
Le malade n’est pas le premier à craindre l’hôpital. La peur gagne les personnels soignants et justifie leurs comportements. Elle pousse les anesthésistes à opposer un veto sur des opérations qu’ils jugent risquées. Les chirurgiens rechignent à réopérer des patients derrière un confrère, de peur d’endosser la responsabilité d’une erreur de son prédécesseur sur un même acte. À titre d’exemple, 100.000 prothèses de hanche sont posées chaque année en France, 12.000 nécessiteront une ré-intervention présentant un risque de mortalité de 3%, soit 360 décès par an. Les chirurgiens évitent de rentrer dans cette statistique. Ils s’arrangent aussi pour simplifier les opérations, quitte à ne pas restituer toutes les capacités fonctionnelles du patient, aux seules fins de réduire la durée de l’intervention. L’opération complexe c’est un bloc monopolisé et une plaie ouverte trop longtemps, le besoin éventuel de transfusion et le risque nosocomial accru. Proposer une opération simple, voire bâclée, est devenu un moyen de contourner le problème et de contenir l’envolée des primes d’assurance. Ceci explique peut-être pourquoi l’amputation est de plus en plus souvent proposée, bien que le chiffre annuel soit difficile à établir, entre 5.000 et 9.000 selon les sources. Le ministère de la santé entretient cette attitude au nom du principe de précaution avec des protocoles extrêmes. Ainsi, pour une suspicion de Creutzfeldt-Jacob ou de H5N1 la procédure est la suivante : destruction des instruments utilisés, décontamination lourde des blocs, arrêt de l’activité du service, fermeture des urgences, annulation des opérations programmées.
Trop d’hôpitaux nuit à l’Hôpital !
Paradoxe, la France totalise plus d’hôpitaux que ses voisins, 2.800 établissements contre 2.000 en Allemagne malgré ses 15 millions d’habitants de plus. Cependant, il y a trop de petits hôpitaux, insuffisants en moyens et en compétences. Au profit du maillage du territoire, on a négligé la qualité et l’efficacité. Le dogme de l’hôpital de proximité défendu par les élus locaux a une autre conséquence, un déficit en structures d’accueil postopératoire. La France manque cruellement de lits en maisons de convalescence, en gériatrie, en rééducation et en soins spécialisés. Cette carence impose des délais anormaux avant qu’un lit se libère, obligeant l’hôpital à garder des patients qui devraient partir vers des structures légères. Résultat : hospitalisation longue, pénurie endémique de lits, coût supplémentaire pour la sécurité sociale et accroissement du risque nosocomial. À cela s’ajoute les guerres d’influences entre les chefs de service au sein d’un même hôpital, chaque Mandarin mesurant son prestige au nombre de lits attribués et refusant de dépanner un confrère surchargé de malades dans son secteur.
Tout le monde veut un hôpital près de chez soi, malgré les lacunes des établissements de petites villes et les situations anormales. Si l’existence du secteur privé à l’hôpital peut se justifier dans un CHU, dans un établissement doté d’un seul chirurgien par service, celui-ci se trouve en position d’imposer un monopole d’interventions, avec ses dépassements d’honoraires, à tous les malades d’une localité. Le racket n’est pas très loin…
Des petites économies fatales
Ultime facteur de dégradation, la maladie budgétaire ! La mutualisation des moyens a pavé l’enfer des équipes soignantes. Répartis en plusieurs bâtiments, les grands hôpitaux subissent la centralisation en un seul point de prestations connexes, organisant la pénurie chronique comme celle des brancardiers qui doivent courir d’un bâtiment à l’autre pour véhiculer des chambres aux blocs dans tous les services. Les suites d’une intervention lourde au Kremlin-Bicêtre imposent à Fabienne de repasser au bloc chaque jour. Ces actes programmés vers midi se voient repoussés par deux conditions cumulées : un bloc libre, des brancardiers disponibles. Mais ceux-ci apparaissent rarement dans sa chambre avant 18 heures, ceci pour un acte de quelques minutes suivi par l’interminable attente sur un brancard dans un couloir avant le retour des brancardiers. Occupés ailleurs, ils remettront Fabienne dans son lit vers minuit. Autre absurdité vécue par Yvonne arrivant un vendredi matin aux urgences de Lariboisière. Victime d’une fracture du col du fémur, elle endure le circuit imposé par les urgences avant que, vers18 heures, le staff arrête la décision de l’emmener au bloc. Hélas, l’opération est impossible pour cause de pénurie de boîte stérile. Il s’agit du kit des instruments qui étaient jadis stérilisés par chaque équipe chirurgicale. Les gestionnaires ont estimé plus productif de faire valider ces boîtes par la pharmacie hospitalière fermant ses portes le vendredi soir. La commande de boîte stérile est passée trop tard, le service n’en disposera que lundi matin, la fracture d’Yvonne ne sera opérée que dans la soirée du lundi.
Comment l’usager de l’hôpital public peut-il réagir au dogme de la rentabilité et se défendre face à des gestionnaires peu soucieux de sa sauvegarde ? Peut-être en évitant de mettre les pieds dans un hôpital en fin de semaine.
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