"L'erreur était tellement grosse au départ, qu'ils ont dû la dissimuler". Christian Taillurat, artisan peintre à Bergerac, fait partie de ces victimes dont on ne parle jamais. Celles qui ont vécu une grave erreur médicale il y a quelques années, et qui, depuis, sont tombées dans l'oubli. Pourtant, eux, portent le fardeau de ce coup de bistouri raté - ou de ce dossier médical échangé - toute leur vie. Nous avons donc souhaité donner la parole à cet homme, le temps d'un article.
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Tout commence le 24 mars 2015. En ce jour si particulier, Christian Taillurat se fait opérer d'un polype bénin situé dans la vessie. Cette petite excroissance est rapidement retirée et aucune anomalie n'est détectée. Le 27 mars, l'homme rentre donc chez lui, heureux que l'opération se soit bien déroulée.
Mais en chemin, la secrétaire le rappelle : il a oublié de régler les dépassements d'honoraires. Quelques jours plus tard, Mr Taillurat se rend donc chez le chirurgien (Dr F.) de la clinique Pasteur à Bergerac. Il aperçoit dans la salle d'attente un patient mal en point, une poche à la main.
Le chirurgien appelle Christian Taillurat, qui s'assoit dans le bureau. Le Dr F. appuie alors sur le dictaphone et commence à dicter le compte rendu. Il cherche, non sans difficulté, le nom de famille du patient pendant plusieurs minutes... jusqu'à déclarer à voix haute "Ceci conclut l'examen de Mr Taillurat".
Notre future victime lui fait immédiatement remarquer son erreur. Pour lui, aucun doute, ce n'est pas son dossier, mais celui de l'ancien patient, mal en point.
Le Dr F., embêté, lui assène alors "De toute façon, vous avez la même chose : deux tumeurs hautement invasives".
C'est ici que débute l'erreur : un médecin (trop ?) sûr de lui... et un simple échange de dossier.
Pour rappel, les tumeurs hautement invasives sont des tumeurs malignes, c'est-à-dire cancéreuses. Elles peuvent s'étendre à d'autres parties du corps et réapparaître si elles ne sont pas traitées par chimiothérapie ou radiothérapie. Pour le Dr F., il s'agit donc d'une urgence : Mr Taillurat est atteint d'un cancer de la vessie qu'il doit "rapidement opérer". La tumeur aurait même "percée la vessie", selon lui. Pour l'homme, la colère laisse place à l'incertitude. Il décide alors de consulter son médecin traitant, qui lui fait passer un scanner. Aucune tumeur n'est identifiée. Ce dernier lui conseille toutefois de se rendre à l'Institut Bergonié (Bordeaux), une clinique réputée, pour confirmer ou infirmer le diagnostic du Dr F. 2 jours avant le fameux rendez-vous à l'Institut, le Dr F. et son équipe reviennent à la charge "il faut commencer la chimiothérapie". Mr Taillurat tient tête. Il veut absolument un second avis sur son cas. Mais on tente de l'en dissuader... À Bergonié, c'est le Dr P. qui reçoit de Mr Taillurat. Durant le rendez-vous, il ne lui demande pas d'échographie, ni de scanner. Un coup d'œil rapide est jeté au dossier. Les nombreuses anomalies - comme un document affichant une date d'opération faussée (26 mars au lieu du 24 mars) - n'alertent pas le docteur. Mr Taillurat est stupéfait : aucun document ne prouve qu'il est réellement atteint d'un cancer. "Ils ont été incapables de me montrer la moindre tumeur", déplore-t-il. Pour autant, l'histoire ne se termine pas là. Un nouveau PET Scan (qui permet de détecter une tumeur cancéreuse, ndlr) est programmé. Les résultats tardent. Le personnel, embêté, indique au "malade" qu'on les lui donnera plus tard, le vendredi, mais qu'il doit "monter dans la chambre". L'infirmière lui annonce alors qu'ils vont commencer le traitement. Elle m'injecte le produit. Il me brûle de partout. Je redemande les résultats. Puis je demande ce que c’est que ce produit. Et je réalise alors qu’on a commencé la chimiothérapie sans me le dire, se souvient, avec effroi, Mr Taillurat. Le personnel, peu rassurant, lui explique que c'est pour son bien. Tous les jours il lui rappelle qu'il va mourir s'il ne suit pas le traitement. Ce supplice dure 3 jours. Et 15 jours après, c'est reparti - 3 jours à nouveau de chimiothérapie. Au total, Mr Taillurat endurera 6 séances de ce traitement anti-cancer. “Je me suis dit la chimio, c’est rien, je vais y arriver. Car je suis robuste. Mais en réalité, ça esquinte beaucoup". Pour l'équipe médicale, le calvaire n'est pas fini : il faut désormais enlever la vessie. Mr Taillurat s'entête "Un homme sans vessie, ce n’est plus un homme", déclarera-t-il. La radiothérapie est alors envisagée. Les infirmiers expliquent au malade que cette technique consiste à brûler toute la vessie. Encore une fois, Mr Taillurat refuse net. "Je ne voulais pas qu’on m’opère et perdre ma vessie", s'emporte-t-il. Les soins sont terminés. Mr Taillurat rentre chez lui, mais est suivi de près par l'équipe de l'Institut Bergonié. 3 mois après ses séances, le malade passe enfin un examen avec un médecin (endoscopie de la vessie ). Il regarde la vessie et me dit qu'il n'y a rien. Elle est parfaitement saine. Mr Taillurat a enfin sa réponse : il n'était pas atteint d'un cancer. En revanche, il a été victime d'une erreur médicale et souffre aujourd'hui des nombreux effets secondaires de la chimio (vertiges, fourmillements, faiblesse dans les bras, dans les jambes...). Il ne peut désormais plus exercer son métier en tant qu'artisan peintre. Depuis cette histoire, Mr Taillurat a déposé une plainte au tribunal et a engagé un avocat. Il espère, qu'un jour, le chirurgien soit radié (à l'heure actuelle, le Dr F. opère toujours de nombreuses personnes) et que son histoire puisse servir d'exemple. Pour que ce type d'erreur ne se reproduise plus. "Il faut opérer rapidement"
Cancer : un dossier falsifié
3 mois après les soins, aucun cancer n'est détecté
Remerciements à Christian Taillurat.
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