À 39 ans, il a déjà passé 196 jours dans l’espace. Entre novembre 2016 et juin 2017, l’astronaute français Thomas Pesquet a vécu à bord de la station spatiale internationale (ISS). Plus de six mois pendant lesquels ses os, ses muscles, ses artères, tout son métabolisme ont été étudiés à la loupe. Car, au-delà de l’intérêt aérospatial de la mission, le voyage de Thomas Pesquet est une mine d’or pour la recherche biomédicale, qui compte utiliser l’espace comme un laboratoire à la fois pour mieux comprendre certaines maladies et pour élaborer de nouveaux outils médicaux à la pointe de la technologie.
Squelette des astronautes et ostéoporose
Et pour cause : l’espace est un milieu particulier où le corps n’est plus soumis à la force de gravité et où les processus naturels de vieillissement arrivent beaucoup plus vite que sur Terre. Ces deux notions autorisent l’étude de plusieurs pathologies communes liées au vieillissement telles que l’ostéoporose. L’équipe du docteur Laurence Vico, directrice de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) de Saint-Etienne, travaille ainsi sur les changements que les vols spatiaux induisent sur la structure des os. "Les astronautes sont des modèles extrêmes chez qui on supprime le vecteur gravité, ce qui a des conséquences directes sur le corps puisque l’évolution humaine n’a eu de cesse de lutter contre la gravité", précise la chercheuse. Thomas Pesquet en témoigne : "dans l’espace, j’ai perdu un peu de masse osseuse et musculaire." Avant de nous rassurer aussitôt : "j’ai tout regagné grâce au travail au sol depuis mon retour. Aujourd’hui je me sens bien, j’ai vite récupéré." Au-delà de l’expérience individuelle, "les conséquences de l’absence de gravité sur les os permettent de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents à l’ostéoporose", confie le docteur Vico. Cette dernière analyse également les effets de l’inactivité relative des astronautes dans l’ISS sur leur squelette. L'intérêt de tels travaux ? "Des applications directes pour prévenir spécifiquement l’ostéoporose des personnes sédentaires sur Terre". Cerise sur le gâteau, selon Laurence Vico : "les missions spatiales ont permis de valider un petit scanner qui sert à suivre ce qu’il se passe dans le squelette. Dans l’espace, il analyse l’évolution de ce tissu adapté à la gravité et, sur Terre, il permet de mesurer la microstructure de l’os. Cette machine se trouve désormais dans tous les grands centres de recherches sur l’ostéoporose."
Mieux comprendre le vieillissement des artères
Même intérêt du côté des artères : le docteur Pierre Boutouyrie, cardiologue au Paris-Centre de Recherche Cardiovasculaire (PARCC, Inserm) conduit quant à lui des travaux sur le vieillissement accéléré de nos artères avec l’aide des données relevées sur Thomas Pesquet et sur d’autres astronautes. Première observation : une augmentation – partiellement réversible – de la rigidité des artères. Or des artères moins souples amortissent moins le flux sanguin et exposent à des risques plus élevés d’athérosclérose. Le but est de comprendre comment et pourquoi elles se rigidifient, ce qui déboucherait sur des applications directes pour prévenir et traiter les problèmes cardiovasculaires liés non seulement au vieillissement mais aussi à la sédentarité.
De l’espace à la Terre, une télémédecine à grande échelle
Un autre aspect de la recherche centrée autour de cette expérience cosmique s’applique à mettre en place de nouveaux outils de télémédecine utilisables sur Terre. "À bord de l’ISS, on apprend à se soigner soi-même. C’est un avant-goût de la télémédecine", raconte Thomas Pesquet. "J’étais notamment équipé d’un échographe piloté à distance pour que les médecins sur Terre puissent observer les mouvements des fluides dans mon corps. Il me suffisait de poser cet échographe sur la zone du corps qu’ils voulaient étudier", détaille l’astronaute. Ce type d’outil s’avèrera très utile dans les déserts médicaux pour transmettre des données aux médecins sans se déplacer. Et si les données ainsi recueillies circulent de l’ISS, située à près de 400 km d’altitude, jusqu’aux médecins restés sur Terre, nul doute qu’elles pourront être transmises d’un patient habitant dans une zone de désert médical à un praticien situé à quelques dizaines de kilomètres.
Protection contre les radiations
Enfin, chaque mission spatiale est l’occasion de travailler sur une surexposition aux radiations. "L’espace présente en effet des taux de radioactivité deux fois plus élevés que les plus hauts taux naturels relevés sur Terre", rappelle Yves Lévy, président-directeur général de l’Inserm. De retour sur Terre, ces données permettent d’évaluer les risques liés aux expositions répétées dues par exemple aux mammographies ou aux radiographies, de mettre au point des agents radioprotecteurs pour limiter les risques mais aussi de travailler sur la question de l’adaptation de l’humain à la radioactivité. Si de nombreux résultats biomédicaux n’en sont encore qu’aux balbutiements, les prochaines missions spatiales promettent de fournir de nouvelles données aux chercheurs. Et Thomas Pesquet nous l’assure : il compte bien être encore de la partie.
Conférence de presse du 10 octobre 2017 à l’Académie des sciences, en présence de Thomas Pesquet, d’Yves Lévy (président-directeur général de l’Inserm), de Jean-Yves Le Gall (président du CNES), et des docteurs Laurence Vico et Pierre Boutouyrie.