Hyperphagie : “Mon esprit a du mal à assimiler la sensation de faim et de satiété”Adobe Stock
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À l’âge de 13 ans, Lucie* a été violée. De ces violences sont nés de nombreux traumatismes. “Il y a eu l'agression sexuelle en elle-même et tout ce qui en a découlé, dont beaucoup de stress car on m'a un peu forcée à porter plainte. C’est aussi lié au fait que j'ai été harcelée, aux traumatismes qui ont découlé de ces violences et à ma situation familiale”, analyse aujourd’hui la jeune femme de 23 ans.

Hyperphagie : une consommation de grandes quantités d'aliments avec une perte de contrôle

Depuis ces événements, elle a développé de l’hyperphagie. Ce trouble du comportement alimentaire (TCA) “consiste en la consommation récurrente de grandes quantités d'aliments, accompagnée d'une sensation de perte de contrôle”, indique le manuel médical MSD. Ce TCA “n'est pas suivi d'un comportement compensateur inapproprié, tel que des vomissements provoqués ou un abus de laxatifs”.

“Très vite, j'ai trouvé du réconfort dans le fait de manger parce que c'était quelque chose que je pouvais contrôler. Je l'ai compris plusieurs années plus tard : c'était une manière pour moi de choisir quelque chose dans ma vie, parce que je n’avais pas beaucoup de libertés, que ce soit au niveau du choix de mes fréquentations, de l'endroit où j'étudiais, de ma famille”, raconte Lucie. À l’époque, la nourriture devient une sorte de refuge, une compensation éphémère.

Ce n’est qu’il y a deux ans que le diagnostic d’hyperphagie a été posé. Avant cela, Lucie a rencontré plusieurs psychiatres, “décevants, pour ne pas dire traumatisants”. “Une nouvelle psychiatre a confirmé ma dépression et a diagnostiqué d'autres troubles, comme l’hypervigilance.” Avec elle, Lucie retrace semaine après semaine son historique lié à la nourriture. Une aide d’autant plus importante que la jeune femme ne peut pas en parler au sein du cocon familial, qui la stigmatise par rapport à son poids. “Pour eux, tu es grosse car tu manges”, résume-t-elle.

“Depuis ma prise en charge, je ne prends plus de poids”

L’hyperphagie a entraîné une importante prise de poids chez Lucie. À 13 ans, elle ne faisait que 55 kilos. Aujourd'hui, elle en pèse 120. La thérapie l’aide cependant énormément : “Cette année, c'est la première fois depuis que je suis adolescente que je stagne. Depuis le début de ma prise en charge, je n’ai pas perdu de poids, mais je n’en ai pas pris non plus, alors qu’entre mes 16 ans et mes 21 ans, j'ai pris 60 kilos, soit 10 à 15 kilos par an.”

Sa prise en charge passe essentiellement par la thérapie. Avec l’aide de sa psychiatre, Lucie essaie de normaliser son rapport à la nourriture. “Elle m'a donné des antidépresseurs qui ont comme effets secondaires de réguler l'appétit. Pour la première fois, à 21 ans, j'ai découvert le sentiment de satiété et le sentiment de faim”, analyse la jeune femme. Une réussite importante pour elle, qui a vécu les crises d’hyperphagie à répétition, périodes durant lesquelles elle “écoutait plus son cerveau que son corps”.

Hyperphagie : les crises de Lucie s’espacent de plus en plus

Aujourd’hui, les crises s’espacent de plus en plus. Elle s’explique : “Le sentiment de satiété m'apporte un dégoût par rapport à la nourriture que je ne pouvais pas avoir avant. Mon corps ne répondait pas au fait de recevoir trop de nourriture ou trop de sucre.” Dorénavant, les seuls moments d’hyperphagie que Lucie connaît arrivent lorsqu’elle se trouve dans des moments de stress ou de tristesse intenses. Elle garde tout de même, d’après ses propres mots, “une relation malsaine à la nourriture”.

Moralement, Lucie n’est pas forcément affectée par la prise de poids : c’est plutôt du TCA et de la perte de contrôle qu’elle souffre. “Dans ces moments-là, je suis incapable de me mettre des barrières, je suis un peu livrée à moi-même. Je ne peux pas et je ne veux pas accepter d’aide extérieure, et j'ai du mal à supporter de ne pas pouvoir être moi et de pas pouvoir m'imposer des limites qui seraient bonnes pour ma santé physique et mentale”, développe Lucie.

“Je suis à l'aise avec mon corps”

Autre répercussion de l’hyperphagie dans sa vie : les restrictions alimentaires constantes. Plus jeune, Lucie s’est tellement réfugiée dans certains aliments ultra-transformés et rapides à consommer qu’elle a aujourd’hui des difficultés à aller vers certaines textures ou consistances. “J'ai beaucoup de mal à avoir un repas classique et à m’y tenir. Au travail, je choisis toujours le même plat et j'ai peur qu'on me juge par rapport à ce que ça pourrait refléter de ma santé et de ma personne, par rapport à mon poids”, confie la jeune femme.

Paradoxalement, Lucie ne veut absolument pas que son entourage pense qu’elle se “force” à manger sainement pour aller mieux. “Je suis à l'aise avec mon corps et j'essaie beaucoup de le prouver. Résultat : je ne vais pas manger de salade même si j’en ai envie parce que je ne veux pas qu'on pense que j'essaie de perdre du poids.”

“J’ai une vraie protection autour de moi”

Heureusement, la jeune femme a su s’entourer de personnes bienveillantes. Elle considère même son TCA comme une sorte de filtre : si elle ne sent pas à l’aise avec quelqu’un en raison de son hyperphagie, elle ne cherchera pas à entretenir de relation. “J'ai une vraie protection autour de moi. Ces gens me disent et me répètent que si on part en vacances et que je fais des crises, ce n’est pas grave. Ils me déculpabilisent.” Aujourd’hui, Lucie se considère être sur une pente ascendante et aller, à son rythme, vers la guérison.

*Le prénom a été modifié.

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